À son arrivée en accès anticipé en décembre 2018, on pouvait déclarer que les Moires s'étaient penchées avec attention sur le destin du petit Hades, jeu de Supergiant Games - comme les précédents - très prometteur. Leur travail de filage achevé avec la sortie de la version 1.0, les divinités ont-elles su peser pour qu'il concrétise toutes ses ambitions pour ne pas finir au cimetière des Rogue-like sans véritable plus-value ?
Avant Les Feux de l'Amour, Dynastie, Dallas, Santa Barbara et autres feuilletons télévisés farcis d'histoires de famille tordues et rebondissements tenant en haleine les téléspectateurs, il y a eu les dieux grecs. Dans le genre famille dysfonctionnelle, vous ne trouverez jamais mieux, ou pire. Et vas-y qu'on se transforme en animal pour séduire une terrienne, qu'on pond des demi-dieux, qu'on torture éternellement des humains trop entreprenants, qu'on accorde des privilèges à des héros pour zigouiller des créatures dégueulasses, qu'on guerroie, qu'on se jalouse, qu'on se sépare, qu'on se déchire, qu'on met tout à feu et à sang au moment de payer la note au restau... La mythologie grecque est une source presque intarissable d'histoires épiques et des destinées abracadabrantesques, dont nombre d'oeuvres se sont inspirées - avec nettoyage à sec du côté de God of War. Mais aussi et surtout un sacré bordel, un avertissement de tout ce qu'il faut éviter pour une vivre une existence paisible. Ce que Supergiant Games a voulu nous rappeler à travers un jeu d'action en vue isométrique qui prouve qu'il n'y a pas que de bonnes intentions qui pavent l'Enfer.
Zagreus soirée
Loin de l'Olympe, les Enfers pourraient sembler étrangers aux intrigues et autres mystères ayant trait à Zeus et le reste de la famille. Pas vraiment. Depuis quelque temps, l'un des fistons de Hades, Zagreus, que vous incarnez, s'est mis en tête de rejoindre la surface pour respirer le bon air de la Grèce. Chose que le paternel, toujours la tête dans la paperasse à gérer les nouvelles arrivées de défunts, lui refuse catégoriquement. La méthode ? Celle d'une déité responsable du royaume des morts : dès lors que le rejeton essaie de s'échapper, des armées de monstres se dressent pour l'occire et le ramener dans les eaux du Styx, et donc au hall d'accueil où errent quelques héros disparus. Et ça marche. Mais pourquoi se donner autant de mal à empêcher ce fils de faire ce qu'il veut ? Il y a anguille, voire Echidna, sous roche. En traversant le Tartare, l'Asphodèle ou encore l'Élysée, Zagreus va découvrir bien des choses qui vont bouleverser son existence et le motiver davantage.
Mais pour progresser, il faut tabasser encore et encore à travers des dizaines de salles fermées. L'ampleur de la tâche paraît d'abord assez insurmontable. Notre protagoniste, entraîné par Achille lui-même, sait agiter son épée, la Lame du Styx. Reste que les assauts incessants rognent et épuisent vite une barre de vie bien fluette. Se familiariser avec l'usage d'une attaque classique, d'une "technique" un poil plus dévastatrice, d'un projectile à l'impact assez limité et de la ruée ne suffit pas. Hades n'a rien de compliqué de prime abord. La précision des commandes font qu'on trouve sans peine ses automatismes, avec un certain plaisir, tant l'ensemble se révèle d'un dynamisme et d'une explosivité grisants. Il est aisé de vider les premières pièces, peu peuplées. Puis un défaut d'inattention, une pression mal timée, un semi-boss ou un boss vous donnent une leçon d'humilité. Mais souvenez-vous de Jésus - ou de la plupart des Rogue-lite, en fait : pour survivre, il doit mourir.
Sisyphe, la famille
On ne garantit pas que les plus habiles ne trouveront pas un moyen d'aller au bout une fois en faisant parler des réflexes dignes d'un Chevalier d'Or en plein septième sens. Pour le commun des mortels, en revanche, atteindre l'objectif principal pourra durer d'une grosse douzaine d'heures. Plusieurs dizaines si vous êtes du genre à vouloir remplir le codex et votre connaissance d'un univers d'une richesse réjouissante. Durant ce temps qui ne paraîtra jamais long, et nous vous expliquerons pourquoi d'ici quelques lignes, il sera question d'observation, de choix, et bien entendu de chance et d'opportunités.
Observation des zones traversées, souvent bourrées de pièges pour vous, mais aussi vos ennemis, que des attaques sournoises ou plaquages contre une paroi ou un pilier destructible et des moments précis ou placer une esquive. Choix des armes (améliorables) employées, votre lame pouvant se voir, après déblocage, remplacée par une lance, un bouclier, un arc ou encore des gants, aidant à essayer et sûrement adopter d'autres styles, qu'un aimable squelette immortel vous aidera à tester. Chance d'avoir les récompenses qui vous conviennent une fois une pièce clean ou lorsque vous vous présentez devant la boutique du taciturne et très vénal Charon.
Les paramètres - profitons-en pour saluer la clarté d'une interface d'une grande limpidité - à prendre en compte durant ce supplice de Sisyphe virtuel ne s'arrêtent pas à cela. Les Bienfaits, autrement dit des pouvoirs d'oncles et cousins divins tels que Zeus, Poséidon, Hermès, Athéna et tant d'autres garantissent l'acquisition de pouvoirs plus ou moins rares qui font directement référence à leur représentation mythologique. Et même une attaque ultime à enclencher selon une jauge de rage. Les bonus à accumuler sont nombreux. Vous allez électriser, submerger, geler, enivrer...On peut même envisager, en sachant ménager les susceptibilités, des combinaisons, des complémentarités. Le bestiaire chatoyant composé de squelettes, d'âmes en peine, de lanceurs de bombes, de vermines, de guerriers affutés, de chars (?), ne demande qu'à goûter. Les boss, comme l'Hydre de Lerne ou le Minotaure, aussi.
Thésée-vous !
Encore faut-il profiter à bon escient d'autres subtilités et strates de gameplay pour gagner en puissance, en assurance, et en connaissances. Nous parlions de choix plus haut. Chaque pièce nettoyée offre généralement plusieurs chemins. Il faut toujours réfléchir à ce que l'on compte privilégier, comme pour son style : faut-il dépenser ses deniers n'importe où ? Plonger dans bassin menant à Chaos et subir des malus avant de voir renforcé ? Upgrader ce que vous possédez ou tenter la nouveauté ? Foncer vers les clés pour ensuite débloquer les compétences permanentes du Miroir de la Nuit, recueillant des diamants noirs qui ne tombent pas si facilement ? À qui donner du Nectar en priorité pour améliorer une amitié et obtenir des reliques orientant également votre façon de voir les choses ? Plutôt une grosse jauge de vie, davantage de droits à la résurrection, plus de vitesse, de résistance, de force de frappe, d'allonge, de force à repousser ? Le gameplay global typé action se montre très réussi, ne pouvant être pris en défaut que lorsque l'écran se surcharge d'explosions et effets magiques. Il est soutenu par de multiples possibilités, imbriquant pleinement et adéquatement, comme le gameplay, ces mythes bien connus, qui lui confèrent une richesse assez phénoménale. Mais ce n'est pas tout.
Orphée le match
Hades est un Rogue-lite où le décès fait partie intégrante et indispensable du chemin. Tout procédural qu'il est, il peut se montrer répétitif dans son design et même son déroulement - quoique, et le héros, son géniteur ou un narrateur inconnu s'en amusent, les surprises ne manquent guère. Mais chez Supergiant, qui dispose de talents suffisamment éloquents pour me permettre de faire l'impasse sur un descriptif poussé des prouesses artistiques visuelles et sonores (Darren Korb, encore là pour régaler) du jeu, on n'a pas pu s'empêcher de faire plus. Ce plus, ce sont l'écriture et la caractérisation, domaines dans lesquels ils n'ont fait qu'exceller par le passé.
L'histoire a l'air bateau ? À chaque "résurrection" ou presque, il y a toujours des discussions à suivre, des relations à approfondir et de voiles de mystères qui se lèvent. Grâce à des dialogues savoureux, prenant vie par la biais de doublages complets totalement réussis, on s'attache à Dusa, la gorgone timide, au spleen d'Orphée et à la décontraction d'Eurydice, à l'austérité de Thanatos et à la sévérité de Hades. Et que dire du droit de câliner Cerbère ? La progression entraîne la découverte de certains liens, de bribes du passé... Et tout ce qui suit après votre première évasion, comme certains aménagements que l'on croit juste cosmétiques, n'a rien d'un simple bonus : le prix du véritable dénouement sera de nouvelles et probablement nombreuses tentatives, un investissement maximum demandé, que les plus masochistes agrémenteront de pénalités, avec prime au bout du tunnel de souffrance, via le Pacte de châtiments. Supergiant a pensé à tout...