Il y a fort longtemps, dans une galaxie pas si lointaine, l'arcade était reine. Et alors que les joueurs d'antan usaient d'une monnaie depuis disparue, il fallait ruser pour trouver le bon équilibre qui ferait oublier l'impitoyable défaite, et claquer de suite une pièce de plus dans la machine. Mais alors que l'arcade mourrait à petit feu, certains genres lui emboîtèrent malheureusement le pas. Heureusement, nous sommes en 2017, et tout est désormais possible.
En effet, Cuphead est le pari complètement fou de deux frangins prêts à tout risquer pour aller au bout de leur idée, à savoir redonner ses lettres de noblesses au "run and gun" de la grande époque, quitte à devoir pour cela quitter leurs boulots respectifs et hypothéquer leurs maisons. De quoi donner une nouvelle définition du terme "couillu" en somme, tant l'aventure ferait fuir d'emblée bon nombre de risque-touts. Mais quand on parle de run and gun, on se moque bien du danger. Le duo à l'origine du projet prend donc le pari de raconter l'histoire d'un autre duo, Cuphead et Mugman, obligés de faire le sale boulot de recouvreurs de dettes musclés pour le compte d'un diable rétro comme on n'en fait plus.
Tu me bottes, Willy
En plus de représenter un genre quelque peu tombé en désuétude, Cuphead s'est avant tout distingué par son esthétique hors du commun : véritable déclaration d'amour aux cartoons des années 30, le jeu propose une direction artistique à tomber par terre et à se pâmer de joie. Il suffit de poser les yeux sur ces véritables tableaux qui composent Cuphead pour comprendre les influences qui ont guidé les frères Moldenhauer tout au long des sept ans de développement nécessaire au polissage de ce petit joyau. Des débuts de l'aventure Disney (impossible de ne pas voir dans le héros un Mickey à peine voilé) aux studios Fleischer (Betty Boop et Popeye pour les plus connus), l'esthétique caustique et à double sens de l'époque anime chaque personnage croisé ou chaque boss affronté.
Et là où l'on sent tout l'amour, la passion et la sueur déployés dans Cuphead, c'est au travers d'une incroyable myriade de détails qui frapperont à coup sûr les passionnées d'animation : si les trames employées semblent dater de Steamboat Willy, les développeurs ont poussé le vice en dessinant à la main les aplats servant de background, ce qui fait du coup ressortir tous les autres éléments comme s'ils étaient animés sur celluloid. L'effet est tout simplement saisissant, en plus d'apporter un petit plus en termes de lisibilité.
L'important c'est Gunstar Heroes
Mais le plus beau jeu du monde serait à jeter aux ordures si le reste ne suivait pas. Et quand on s'attaque à un genre aussi précis et exigeant que le run and gun, il est interdit de flancher. Heureusement, Cuphead bénéficie de la précision d'un coucou suisse en plus d'être beaucoup plus fun. Si le jeu a longtemps été présenté comme un boss rush, le studio MDHR aura su tenir compte des retours en proposant finalement quelques niveaux plus classiques, un peu comme si Gunstar Heroes s'acoquinait avec Alien Soldier, deux titres cultes de chez Treasure, dont Cuphead se réclame à cors et à cri.
On retrouve donc un gameplay nerveux, où il faudra rapidement dompter la maniabilité somme toute classique mais au moins aussi efficace pour ne pas mourir en deux coups de cuillère à pot. Outre le tir amené à s'étoffer par la suite, on pourra rapidement s'équiper d'une arme secondaire, auxquels s'ajoutent un dash (qui à fait couler tant d'encre virtuelle sur la toile ces dernières semaines) ainsi qu'un saut potentiellement doublé grâce au système de Parry. Concrètement, le tutoriel vous apprend de suite à distinguer les éléments roses de tous les autres, car ils permettront donc de ressauter sans subir de dégâts, mais aussi de marquer des points évidemment vitaux pour les acharnés qui iront gratter les meilleures notes.
La fleur au fusible
Car si chaque affrontement est en soi un défi corsé qui confère bien vite au machiavélique, le tableau récap' qui apparaît après chaque victoire différenciera les ninjas surentraînés des simples vétérans du pad. La victoire est toujours jouissive, mais elle n'est qu'une première étape : chrono, points de vie restants et autres jauges de Super accumulées viendront ajouter un challenge certain à un jeu qui n'en manque déjà pas. Avec trois points de vie au compteur, la mort cueille les âmes des défunts par palettes entières, et le premier pattern relevant de la mémoire musculaire sera plutôt celui du quick restart que n'importe quel autre.
Impitoyable de prime abord, Cuphead est old-school dans son design comme dans son apprentissage. La victoire n'est possible qu'à force de répétition. Impatients et colériques, stoppez ici votre lecture, car la gestion de la colère et de la frustration fait clairement partie du jeu. Avec des boss qui passent en un éclair de trois formes gérables à des marathons de cinq phases, auxquelles s'ajoutent parfois des scrollings verticaux ou horizontaux frôlant l'hystérie, Cuphead ne prend pas de gants pour vous annoncer la couleur, contrairement à son personnage principal. Le jeu est en tout cas si varié en termes de contenu et d'approches différenciées que l'on ne s'ennuie pas un seul instant. La question est plutôt de savoir s'il l'on se sent capable de relancer immédiatement un énième run après avoir flanché sur la ligne d'arrivée. Car oui, le jeu prend un malin plaisir à situer votre perte sur une échelle permettant de voir si la victoire était au bout du dash.
À deux Contra
Follement exigeant, Cuphead dévoile néanmoins au fur et à mesure de ses quatre mondes un arsenal que l'on enrichira avec les pièces glanées dans les quelques niveaux de run and gun. L'arsenal qui ne grossira que petit à petit permet de prendre le temps de l'apprivoiser, car les combinaisons permettent au final de changer radicalement l'approche d'un niveau retors. Choisir d'ajouter un point de vie quitte à perdre en puissance, pour compenser par le spread et ses dégâts toujours élevés, puis compléter le tout par une attaque Super offrant un court instant d'invincibilité, voici le genre de choix qui ne se révélera qu'après de trop nombreuses morts au champ de bataille. Qu'importe, la jauge de progression est immense et quasi-continue.
Outre les bonus et autres armes secondaires à équiper, l'ajout d'un pote aux réflexes affûtés permet aussi de faire passer certaines pilules. Moyennant une difficulté rehaussée, le mode co-op offre néanmoins une feature diabolique si correctement maîtrisée : tant que l'un des joueurs reste en vie, il pourra potentiellement faire revivre son pote en effectuant un Parry sur son spectre. Mais il ne faut pas trop rêver non plus : lorsque l'écran oblige à gérer tant de paramètres en même temps, le sauvetage tourne rapidement au drame... Et sans vouloir jouer les avocats du diable, on pourrait presque comprendre (et excuser) l'absence de mode en ligne au vu de la précision nucléaire que nécessite pareil gameplay. Quitte à rager et à rejeter la faute sur l'autre, autant qu'il ait ses fesses posées sur le même canapé que vous, non ?
Deux étoiles sinon rien
Car si Cuphead demeure dans sa grande majorité sublime et lisible, certains niveaux ou phases obstruent parfois inutilement l'écran, au risque de donner du grain à moudre aux mauvais perdants. Un défi aussi relevé exige une précision d'horloger incontestable, sous peine de franchir la ligne rouge et de basculer dans une difficulté insurmontable. Heureusement, l'input lag est tout simplement inexistant, mais la forme semble avoir, en de rares occasions, primé sur le fond. Avec quelques hitboxes pas toujours saillantes (notamment dans les phases de shoot'em up) et des éléments venant obstruer sans raison le premier plan, le jeu frôle la perfection sans parvenir à l'atteindre. Ça n'a peut-être l'air de rien, mais quand on cherche véritablement à doser le jeu (ce qui arrive bien vite une fois que tous les patterns d'un vilain-pas-beau sont entrés dans votre petite tête), la tâche est un peu grosse pour passer crème.
Dans la mesure où l'on passera son temps à relancer un run avant même de mourir, l'ambiance musicale aura également bénéficié d'un soin tout particulier, histoire de ne pas dénaturer une si jolie toile de maître. Jazzy et au grain délicieusement rétro, la bande-son du compositeur semble s'être acoquinée avec les dessinateurs pour rendre une copie au poil. L'attention portée aux détails s'y retrouve également, puisque le thème chanté dès l'écran d'accueil raconte avec une nonchalance toute désuète les mésaventures de Cuphead et de son pote Mugman.