L’équipe de Final Fantasy 15, Luminous Productions, se lance dans le grand bain avec sa première création originale : Forspoken. Une exclu PS5 et PC qui a fait parler d’elle, en bien comme en mal, dès son teaser en 2020 jusqu’à son lancement. Cette grosse sortie de janvier 2023 mérite-t-elle toutes les critiques ou louanges qu’elle a reçues ? On s’est immergé pendant des dizaines d'heures avec Frey dans le monde d’Athia pour en avoir le cœur net.
2023 devrait être une année faste pour Square Enix avec l’arrivée de jeux comme Octopath Traveler 2, Theatrhythm Final Bar Line, l’énorme morceau Final Fantasy 16 et peut-être même Final Fantasy 7 Remake 2. Mais c’est avec Forspoken que l’éditeur a choisi d’ouvrir le bal. Anciennement connu en tant que « Project Athia », le titre de Luminous Productions est le fruit d’une collaboration très étroite entre le Japon et l’Occident. On retrouve Bear McCreary (God of War Ragnarok) et Garry Schyman (BioShock) à la musique, Amy Hennig (Uncharted) et Gary Whitta (Rogue One : A Star Wars Story) derrière le concept du jeu, et enfin Todd Stashwick (Malcom, 12 Monkeys…) ainsi qu’Allison Rymer (la série Shadowhunters) au scénario. De quoi faire des étincelles et nous satisfaire ?
Une écriture eFREYante
La vie est loin d’avoir été clémente pour Frey Holland, l'héroïne de Forspoken, qui a du mal à trouver sa place dans le monde tel que nous le connaissons et qui survit à coups de larcins dans l’espoir de s’offrir un avenir meilleur. Tandis qu’elle avait prévu de fuir les rues de New-York, l’échec d’un job illégal vient contrecarrer ses plans mais pas sa motivation à s’en sortir. C’est à ce moment qu’elle est envahie par une mystérieuse énergie qui l’attire vers un immeuble où est entreposé un bracelet. Un bijou magique qui la transporte dans l’univers fantastique d’Athia.
Un monde divisé en quatre royaumes - avec différents biomes (des montagnes, forêts abandonnées et fécondes, de grandes plaines ou encore des eaux scintillantes) - qui étaient jadis des territoires fertiles et animés protégés par quatre Tanntas. De très puissantes sorcières qui, comme leurs terres, ont été corrompues par un étrange mal : la « Brume ». Un phénomène dévastateur pour la faune et la flore d’Athia, mais également ses habitants qui perdent pied et deviennent maléfiques lorsqu’ils y sont exposées… sauf Frey. Pour une raison qu’on ne va pas spoiler, celle-ci est en effet immunisée, ce qui lui cause du tort lorsqu’elle se rend à Cipal, le dernier bastion où vivent les Athiens rescapés. Frey pourrait-elle restaurer l’équilibre ? Certains le pensent, quand d’autres estiment qu’elle est au contraire une menace supplémentaire. Une inconnue qui débarque sans prévenir avec un jean serré, une chemise à carreaux et des sneakers, ça fait peur au peuple d’une dimension parallèle.
En apparence, l’univers et le lore de Forspoken sont accrocheurs, mais voilà, l’ensemble tient difficilement debout en raison de l’écriture. Prenons pour commencer Krav, le bracelet parlant et sidekick de Frey qui lui sera d’une aide précieuse pour balayer l’horizon et afficher les objets importants, repérer les ennemis des environs et leurs faiblesses, et aussi communiquer H24. Et c’est le premier problème, Krav comme Frey discutent beaucoup, beaucoup trop. Toute situation est bonne pour étaler des dialogues assez cringe et qui se répètent continuellement. On a l’impression d’être devant un GTA 4 ou Assassin’s Creed 1 avec les PNJ au vocabulaire extrêmement limité - le fameux « Mer il et fou ! Il va se tuer, ce sera bien fait pour lui ». L’interaction entre les deux personnages est trop souvent forcée et on est loin - très loin - en vérité d’une relation fun comme ça a pu être le cas dans Shadow of the Damned ou Lollipop Chainsaw par exemple. Dès lors, on comprend mieux pourquoi le studio a implémenté une option pour faire taire les deux protagonistes, même si ça n’est qu’un petit pansement sur une plaie béante.
Car oui, cette solution tampon ne peut pas faire oublier qu’on a du mal à s’investir complètement dans l’histoire de Frey, son destin ou celui d’Athia, et à être convaincu par les twists qui tombent comme un cheveu sur la soupe. Un problème de direction d'acteurs ? On le soupçonne. De scénario relativement simple et déjà-vu mais surtout mal raconté ? Totalement. On a la sensation que les auteurs avaient une idée générale, un début et une fin, et qu'ils ont tricoté tant bien que mal pour tenter de relier le tout avec pour conséquence que la sauce ne prend presque jamais. Forspoken s’éternise aussi sur des détails ou protagonistes dénués d’intérêt et en survolent d’autres plus intéressants comme les Tanntas, et ne sait jamais non plus sur quel pied danser entre ton léger (rarement réussi) et faussement plus sombre. Et malheureusement, la mise en scène et la structure du jeu sont du même acabit.
L’open world et la technique de Forspoken pris à défaut
L’introduction ne présente pas Forspoken sous son meilleur jour et fait au contraire ressortir les défauts d’écriture - en matière d'histoire comme de personnages - et le rythme trop haché de l’aventure. Dès qu’il le peut, le jeu adore nous couper pour rien avec une mise en scène vieillotte qui ne sait jamais si elle doit plus tirer vers son côté occidental ou japonais. Un entre-deux boiteux qui rend toute tentative narrative bien vaine et qui est également à mettre sur le compte d'une technique faiblarde, avec notamment une modélisation et des animations qui ne sont pas à la hauteur.
Oubliez la démo fictive Agni's Philosophy d’il y a 10 ans et les divers trailers du jeu, Forspoken n’est ni une vitrine pour la PS5 ni pour le Luminous Engine et accuse d’un sacré downgrade. Des insuffisances visuelles - et techniques avec un framerate qui peut totalement dérailler à 30 comme à 60fps suivant le mode, une qualité graphique abaissée en Performance etc. - qui ne font que renforcer les dialogues et cinématiques gênants et qui nous sortent constamment du récit. Se dire que le soft arrive à être moins aguicheur qu’un Marvel’s Spider-Man sur PS4 Fat, c’est problématique. Mais il fait au moins jeu égal avec la production d’Insomniac Games sur un point, le monde ouvert générique, à la différence près que celui de l’homme araignée est finalement plus agréable avec une trame principale bien mieux maîtrisée.
Comme dit plus haut, Athia est découpé en royaumes - quatre pour être précis - qui sont chacun associés à une Taanta. Vous avez compris le déroulé du voyage ? Non, eh bien on doit se frayer un chemin à travers chaque environnement jusqu’à atteindre l’une des sorcières pour la combattre, et ce en boucle. Si les missions principales et secondaires étaient passionnantes, ce ne serait sûrement pas autant un souci, mais ce n’est pas le cas. Décevantes voire vraiment nulles (nourrir des moutons, faire un tour de la ville avec une mise en scène des enfers…), les quêtes sont accompagnées de tout un tas d’activités annexes qui, là aussi, ne font pas dans l’originalité. Nettoyer un fort, un pont, ou des ruines dans lesquelles se cachent de l’équipement, protéger des citoyens, ça sent le réchauffé et la carte est remplie jusqu’à l’excès de ces tâches répétitives et identiques.
Les donjons, appelés Labyrinthes scellés, qui semblaient intéressants sont au final très petits, communs et d’une platitude extrême. C’est tout le temps un long couloir - parfois avec des routes latérales pour se procurer des objets -, une salle plus grande, un couloir, une salle plus grande, un couloir et la grande pièce d’un boss. Aucun effort dans la direction artistique, l’ambiance ou le level design pour retenir un minimum l’attention et nous donner envie de les visiter, au-delà de la promesse de repartir avec un équipement spécial. La difficulté n’est pas non plus au rendez-vous avec des monstres plus faciles à vaincre que certains ennemis qui se baladent dans la nature.
Cerise sur le gâteau, parce que tout le monde en raffole, les activités se dévoilent sur la map après s'être rendu à des beffrois, plein de beffrois, pour scanner les alentours. On a le sentiment d’un monde bâclé, vu mille fois avec une identité pas suffisamment appuyée, alors qu’il était prometteur sur le papier. Ce côté fantastique façon Alice aux pays des merveilles - auquel Forspoken fait directement référence - est aussi trop peu présent. On a pourtant cru à une embellie au trois quart de notre progression avec cet environnement penché et cette musique enivrante. Mais non, ce n’était qu’une séquence éphémère.
Le bonheur est dans les combats et le parkour
Toutes les activités et les missions ont pour objectif de gagner des points d’expérience et de la mana pour renforcer les caractéristiques de Frey (santé, défense, améliorations passives…), ses équipements (cape, collier, vernis à ongle - original pour le coup) et ses quatre types de magie qui agiront de différentes manières. Par exemple, la verte ou même la bleue sont idéales pour le combat à distance (moyenne/longue portée), tandis que la rouge nous laisse aller au contact en brandissant une épée de feu. Il faut sans cesse jongler entre chacune d’elles pour varier les plaisirs, s’adapter à la situation de l’affrontement et percer les défenses d’adversaires qui pourront éprouver une résistance à certains effets.
Tous les coups donnés aux ennemis le sont grâce à trois genres de sorts (tous améliorables au fil de l’aventure via des défis) : les offensifs pour assaillir nos agresseurs, ceux de soutien pour contenir un opposant en le clouant sur place à l’aide de plantes par exemple, et ceux d’afflux. Ces derniers sont en fait des attaques ultimes qui s’activent après avoir lancé un certain nombre de sorts offensifs et de soutien. Même si les combats demandent de pilonner L2 et R2 à tout va - avec des gâchettes adaptatives qui ont été utilisées de façon trop grossière - et peuvent donc paraître totalement bourrins, les contre-attaques, coups critiques et autres viennent enrichir le système. Et puis finalement, si on y revient, c’est pour le spectacle pyrotechnique offert par l'enchaînement de sorts - quand bien même les carences d’ordre technique - et le parkour qui, comme les combats, évite à Forspoken de sombrer.
Aussi puissante et magique qu’un personnage d’inFamous, Frey est aussi à l’aise dans ses déplacements grâce au parkour et ses différentes capacités. Elle peut se propulser avec un grappin pour se ruer sur l’ennemi, se mettre à l’abri ou atteindre des zones inaccessibles en temps normal, flotter dans une bulle d’eau pour amortir les chutes ou encore créer un hoverboard pour surfer sur un lac. Des compétences mises à profit en combat pour esquiver et créer une dynamique imparable, mais également lors de l’exploration de l’open world.
Sauter sur des rochers suspendus donne le vertige et se révèle aussi grisant que de multiplier les cabrioles pour se défaire de nos ennemis. Une ombre au tableau cependant, la manière d’accéder à ces aptitudes de parkour. Elles se déverrouillent en s’engouffrant dans les diverses fontaines (bassins de mana) semées sur la carte. Aucun défi, une mise en scène minime, pour quelque chose qui aurait pu / dû être plutôt intégrer aux missions principales, pour ne pas avoir à subir davantage un monde générique et sa carte illuminée de partout tel un sapin de Noël.