Après sept années de disette, les fans du Chevalier Noir peuvent à nouveau poser leurs valises à Gotham City. WB Games Montréal (Batman Arkham Origins) reprend le flambeau avec un jeu à l’ADN bien différent des Batman Arkham : Gotham Knights.
La série Batman Arkham, lancée par Rocksteady, a marqué toute une génération de consoles avec ses aventures rythmées, sa réalisation soignée et son gameplay mixant intelligemment infiltration grisante et combats brutaux. Avec Gotham Knights, Warner Bros Montréal abandonne la franchise dans l’espoir de faire briller d’autres personnages cultes mais sous-exploités. Pas de Batman, pas de Joker. Au tour des protégés de l’Homme Chauve-Souris d’assurer la relève, pour le meilleur comme pour le pire.
Les Chevaliers de Gotham
Batman n’est plus, vive ses protégés. Orpheline de son Batman, Gotham City plonge dans le chaos. Syndicats du crime, super-vilains et Cour des Hiboux s’en donnent à cœur joie pour mettre la pire métropole au monde à feu et à sang. À Nightwing (Dick Grayson), Batgirl (Barbara Gordon), Red Hood (Jason Todd) et Robin (Tim Drake) de reprendre le flambeau et sauver Gotham du mal qui la ronge. Structuré autour de plusieurs arcs narratifs amenés à se télescoper pour tisser le destin du quatuor, Gotham Knights propose une seule et même histoire pour quatre visions différentes. Une aventure qui repose fortement sur le matériau d’origine pour mieux s’en émanciper à certains moments dans l’espoir de créer la surprise. Il n’en sera rien.
Le scénario pourrait se résumer en dix petites lignes tant il ne se passe rien. Pas d’énormes surprises, qu’on ait vu le fameux leak ou non, mais une histoire téléphonée qui tient en une dizaine d’heures. Gotham Knights sait cependant assurer le spectacle pendant les cinématiques à la mise en scène léchée. Il y a vraiment des passages bien sentis, mais il lui manque un développement plus approfondi, que ce soient pour les personnages au collectif comme à l’individuel. Finalement, contrairement à ce qu'avait laissé entrevoir notre première prise en main, la petite bande n’aura que quelques interactions facilement manquables dans leur base, mais jamais le titre ne prend le temps de réellement approfondir leur ressenti ou leurs relations. C’était l’occasion pour Warner Bros Montréal de faire briller ce quatuor méconnu du grand public et très apprécié des fans des comics, de mettre en avant leurs philosophies, leurs conflits avec Batman. Ils resteront finalement dans l’ombre de leur mentor.
Si tout n’est pas à jeter, on est loin de la finesse et de la puissance narrative d’un Batman Arkham. Les enjeux, découpés en dossier, sont souvent balayés d’un revers de la main donnant la sensation de prendre part à des missions expéditives et c’est parfois le cas d’ailleurs. Certaines ont de la gueule, vraiment, mais les bonnes idées finissent souvent par être ternies par une mise en situation quelconque. L’assaut final est sans doute le plus parlant, se contentant d’être une ligne droite insipide où les phases de plateformes et les ennemis s’enchaînent sans vraiment de logique. Tout ça pour se terminer sur une fin caricaturale, qui laisse un goût d’inachevé. Comme le reste du jeu.
Quand Batman Arkham rencontre Marvel's Spider-Man
Dans les grandes lignes, Gotham Knights cherche à s’émanciper de la série Arkham, avec laquelle il n’a aucun lien, tout en s’en rapprochant pour satisfaire les fans de la première heure. Le titre entend donc proposer sa propre vision de la ville, plus grande et animée que jamais, mais à la réalisation moins étourdissante. Il n’y a qu’à se percher d’un coup de grappin en haut d’un immeuble ou à se promener dans les rues pour s’en convaincre. Les effets de lumière sont jolis, le ray tracing fait des merveilles. Gotham s'étend sous nos pieds plus lumineuse et vivante que jamais. Elle dégage une véritable atmosphère, c’est propre et même un peu trop. La pluie fracassante laisse place à de la bruine, la nuit déchirée à des teintes d’un brun délavé. La ville perd de sa rudesse, sa crasse, sa saleté, ses traces criminelles qui ruissellent à chaque coin de rue comme dans le matériau d’origine. C’est d’une clarté presque aussi déconcertante que ses habitants qui ne réagissent pas quand un crime se produit à deux mètres d’eux.
Grappin, Batcycle, compétences uniques propres à chacun des justiciers, les moyens de déplacement ne manquent pas. Pourtant, se mouvoir dans Gotham n’est plus aussi grisant et selon le personnage choisi, on se lassera rapidement de voguer d’immeuble en immeuble. Robin et sa téléportation peuvent se transformer en calvaire, tandis que Batgirl, la plus agréable du lot, offrira de vraies sensations de vol. Encore faut-il terminer rapidement les défis débloquant ces aptitudes spéciales avant l’écœurement. Les débuts sont plus brusques avec seul le grappin pour se déplacer dans les airs, sans aucune fluidité de déplacement. Au sol, la moto remplacera la Batmobile et malgré quelques effets généreux en guise de cache-misère et une caméra rapprochée qui permet d’atténuer l’impression d’être sur un Bat-Scooter, elle n’offre aucune sensation de vitesse. L’euphorie de la découverte passée, on aura vite fait de débloquer les points de déplacements rapides pour éviter une corvée supplémentaire.
Gotham Knights reprend ainsi la formule de l’open world de la série Arkham en donnant accès aux missions principales, mais aussi à une poignée de missions secondaires qui viendront gonfler la durée de vie tout en introduisant certains antagonistes emblématiques. Le jeu se déguste comme on le souhaite, mais il ne faut pas espérer une myriade de contenus annexes aussi qualitatifs que son aîné. Dans sa structure du monde ouvert, le titre se rapproche davantage d’un Marvel’s Spider-Man jouable entièrement en coopération. Hors quête principale, il n’y aura finalement rien de grisant à se mettre sous la dent. À la différence près que Gotham Knights cassera constamment son rythme en nous faisant faire des allers-retours écœurants au Beffroi après chaque mission. Tout le temps et pour tout, c’est usant. Seul ou à deux en coopération, il est possible de papillonner dans Gotham pour sauver la veuve et l’orphelin et arrêter tout un tas de crimes répétitifs avec à la clé de précieux points d'expérience à glaner pour booster les performances des justiciers via leurs arbres de compétences. N’espérez pas une foule de missions secondaires menant à des super-villains cultes, elles se comptent sur les doigts de la main.
Une coopération à sens unique
Si l’on pouvait se douter qu’il serait difficile de passer derrière les excellents Arkham, c’est d’autant plus frustrant lorsque l’on sait que la même équipe a travaillé sur Origins, un jeu honnête qui assurait le fan service comme ses grands frères. Mais Gotham Knights n’a pas tout ça. Il ne profite même pas de son amoncellement de collectibles pour y glisser deux-trois clins d'œil à l’univers DC pourtant généreux en possibilités. Ici on se contentera d’aller dénicher une paire de graffitis, des plaques de monuments ou encore des batarangs cachés aux quatre coins de la ville comme dans n'importe quel open world lambda. Alors oui, on déverrouille bien quelques pages de dossiers pour remplir notre codex et on aura le droit à quelques lignes mentionnant des héros ou des faits passés liés à l’univers des comics, mais c’est maigre et peu mémorable. Le Bat-verse est sous-exploité et le jeu se contente de l’ultra-strict minimum en mettant en scène qu’une poignée de personnages et un déluge d’objets à scanner dans le décor pour placer un ou deux easter eggs low cost.
Heureusement, les quelques têtes d’affiche présentes relèvent le niveau et profitent d’un character design plutôt réussi. Harley Quinn, Mr Freeze ou encore Gueule d’Argile, pour ne citer qu’eux, seront des antagonistes aussi charismatiques qu’agréables à combattre. On aura malgré tout le droit à des missions à la qualité en dent de scie et surtout affublées d’une structure découpée à la hache, quand elles ne sont pas tout simplement linéaires à souhait. Notons d’ailleurs que s’il n’est pas un jeu service, il en porte tous les apparats. Gotham Knights est entièrement jouable en coopération, à deux joueurs seulement. Un choix restreint au service de la narration selon les dires du studio, mais qu’on a finalement du mal à comprendre. À aucun moment les deux justiciers choisis n’apparaissent ensembles lors des cinématiques et interagissent entre eux pour offrir des scènes et des dialogues inédits. Pire encore, l'invité ne verra même pas son propre personnage lors des cutscenes mais celui de l'hôte. D’un côté, quand le titre vous laisse jouer le même personnage, on comprend qu’il n’y avait pas cette volonté.
Le jeu se veut coopératif, mais il ne va pas au bout des choses. Il n’y a pas d’élimination double, qu’une seule attaque coordonnée qu’on aura vite fait d’oublier, rien qui ne pousse réellement à interagir ensemble. À la place, l’invité servira davantage de faire-valoir que de véritable sidekick. La progression est partagée et l’hôte est roi. Ouvrir une porte, lancer une cutscene, se faufiler dans un recoin… autant de choses futiles que seul le maître de la partie pourra lancer moyennant un compte à rebours, voire carrément une transition complètement datée à la Outriders. C’est d’autant plus frustrant que ça intervient toutes les deux minutes, même en intérieur. Gotham Knights en garde les stigmates en solo, où il faut également se coltiner ces mêmes mini-chargements en enfonçant une touche, et ça en est insupportable à la longue.
Et les 30 FPS sur PS5 ?
Peu avant son lancement, Gotham Knights était au cœur d’une polémique. Le jeu est bloqué à 30 fps sur Xbox Series et PS5. On a justement joué sur console et c’est finalement beaucoup de bruit pour rien. Le titre est stable, les combats fluides et seules quelques chutes ont été constatées en coopération uniquement et avant le déploiement du patch day one. Depuis ça roule des mécaniques.
Bam ! Pow ! Kapow ! Whamm !
À deux nombreux égards, le titre semble vouloir aller dans plusieurs directions sans en assumer aucune. Exemple le plus criant, Gotham Knights prend le chemin de l’action-RPG avec toutes les mécaniques qui vont avec. Des niveaux, des arbres de compétences, de l’équipement à looter, de la personnalisation et tout le tintouin. Sauf que le jeu donne l’impression qu’elles ne sont là que pour faire jolie. Le craft n’a ni queue ni tête. On est affublé d’un niveau de puissance qui ne sert à rien dans la mesure où les ennemis n’en ont pas. La difficulté des missions est capée sur le niveau du personnage, alors que celui-ci ne sert qu'à déverrouiller des points de compétence et offrir un multiplicateur de statistiques. En clair, difficile de s’y retrouver clairement dans cet amas de stats qui ne savent même pas sur quel pied danser. Résultat, on loote bêtement, on craft le meilleur stuff possible et on ne se casse même pas la tête à chercher l’optimisation. On ne peut en revanche que saluer le travail sur le côté esthétique de ces équipements. Gotham Knights propose une quinzaine de costumes pour chaque héros. Tous particulièrement réussis et soignés, ils peuvent être moyennement personnalisés. Entendez par là que vous pourrez changer les gants, le masque et les bottes parmi une sélection prédéfinie de trois variations, et choisir les teintes de la tenue parmi des palettes à débloquer. Une fonctionnalité pensée clairement pour les fans de la première heure et qui fait son petit effet, mais qui aurait pu être plus poussée.
Gotham Knights joue aussi la carte de l’entre-deux dans ses combats. Il reprend d’Arkham ses animations, ses chorégraphies stylées, des finish moves très classes ou encore des postures héroïques à toutes les sauces qui forcent encore plus le respect. S’il y a un bon rendu des impacts, on pestera rapidement contre le manque de profondeur flagrant des mécaniques, peu importe le héros choisi. Les combos se comptent sur les doigts d’une main et l’on martèle nos touches comme des furies. Outre l’esquive, on aura le droit à un bouton pour les attaques au corps-à-corps, un pour jeter des projectiles et un dernier pour faire une chope et c’est tout. Pas de contre bien placé, de combos stylés ni quoi que ce soit d’autre. On est sur un service minimum qui s'essoufflera rapidement, d’autant qu’on combattra très très souvent. En revanche, les gadgets d'Arkham que l’on pouvait utiliser en combat sont remplacés ici par des compétences dites d'élan affectées à des raccourcis de touches à la Marvel’s Spider-Man. Elles seront à déverrouiller au fil de l’aventure moyennant quelques défis. C’est d’ailleurs principalement ici que les héros dévoilent leurs atouts uniques puisque chaque personnage, interchangeable entre chaque mission, aura son propre kit. Batgirl sera par exemple spécialisée dans les attaques mono-cible et le piratage, Robin en furtivité et les attaques élémentaires, Red Hood dans les attaques à distance et un peu de magie, tandis que Nightwing fera un peu office de touche à tout très athlétique.
Tous apportent leur propre touche personnelle et un feeling assez différent pour donner envie de les essayer. On aura tout de même vite fait de se cantonner au héros qui sied le mieux à notre style de jeu, mais Red Hood nous a semblé un poil moins agréable à jouer, question de goût avant tout. C’est quand il s’émancipe le plus de la série Arkham que le jeu brille le plus, car Gotham Knights apporte sa propre saveur sur quelques points. Pourtant, à de nombreuses reprises, il montre qu’il ne veut pas s’en défaire et c’est sans doute ce qui le rend aussi frustrant. Les aventures du quatuor reprennent par exemple quelques passages d'enquête sans qu’ils soient vraiment bien fichus. Le jeu mise avant tout sur les phases d'action brutale sans alterner avec de l'infiltration bien fourbe comme on l’aime. Les protégés du Chevalier n’avaient visiblement pas terminé leur formation et préfèrent foncer dans le tas plutôt que d’instaurer la peur chez leurs ennemis et jouer avec leurs nerfs.
Dans l'ombre du Chevalier Noir
Quêtes principales, dossiers secondaires ou activités annexes, peu importe, 90% des situations se régleront aux poings. Le studio nous sert bien une bonne dizaine d’objectifs différents (défense de zone, sauvetage de témoin, bombes à désamorcer, etc…) mais ils ne font finalement qu’office de cache-misère puisque le gameplay n’est à aucun moment sollicité pour donner du grain à moudre aux joueurs. La plupart du temps donc, on arrive sur zone, on vérifie rapidement la menace à grand renfort de scanner multifonction, on élimine les quelques quidams qui ne tiennent pas les rangs et on enfonce nos phalanges dans la gorge de tous les autres. Passé un certain stade de l’histoire, les combats deviennent un peu plus techniques mais pas plus intéressants pour autant. Les ennemis esquivent toutes vos attaques, se fendent dans l’ombre pour mieux attaquer par surprise. L’idée est mignonne, lassante à la longue puisqu’on ne fait que ça et à outrance.
Quand bien même vous aimeriez jouer le plus silencieusement du monde, le jeu ne vous le permettrait pas vraiment. Les ennemis sont souvent en groupe à se regarder dans le blanc des yeux et le level design ne propose généralement que quelques perchoirs anodins (similaires aux gargouilles de la série Arkham), accompagnés de deux ou trois éléments de décor posés ici et là avec lesquels il sera possible d’interagir (piratage, ou à coup de batarang par exemple) pour faire quelques dégâts dans les rangs adverse ou tenter de détourner l’attention. C’est indispensable en solo, puisque les malfrats sont souvent placés par deux, à attendre bien sagement que deux joueurs viennent simultanément leur casser discrètement les côtes. Manque de pot, cette seconde option ne sera pas toujours facile à faire dans la mesure où l’IA est à la ramasse.
Les ennemis sont bêtes comme pas possible en plus d’être à moitié aveugles. Bien qu’il ne soit pas visible, on perçoit clairement que nos adversaires ont un cône de vision ultra restreint qui nous permettra toutes sortes de folies comme assommer un de leur collègue sous leurs yeux, passer devant eux à 5 mètres de distance sans qu’ils puissent nous identifier ou éliminer une personne avec qui ils sont en train de discuter sans éveiller les soupçons. Plus globalement, c’est tout Gotham qui semble avoir des problèmes puisque les piétons sont pratiquement tous suicidaires et n'hésitent pas à couper la route à votre bécane ou rester bien sagement assis face à une armée de mafieux en plein braquage, quand ce n’est pas la police qui préfère harceler des passants à 50 mètres d’un délit grave.
Ce qui manque cruellement à Gotham Knights, c’est un bon équilibre entre les différentes situations, des artifices pour pimenter le tout. À trop casser du malfrat de la même façon, les combats de boss sont une véritable bouffée d’air frais. Là aussi, le titre transpire le jeu service abandonné avec des arènes fermées, des super-vilains qui font office de sacs à PV et qui nous servent tout un tas d’attaques paramétrées avec des AOE marquées au sol. C’est grisant, fichtrement bien mis en scène et les différents effets qui fusent de partout sont particulièrement jolis. Mais là aussi ils se comptent sur le doigt de la main. Avec quelques bonnes idées sous-exploitées, une trame principale qui se boucle en une dizaine d’heures et du contenu annexe redondant qui en nécessite une quinzaine supplémentaire : Gotham Knights nous laisse avec un goût d’inachevé.