Phagocyté par le duel FIFA/PES qui perd pourtant chaque année en intensité, le ballon rond virtuel joue sur un tout autre tableau avec la série des Football Manager. Au lieu de s'époumoner aux quatre coins du terrain, les amoureux de ce sport jouent leur vie et celle de leur club sur le banc de touche et dans les bureaux, dépendant de leurs résultats sportifs et de leurs choix tactiques. Une mission devenant chaque année plus ardue car Sports Interactive pointe sa barre d'exigence au niveau Ligue des champions pour donner du fil à retordre à sa fidèle communauté. Nouvelle revue d'effectif avec ce Football Manager 2018, plus immersif que jamais.
Bill Shankly, mythique entraîneur de Liverpool, clamait haut et fort que "dans un club de football existait une Sainte-Trinité : les joueurs, l'entraîneur et les supporters", excluant le président tout juste bon "à signer des chèques". Cela tombe bien, puisque le banni de service a cassé son PEL pour que nous, coach tout puissant mais au statut aussi fragile qu'un son de Drake, puissions remplir l'armoire à trophées, la jauge d'amour et les comptes bancaires de son club. Voilà pour le principe immuable de Football Manager 2018, dernier épisode d'une licence culte pour les tacticiens en herbe et les amoureux de ballon rond. Seulement, chaque année, les développeurs poussent le curseur toujours plus loin pour proposer l'expérience la plus réaliste possible en puisant notamment dans l'actualité, jusqu'à susciter des vocations chez les puristes et à donner des envies d'embauche aux clubs professionnels, surtout dans les domaines du scouting et de l'analyse vidéo.
Quel entraîneur êtes-vous ?
Lorsqu'on se lance à corps perdu dans une partie, un premier choix cornélien s'offre à nous, selon notre culture foot : être catalogué comme un apôtre du jeu léché, en avance sur son temps et prêt à mourir avec ses idées, ou au contraire comme le gourou du pragmatisme qui adapte ses compositions d'équipe et ses choix tactiques au profil de son effectif. Les deux sont envisageables tant FM 2018 regorge de possibilités. C'est d'ailleurs son gros point fort, car un entraîneur doit sans cesse surprendre dans sa façon de manager pour que l'équipe ne ronronne jamais. Idem pour les développeurs qui doivent proposer à chaque épisode de nouvelles choses et donner des clés pour élargir leur champ d'action aux joueurs. Avant son lancement, les médias généralistes ont beaucoup insisté sur le fait que certains joueurs fictifs pouvaient effectuer leur coming-out en pleine saison. Une initiative qui relève plus du coup de pub et du rôle d'alerte sur l'homosexualité dans le foot car dénuée de toutes conséquences sur la vie du club. A choisir, pour cibler un nouveau public, on aurait préféré gérer des embrouilles de vestiaire, des frasques extra-sportives ou bien des guerres ouvertes entre supporters et vilains petits canards pris en grippe. Histoire de mettre définitivement Patrice Evra au placard, par exemple...
Esprit de groupe, es-tu là ?
Mais ce serait terriblement réducteur de résumer ce FM 2018 à cette option futile tant Sports Interactive s'est donné les moyens pour enrichir son titre d'ajustements bienvenus. Parmi les nouveautés, on retiendra le Scouting Center, qui permet de regrouper à la fois les rapports habituels de ses recruteurs, mais également les analyses commandées et les propositions d'agents. La supervision de futurs talents étant un élément prépondérant dans le quotidien d'un club pro, Sports Interactive a souhaité préciser les critères de recherche en développant un budget -plus ou moins ajustable- spécial à ce domaine d'activité. Toujours dans ce souci de réalisme, la notion d'ambiance de groupe a également été revue pour s'adapter à cette nouvelle génération, classée comme ingérable. Il faudra jongler entre les différents caractères de l'effectif pour identifier les leaders, suiveurs et éléments isolés et entretenir une véritable cohésion pour qu'elle se ressente sur le terrain. Une gestion humaine à la "Carlo Ancelotti" qui a toujours su murmurer à l'oreille des stars pour que la mayonnaise prenne. Mais attention au retour de bâton si le vestiaire vous prend en grippe.
Autre nouveauté notable de cette édition, le volet tactique avec notamment un briefing d'avant match, servant à justifier les bien-fondés de vos schémas tactiques et déterminer les points sur lesquels insister pour mettre à mal votre adversaire. L'équivalent d'une grosse séance vidéo, de celles que les joueurs détestent et pendant lesquelles ils piquent du nez mais qui se révèlent forts utiles pour leur progression. Il existe également des fonctionnalités pour vérifier la symbiose de votre colonne vertébrale (défenseurs centraux, binôme d'attaquants,...) et choisir la meilleure association possible, ou encore définir des rôles inédits à vos joueurs (ailier inversé, mezzala, trequartista). Des noms qui parlent uniquement aux férus du foot et qui feront vibrer leur fibre de tacticien influencé par les entraîneurs révolutionnaires. L'immobilisme inhérent à la série en matière d'innovation tactique, alors que le football ne cesse de se réinventer, a enfin été corrigé.
Pas encore champion mon frère !
Seulement, pour marcher sur les traces de leurs modèles, et répondre à toutes ces évolutions tactiques, les aficionados de Football Manager vont devoir maîtriser tous ces paramètres, ou alors déléguer certaines tâches à ses adjoints, ce qui fait grandement perdre en intérêt de jeu. La difficulté augmente aussi du fait de l'aspect psychologique renforcé, et l'on éprouve vite de la compassion pour les managers qui ont du mal à tenir leur groupe, comme Emery et son vestiaire de stars ou Bielsa et son effectif de mercenaire pré-pubères. Surtout, tout ce contenu est quelque peu plombé par une interface parfois illisible, avec son lot d'onglets superflus et d'écrans virant au grotesque. Il est désormais beaucoup plus compliqué de changer sa tactique ou d'analyser les performances de ses joueurs en plein match. Une ergonomie défaillante - et bientôt corrigée par un patch - qui renforce la complexité du titre.
Comme d'habitude, Football Manager 2018 ne s'est pas mis sur son 31 pour cette période de fin d'année. Il a juste investi dans un costard un peu plus classe avec des artifices cosmétiques mineurs (interface d'avant-match façon retransmission TV, animations plus réalistes, outils d'analyses clairs). Mais le smoking ne sied pas à tout le monde et Cristina Cordula conseillerait à son client de sublimer ses qualités et de cacher ses défauts selon son type de morphologie (le fond sur la forme dans le cas de FM). Mais lorsqu'on noircit des fiches de séances et remplit des nuits blanches à peaufiner ses tactiques, la rencontre en elle-même, ne devrait-elle pas être l'élément moteur du jeu ? Vaste débat pour les amoureux du jeu et des talk-shows qui voudront refaire éternellement le match.