Dragon Quest VII a été le jeu le plus attendu à l'époque de la première PlayStation, qu'il s'agisse de son développement interminable ou de l'impatience générée chez ses fans, notamment nippons, au point de devenir le best-seller de la machine sur l'archipel. Pas loin de seize années se sont écoulées depuis, à guetter désespérément son apparition à l'horizon des côtes européennes. Le temps de prendre sérieusement la poussière, surtout pour une série qui ne se distingue guère par son caractère novateur. Cette version revisitée sur 3DS parvient-elle à moderniser suffisamment ce chef-d'oeuvre, sans effacer les lignes traditionnelles qui lui ont valu ses lettres de noblesse ?
"Il faut donner du temps au temps". L'adage se vérifie avec Dragon Quest VII, à bien des égards. Ainsi, il a fallu à l'époque près de cinq ans à Enix pour façonner la suite du sixième épisode sur Super Famicom, une éternité qui ne s'explique pas seulement par la timide transition vers la troisième dimension, ni par l'élaboration d'énigmes afin de rompre la monotonie des donjons, mais avant tout par le scénario littéralement monstrueux rédigé une nouvelle fois par l'infatigable Yuji Horii. Et au delà de considérations religieuses un tantinet délicates, c'est sans doute également en raison de ce script massif que le Vieux Continent a dû patienter jusqu'à aujourd'hui pour découvrir le prédécesseur de l'Odyssée du Roi Maudit, premier "Draque" à avoir défriché nos vertes contrées du temps de la PlayStation 2. Voilà pourquoi la taille imposante, pour ne pas dire intimidante de Dragon Quest VII constitue soit une qualité, soit un défaut. Tout dépend de ce que l'on attend d'un RPG. Une chose est sûre : la Quête des Vestiges du Monde prend son temps pour se raconter.
Pavé de bonnes intentions
Cela se traduit à travers le rythme résolument lent de l'épopée, les nombreuses péripéties qui surviennent chemin faisant, et bien entendu la myriade de dialogues, y compris les discussions optionnelles entre les héros, déclenchées à l'envi - une évolution jadis de cet opus. Qu'il s'agisse de bavardages anodins, de l'expression de sentiments plus intimes ou de silences, ces échanges donnent de la vie au récit, et aux personnages. Idem pour les intrigues que comportent chacune des régions visitées. Leur classicisme apparent cache des histoires bien ficelées, et par dessus tout profondément marquantes, puisque suffisamment de temps est consacré à les conter, voire à les développer, celles-ci se poursuivant même alors que nos compères peuvent voguer vers d'autres destinations. Et pour ne rien gâcher - le contraire eut été un sacrilège - cette finesse d'écriture est merveilleusement retranscrite par la traduction française, aussi soigneuse qu'inspirée. Néanmoins, la trame principale tend à se diluer au fil de ces voyages, l'univers étant par nature fragmenté.
Fragmentation tectonique
L'aventure consiste en effet à collecter les fragments des continents du passé, de manière à reconstruire île par île le monde du présent. Ils se présentent sous la forme de morceaux de pierre qui s'assemblent manuellement, tels des puzzles sur les piédestaux du Sanctuaire, véritable portail entre ces deux espaces temps. Les énigmes qu'il renfermait dans la version initiale ont d'ailleurs quasiment disparu, afin d'éviter que certains ne s'y perdent définitivement. D'aucuns le verront comme un assistanat outrancier, pourtant cela s'avère une judicieuse décision, qui n'altère guère l'oeuvre d'origine, ou en tout cas ne la dénature pas foncièrement. Bien que le studio Heartbeat y ait mis tout son coeur autrefois, ces mécanismes un peu maladroits n'avaient rien d'exceptionnel et la plupart de ceux présents dans les donjons demeurent heureusement intacts. Tout juste constate-t-on parfois de petits ajustements pour faciliter l'avancée et ne pas rester bloqué indéfiniment à cause d'un fragment bêtement manqué dans un puits par exemple...
Nouvelles perspectives
Ce surcroît d'accessibilité se manifeste aussi par l'intrusion d'un étrange sbire en guise de guide, quoiqu'il ne soit pas forcément d'un plus grand secours qu'une voyante pour déterminer la marche à suivre. L'ajout d'indices doublés du détecteur de fragment se révèlent nettement plus utiles pour traquer ces reliques, et explorer ces contrées désormais intégralement affichées en 3D, quitte à pâtir d'un clipping persistant de la végétation. Exit la carte toute plate d'antan, plaquée sur le second écran, les paysages ont pris du relief dont ils jouent pour dissimuler des coffres derrière ses aspérités. Cependant le principal intérêt de cette représentation réside dans l'immersion accrue au sein de ce monde, a fortiori avec les ennemis dorénavant visibles que l'on a loisir de semer si le lieu n'est pas trop exigu, à moins qu'ils ne fuient d'eux mêmes sachant la bataille perdue d'avance. Les combats, toujours furieusement efficaces, se montrent d'autant plus spectaculaires, car en sus des animations distinctes qui signalent les coups critiques, l'équipe se situe ici au premier plan, avec un angle à la troisième personne.
Du présent...
Évidemment, le remplacement des bons vieux sprites par des protagonistes faits de polygones autorise une mise en scène plus sophistiquée, mouvements de caméra à l'appui, en particulier durant les séquences de conversation. Le côté old-school de Dragon Quest n'en souffre nullement, l'usage du cel-shading soulignant les traits si caractéristiques des personnages dessinés par Akira Toriyama. Pareil pour la bande-son, réorchestrée en MIDI avec des instruments synthétiques, contrairement à la mouture japonaise qui avait bénéficié des prestations du Tokyo Metropolitan Symphony Orchestra. Si beaucoup regretteront ces sublimes interprétations, dont l'absence s'explique très probablement par le volume de texte écrasant de cette version localisée, les compositions de Koichi Sugiyama n'en restent pas moins fantastiques, et parfaitement en accord avec le ton traditionaliste de la saga. Hélas, cet aspect s'illustre en parallèle par quelques lourdeurs, notamment dans l'interface désespérément désuète ou la solennité habituelle des sessions de sauvegarde, malgré le rajout d'une option rapide plus contemporaine, et précieuse pour la pratique nomade.
...Au passé
Car la difficulté légendaire de "Draque" est toujours de mise, dès que l'on presse un peu le pas, et là gare aux économies qui ne seraient pas abritées à la banque. Fidèle à son héritage, cette septième itération reprend tout le folklore de ses ancêtres plus ou moins lointains, entre le(s) casino(s), les médailles à ramasser, et le passage par l'abbaye des vocations afin de changer de classe. Un florilège harmonieux de jobs et d'aptitudes cumulables, dont certaines délibérément abusives permettent de se débarrasser des Boss les plus récalcitrants. Et nos chères créatures peuvent encore être recrutées de plusieurs façons, à commencer par les coeurs dans l'optique de récupérer leurs talents spécifiques ainsi que leur apparence. Cette collectionnite à peine déguisée s'inscrit par ailleurs dans une quête fil rouge mieux exploitée. A l'instar du havre où les âmes égarées viennent progressivement transformer leur refuge en une ville florissante définie par sa population, la prairie aux monstres ne se cantonne plus à un zoo pour admirer son cheptel en dénichant l'habitat qui convient aux différentes espèces.
Gravure de tablettes à la chaîne
Il est dorénavant possible de former des escouades de bestioles et de les envoyer trouver des tablettes du voyageur, une autre sorte de fragments éventuellement colportés par l'intermédiaire du StreetPass ou d'Internet. De quoi remplir le cahier des charges technologique de la machine, et se sentir moins isolé dans cette expédition fondamentalement solitaire. Dommage qu'en dépit d'objets quelquefois très rares à dégotter, les dédales ainsi obtenus ressemblent à des (bri)collages réalisés avec les environnements existants. Cela tranche avec le design malicieux des vrais donjons, rendus mémorables par leurs casse-tête qui s'appuient tantôt sur l'architecture, tantôt sur les devinettes. Surtout que Dragon Quest VII ne nécessitait pas franchement d'étendre sa durée de vie, celle-ci tutoyant déjà les 150 heures sans trop s'appesantir sur le programme après la conclusion. Une telle longévité résulte certes des nombreux va-et-vient entre les époques, histoire de contempler les incidences de ses actes sur le devenir de ce monde, une méthode relativement usée maintenant et fatalement redondante.
L'épopée des férus
Toutefois cette structure engendre parallèlement une réelle liberté, et diminue de fait la linéarité du déroulement. Et si Dragon Quest VII se veut volontiers déroutant, ArtePiazza s'est brillamment employé à en gommer les points les plus fastidieux pour mieux laisser la place au mystère. Une approche pas si courante de nos jours pour une oeuvre fermement dictée par la narration, capable de faire verser une larme en quelques mots, sans artifices ni théâtralisation grandiloquente. Pas sûr que tous les aventuriers s'y retrouvent, même parmi les plus aguerris. Mais quand on a l'outrecuidance de glisser le terme sus-cité (ou tant d'autres du même registre) au détour d'une banale discussion, il va sans dire que l'on sait à qui l'on parle, en somme aux érudits de la discipline, prêt à se plonger corps et âme pendant des semaines, voire des mois dans ce périple d'une ampleur absolument phénoménale. La récompense est à la hauteur, avec une impression d'accomplissement comme nulle autre pareille à l'issue de cette quête, fût-elle le vestige d'un temps révolu.