Loin des RPG traditionnels auxquels nous sommes habitués, Digimon Survive fait le pari de miser sur deux genres encore étrangers à la licence : le visual novel et le tactical RPG. Une formule qui peut faire des merveilles comme l’atteste l’excellent 13 Sentinels : Aegis Rim d’ATLUS. Et quatre ans après son annonce initiale, cet OVNI de la franchise est enfin disponible sur PS4, Xbox One, Nintendo Switch et PC. Une sortie qui s’est faite en catimini, sans véritable communication ni fanfare à la surprise des fans. Était-ce mauvais signe pour autant ?

Digital… pays spécial

C’est le printemps au Japon. Les cerisiers sont en fleur et les élèves d’un collège partent dans un camp d'activités extrascolaires dans un coin aussi calme que pittoresque. Le trio Takuma, Minoru et Aoi décident de partir à la découverte du temple local, objet de légendes urbaines. Dans la culture locale, il se raconte qu’un festival s’articulait autour de Kemonogami, des monstres divins auxquels on sacrifiait des enfants pour assurer la prospérité du village. Quelques minutes de marche et un tunnel plus tard, ils ne sont plus chez eux. Des créatures étranges les attaquent, d’autres les protègent corps et âme… Bienvenue dans le Digimonde les enfants.

Minoru

Les fans de la première heure trouveront quelques similitudes avec Digimon Adventure rien que dans le synopsis et ils ont raison. Les points communs vont encore plus loin, puisque certains des personnages du casting font écho à ceux de la toute première saison de l’anime. Takuma est le sosie parfait de Taï, Kaito le grand frère protecteur rappelle Matt, Suki est aussi enjouée que Mimi, Aoi maternelle comme Sora  tandis que Shuji se met la pression parce qu’il est le plus âgé, tout comme Joe. Les nostalgiques redécouvriront les prémices d’une histoire qui leur est chère sous un tout  autre angle. Digimon Survive apporte un regard complètement différent sur la franchise et sa mythologie en racontant une épopée plus sombre et mature qu’à l’accoutumée. Le Digimonde ne va clairement pas épargner cette petite bande de pré-adolescents, se montrant souvent cruel à la moindre erreur. 

On ne s’attendait pas à ce que Digimon Survive soit aussi sinistre et pourtant, il ne démérite pas son PEGI 12. Le visual novel n’hésite pas à aller au bout de son propos et quand il le fait, la narration se montre particulièrement efficace. Le jeu sait surprendre dans ses moments les plus inattendus et choquants. Nombreux seront celles et ceux qui aborderont le titre de manière sereine en se disant que ces jeunes innocents ne craignent rien. Ils sont loin du compte. Hormis le héros principal, Takuma, plusieurs de ses camarades peuvent périr et Digimon Survive peut rapidement prendre une tournure funeste. N’y allons pas par quatre chemins, ce scénario sombre et ce regard plus mature et original sur la série sont clairement les points forts du jeu. On pourrait même aller jusqu’à dire que c’est l’une des meilleures histoires de Digimon. Cerise sur le gâteau, le jeu est entièrement traduit en français.

Digimon Survive test

Il faudra cependant s’accrocher par moments pour en voir le bout, car comme beaucoup de visual novel, le titre prend son temps pour démarrer. Il faudra attendre le chapitre 3, soit quelques heures après avoir lancé le jeu, pour que le scénario ne commence à révéler son plein potentiel. Les enjeux sont malgré tout assez prenants pour nous faire tenir pendant une trentaine d’heures pour avoir le fin mot de l’histoire. Les meilleurs moments et chapitres sont cependant constamment contrebalancés par de grosses longueurs, un remplissage à peine déguisé et une structure qui ralentit un rythme déjà très lent.

Un tactical RPG sans une once de tactique

Digimon Survive se découpe en plusieurs phases. D’abord celles purement visual novel, où les dialogues s’enchaînent pendant de très longues minutes sur fonds fixes avec parfois des images qui défilent. Vous êtes clairement spectateurs et même en aimant le genre, le jeu peut décourager. Le titre traîne trop en longueur, avec des personnages qui aiment parler pour ne rien dire, ou faire le point sur des situations sans raison particulière. Pour dynamiser l’ensemble, le tout est ponctué de choix de dialogues ayant une incidence directe sur l’histoire et le gameplay. Selon la réponse choisie, Takuma se verra affubler de points autour de trois traits : vertueux, courroucé et harmonieux. Ce sont eux qui vont influencer la fin obtenue et surtout déterminer les Digivolutions d’Agumon. 

Digimon Survive test

Sur le papier, la fonctionnalité est plus qu'intéressante et on se prend au jeu en faisant attention à ce que l’on va dire pour tenter d’obtenir l’évolution désirée. Dans les faits, la mécanique est trop téléphonée pour laisser une quelconque surprise. Les choix moraux sont toujours agencés dans le même ordre et le titre nous indique à quoi ils correspondent grâce à une aura de couleur. Du coup, on sait comment influencer les Digivolution et la fonctionnalité phare du jeu perd de son intérêt. Régulièrement, Digimon Survive aura des également phases peu intéressantes « d’Exploration » et « Libres ». Cela se traduit par la possibilité de se téléporter d’un endroit à un autre dans un espace prédéfini pour aller ramasser des objets, parler à ses camarades pour tenter d’augmenter notre affinité avec eux et surtout combattre. On l’oublierait presque parfois, mais il y a bien des affrontements où le titre prend la forme de tactical-RPG. Inutile de prendre des gants, c’est la partie la plus décevante du jeu. Il y a bien des mécaniques liées au placement, au type du monstre qui donne des avantages/faiblesses, des buffs et tout le tintouin, mais Digimon Survive met tellement l’emphase sur la force brute qu'il n'y a aucun aspect stratégique. Il suffit de faire évoluer son compagnon en combat et le tour est joué, vous massacrez en un tour de bras vos adversaires.

À l’instar de Persona 5, il est possible de recruter de nouveaux monstres digitaux via un système de persuasion basé sur leur personnalité. Là aussi c’est plutôt sympathique comme fonctionnalité, d’autant que le taux d’obtention dépend de votre moralité et du type de la créature d’en face. Cependant, puisque le jeu met l’accent sur l’action et que vous aurez les Digimon de vos camarades à vos côtés la plupart du temps, passé un certain stade, elle n’a plus aucun intérêt. D’autant que les créatures Ultime ou Mega « sauvages » sont presque impossibles à recruter tant les taux sont ridiculement bas. Il suffit alors de faire évoluer celles déjà en votre possession grâce aux objets trouvés et vous roulez sur absolument sur tous les ennemis. Il n’y a aucun challenge, aucune tactique, ni pic de difficulté pour peu que vous ayez fait des affrontements annexes, qui finiront vite par lasser. En combat libre, on passe finalement le plus clair de notre temps à courir derrière nos adversaires qui s’enfuient dès qu’on s’approche. Ça fait sourire au début, c’est insupportable à la longue.

Digimon Survive combats

Les développeurs avaient prévenu, le ratio visual novel/combats est de 70/30% mais cela implique de vouloir subir des batailles sans intérêt juste pour faire monter ses créatures de niveau. Difficile dans ces conditions de ne pas utiliser la fonctionnalité de combat automatique lors des petits affrontements qui en deviennent trop frustrants pour s’y attarder. Au final, la seule partie pleinement interactive de Digimon Survive est loin d’être à la hauteur alors que c’est celle-là même qui devait nous permettre de souffler entre plusieurs longues minutes de dialogues interminables. Pourtant, quand les crédits défilent on a qu’une envie : relancer un New Game Plus pour tenter de sauver tous ces personnages attachants et découvrir la vraie fin. Si tout n’est pas parfait, le jeu se distingue des autres adaptations grâce à son écriture plus adulte, son casting qui ne cesse d’évoluer, son folklore qui donne envie d’en voir le bout et sa direction artistique qui nous plonge dans une version originale du Digimonde. Cela implique néanmoins de réussir à faire abstraction de ses défauts les plus rédhibitoires qui auront raison des plus impatients.