Il avait pour objectif de récolter 27.000 dollars sur Kickstarter fin 2013. Sa première bande annonce et les influences affirmées par ses concepteurs auront poussé Hyper Light Drifter jusqu'à la somme de 645.158 dollars. Mais, un nombre incalculable de reports plus tard, le premier projet de Heart Machine, jeu d'action-aventure en 2D au Pixel Art distingué, est-il bien cette rencontre annoncée entre The Legend of Zelda : A Link to the Past et Diablo ? Pas tout à fait. Et ce serait bien l'une des rares choses qui pourraient vous décevoir.
Lorsque débute l'aventure du Drifter, figure longiligne encapuchonnée dont on ne distingue que la peau couleur azur, on pense à Miyzazaki. A Hayao Miyazaki, le maître de l'animation japonaise. En cause, une direction artistique qui sous ses atours old school évoque des trésors de Ghibli. Ce monde post-apocalyptique en vue aérienne, dans lequel la végétation a repris ses droits sur les carcasses de robots géants et qui garde en souterrain des traces d'une technologie avancée, c'est Nausicaa de la Vallée du Vent et Le Château dans le Ciel qui se télescopent. Et qui auraient rencontré le troisième Zelda, Cave Story ou encore Undertale pour certains éléments de design.
Les yeux sont charmés par le soin apporté aux forêts luxuriantes, ruines marécageuses, monts enneigés et déserts arides, la cohérence de l'univers, les détails même les plus infimes qui foisonnent à chaque tableau traversé lors de cette épopée muette. Muette, mais pas dénuée de sucreries auditives. La bande-son chiptune, signée disasterpeace, de son vrai nom Richard Vreeland, connu pour son travail sur Fez, fait des merveilles. Elle vous accompagne toujours comme il faut, que vous soyez dans le solitaire et contemplatif ou en plein instant belliqueux. Bref, c'est somptueux à tous les niveaux. Ce qui aide à se sentir, à l'instar du héros toussoteux du projet de Alex Preston, comme prisonnier de son plein gré d'une mission qui ne va pas lésiner sur les obstacles.
Je danse sur du Miya
Car manette en mains, c'est à un autre Miyazaki que l'on pense. A Hidetaka, artisan des succès vidéoludiques que sont les Dark Souls et Bloodborne. Oui, ces titres que beaucoup considèrent comme des instruments de torture. Parce que la représentation aérienne et le protagoniste maniant la lame ont beau évoquer les aventures de Link, comme Hyrule - là où l'on sait où aller, où les coeurs ne s'évanouissent pas en un battement de cils, où l'on peut frapper sans coup férir et où chaque boss n'a besoin que de trois coups avant le trépas - semble loin. Pas d'indice clair pour savoir vers lequel des trois donjons accessibles initialement (Nord, Est et Ouest, le Sud s'ouvrant ensuite) se diriger. Alors on avance un peu au pif, avant de constater que les cinq carrés de vie dont on dispose s'épuisent bien vite et que les réserves de soins (à utiliser bien à l'abri) sont très limitées. Et si c'est indubitablement difficile, il n'y a pas d'injustice.
Tout tient dans la maîtrise de la capacité principale de notre personnage, une glissade de plusieurs mètres au rendu très classe qui permet de franchir quelques fossés et de se défaire de pièges aussi gênant que des dalles évanescentes mais est surtout fondamentale en combat. Il ne faudra pas hésiter à faire preuve de patience, peut-être même de couardise pour trouver la faille, le bon moment pour frapper... Et s'enfuir à nouveau. Pas forcément suffisant pour espérer botter du cul de boss - derrière lequel se cachera toujours une arme de poing qui aidera à voir la suite plus sereinement - du premier coup. Mais peut-être assez pour explorer et amasser de quoi faire évoluer un peu certaines capacités. Et revenir plus sûr.
Viens voir le Drifter
Les déglingos du pad pourront tenter, et sûrement parvenir, à occulter toute notion d'amélioration. Et ils auront de quoi s'amuser avec un challenge bien relevé, voire orgasmique dans un New Game + qui distinguera les hommes des grands garçons, où le capital santé sera réduit à deux blocs - autrement dit, pas question de se faire toucher. Il ne faudra pas, pour les autres, moins patients ou moins rompus à un exercice exigeant d'éviter du frontal bête et méchant, hésiter à explorer à et accumuler les points d'expérience. Ces précieux tokens jaunes serviront dans le village central où, outre des personnages qu'on notamment à disposer de plus de stocks pour regagner de la vie, à enchaîner les mouvements d'esquive plus efficacement lorsque l'on applique le bon timing, à taper ou se voir invincible en plein rush, à disposer de plus de munitions (dont le compteur se recharge en faisant du grabuge) ou employer des grenades.
Mystère, mystère
Et autant le dire, avant d'entrevoir la fin de la quête en ayant la sensation d'être full power, il va falloir, en plus de prendre des dérouillées par les bosses pour des détails, farfouiller. Et durement. La surface à découvrir est assez grande pour un jeu de ce type. Les accès secrets, parfois bien tordus et à la limite de l'indécelable, fourmillent. Mais surtout, même les blocs permettant d'ouvrir les dernières chambres des "donjons" sont compliquées à trouver. Hyper Light Drifter fait l'économie des mots et des explications quant à son scénario-catastrophe ultra nébuleux et rempli de visions d'Apocalypse, pour laisser la place aux interprétations. Même chose concernant sa carte, qui refuse toute forme de précision. Si bien que, constatant une exigence de réflexes très élevée et un tantinet perdus, certains pourraient se décourager. Mais ce serait se priver d'une bonne dizaine d'heures - au minimum - d'un véritable délice vidéoludique.