Premier jeu du Square Enix Collective, initiative qui pousse des créations indépendantes, Goetia nous vient de Bretagne. C'est Sushee, un studio de Lannion parti pour ressusciter la licence Fear Effect, qui nous propose ce jeu d'aventure bien salé qui, on peut le dire, ne compte pas pour du beurre.
Abigail Blackwood est bien embêtée. Elle est morte. C'est déjà pénible en soi. Mais comme si cela ne suffisait pas, son âme est toujours dans les parages du manoir familial. Elle vient de réapparaître en 1941. C'est bien des années après que la pauvre enfant ait eu la mauvaise idée de plonger par la fenêtre du deuxième étage... Sans filet. Et il n'y a plus personne de vivant aux alentours ou dans la bâtisse. Que s'est-il passé ? Pourquoi est-elle un fantôme errant et, de surcroît, plusieurs décennies après son trépas ? Pourquoi d'étranges glyphes l'empêchent d'accéder à certains endroits ? Autant de questions pour lesquelles les réponses ne vont pas surgir sans un essorage complet de votre cerveau.
Démons teignes...
Point and click pur et surtout dur, Goetia fait tout à l'ancienne. Et c'est pour cela qu'il agit comme un aimant. C'est d'abord son ambiance poussiéreuse, nostalgique et mystérieuse dans la campagne British, avec une histoire de fantômes et de démons que ne renieraient pas Edgar Allan Poe ou Howard Phillips Lovecraft, qui intrigue. La représentation en 2D des différents environnements, assortiments de tableaux fixes somptueux (le manoir, un village, une forêt, des souterrains...) dans lesquels on peut déplacer Abigail, à l'état de sphère lumineuse flottante, où cela nous chante, n'est pas dénuée de charme. La bande-son, discrète mais efficace, ainsi que différents bruitages inquiétants, nous accompagnent avec une certaine malice. Mais ce qui fait la différence, et va certainement diviser, c'est une tendance Cyan (Myst, Riven) et Lankhor (Le Manoir de Mortevielle, Maupiti Island et Black Sect) à forcer la réflexion et l'observation. La difficulté est très présente, envahissante. C'est bien simple : pour (espérer) arriver au bout de l'aventure, il va falloir désapprendre le jeu vidéo moderne, se munir d'un carnet, d'un crayon et se préparer à des heures de lecture et de triturage de méninges.
... Et la Goétie
Poussé par une écriture de qualité et une ambiance remarquable, le joueur ne sera que rarement guidé vers les différentes étapes permettant de faire avancer l'intrigue. Peut-être dans les premières minutes lui dira-t-on qu'un journal permet de savoir quels sont les points d'intérêt immédiats pour débloquer l'accès à de nouveaux lieux où sont, peut-être, disséminés des pistes. Mais c'est tout. Le reste du temps, on est libre. Libre de mettre la souris, à l'utilisation intuitive, où on le souhaite, avec possibilité de faire (sur)briller les éléments à observer où actionner (en pressant "Ctrl"). Car oui, un peu comme Patrick Swayze dans Ghost, notre Abigail peut interagir avec les objets qui l'entourent. Tous les puzzles en dépendront. Et vous aurez aussi le loisir, à défaut d'êtres vivants, de posséder et faire léviter certains de ces objets. Une statuette, un carnet, un manche de pioche, un fusible, une radio, cadenas numérotés, pages déchirées à recomposer... Il faudra, en fonction des tonnes de lignes de texte et d'indices que vous pouvez trouver, deviner quoi faire. Et si Abigail seule peut traverser les murs et plafonds, transporter quelque chose exigera de trouver des portes ouvertes ou des failles...
Le Diable est dans les détails
Cette liberté, le nombre de tableaux à visiter de fond en comble et la difficulté de la grande majorité des casse-têtes font qu'on peut se perdre plus que de raison. Cette sensation de vertige, d'être désarmé, submergé, à l'instar de la fantomatique héroïne, est voulue. A l'époque où l'on vous offre des assistances et bouts de soluces dans tous les coins pour découvrir l'histoire à un bon rythme, Goetia s'en fout. Il n'est pas un Layton. C'est peut-être le reproche principal qu'on pourra lui adresser : il n'a pas peur de nous laisser en plan. Mais à ne pas nous dire que s'acharner sur un endroit n'est pas toujours la bonne solution, à ne pas nous aiguiller vers un pouvoir (comme transporter des objets très lourds) indispensable à la progression, il se coupe d'une frange de joueurs qui vont rebrousser chemin immédiatement. On pourra aussi le blâmer d'être un peu vieux jeu quand, après avoir compris la logique d'une énigme, on ne parvient pas à la résoudre... parce qu'un trigger n'a pas été déclenché effectivement. Par exemple, des morceaux de papiers reconstitués forment une lettre avec un indice. On lit. On sait où aller. Rien ne se passe. Mais si tout n'a pas collé comme le jeu le voulait et qu'on n'a pas entendu un petit son cristallin, hors de question de pouvoir accéder à la suite...
Reste que triompher de la difficulté - avec des moments profondément tordus à base de glyphes à deviner et, surtout, agencer correctement - aura quelque chose de gratifiant. La tentation de chercher la solution sur l'Internet sera grande, presque démoniaque. Mais en résistant vous pourrez vous sentir fort, beau, intelligent. Et découvrir et apprécier une histoire qui ne manque pas de piquant, quand bien même les dénouements (oui, il y en a plusieurs, la "bonne" nécessitant le cerveau de Sherlock Holmes) s'avèrent un peu secs. Peu importe. Comme on dit, ce qui compte c'est le voyage. Et celui proposé par Goetia est plutôt réussi.