Fort de son expérience dans les jeux de cricket (entre autres disciplines plutôt confidentielles sous nos contrées), Big Ant Studios se lance sur le terrain de la petite balle jaune. Un domaine plus concurrentiel compte tenu des solides références établies en la matière, mais aussi totalement déserté sur consoles de salon depuis de longues années, au point que cette génération n'en dénombre aucun représentant. Doté de la licence officielle des Internationaux d'Australie, AO Tennis parviendra-t-il à satisfaire les amateurs du genre, voire à s'imposer comme un nouveau standard comme il le revendique ?
Le projet tennistique de Big Ant était attendu de longue date, son président Ross Symons ne cachant pas ses (grandes) ambitions dans la discipline. Pourtant ce studio de Melbourne a choisi de l'annoncer officiellement à peine plus d'un mois avant son lancement en Australie et Nouvelle-Zélande, pour coïncider opportunément avec le coup d'envoi de la première levée du Grand Chelem. Une rapidité, pour ne pas dire un empressement assez surprenant, bientôt devenu inquiétant en l'absence de la moindre vidéo de gameplay, et de la sélection extrêmement drastique des journalistes invités à s'y essayer en phase de preview, avec des explications très discutables pour le justifier, en l'occurrence certains éléments confidentiels relatifs à la mise en scène de cette édition du tournoi. Le problème, c'est qu'en ayant l'air de cacher des choses, on laisse imaginer le pire. Or c'est justement l'impression que donne AO Tennis au départ, dans la lignée de sa déclinaison mobile. Sans revenir sur les plantages de la version initiale dès que l'on tentait de commencer une partie, cette production semble d'emblée très sobre, voire carrément austère.
3, 2, 1, AO !
Immédiatement, l'espoir d'admirer un jeu de tennis conforme aux exigences graphiques de cette génération s'évanouit. Les courts issus logiquement en majorité de la côte australienne présentent un aspect sommaire, tandis que ceux sur herbe et terre battue ressemblent clairement aux arènes centrales de Wimbledon et de Roland Garros qui attendraient d'être rhabillées avec les panneaux des sponsors. Les stades de l'Australian Open sont naturellement mieux lotis, en particulier la Rod Laver Arena, murs d'écrans à l'appui, mais même avec l'éventuel éditeur de courts, on doute d'atteindre un résultat vraiment flatteur. Car malgré les variations d'éclairage suivant l'heure, les traces de glissades sur l'ocre ou l'usure au demeurant prématurée du gazon, ils manquent terriblement de vie. En témoignent les ramasseurs de balles et les juges de lignes quasi immobiles, ou le tic de l'arbitre répété avant chaque point. Idem pour le public uniforme à l'attitude robotisée, qui peine vraiment à se réveiller, quelle que soit la teneur des échanges. Cela dit, il n'y a pas de quoi s'enthousiasmer devant le spectacle offert par les joueurs.
Belles gueules de façade
Le rendu plastique de leur musculature, leur chevelure en carton et leurs mimiques souvent caricaturales gâchent le travail de photogrammétrie sur les visages, nettement plus crédibles quand ils sont dénués d'expression, quoique d'une qualité inégale d'un champion à l'autre. Tous partagent en revanche des séquences de célébrations similaires, qui tendent également à tourner en boucle. Plus grave, les gestuelles sont quasiment identiques pour l'ensemble des vedettes, privées par conséquent de leurs coups spécifiques. Autrement dit, il faut pour l'instant se passer du coup droit lasso de Nadal, ou des contres à genoux de Kerber, les deux têtes d'affiche du jeu, un comble quand on prêche l'authenticité ! Heureusement, les mouvements se montrent assez réalistes d'un point de vue tennistique, avec des variations en fonction de la hauteur de la balle et du positionnement. Une frappe trop près du corps ou une préparation trop tardive se traduisent ainsi par des swings étriqués et des frappes bloquées, non sans quelques saccades afin de s'adapter à leur timing d'exécution. Idem pour les déplacements qui manquent de fluidité, ce dont le gameplay pâtit fatalement.
Pro Evolution Smash ?
Au delà d'une lourdeur effarante, leur gestion semi assistée suscite tantôt des accélérations surnaturelles, tantôt des loupés ridicules avec un personnage qui ne réagit pas au passage de la balle à proximité, notamment sur un coup en décalage - à moins de l'avoir manuellement déclenché au préalable par le biais d'une gâchette (et encore). La méthode s'inspire indubitablement de Top Spin, à l'instar de celle d'approche vers le filet, cependant AO Tennis s'appuie sur une formule sensiblement simplifiée. Elle consiste certes à charger sa frappe en amont pour la relâcher au moment opportun, synonyme d'un maximum de précision et de puissance, toutefois un excès de zèle entraîne régulièrement des fautes. La présence de ce phénomène fondamental du tennis est IMMENSÉMENT appréciable, un tel système se rapprochant finalement de celui des tirs au but dans les jeux de football. Il autorise une prise de balle très précoce, pour peu que l'on dose sa préparation adéquatement. Hélas, les sensations ne sont pas au rendez-vous en raison d'un manque criant de punch, surtout que le son des coups évoque davantage le ping-pong.
Coups téléphonés
En outre, certaines frappes paraissent scriptées, à l'image de celles qui partent dans le filet à la vitesse de la lumière ou de volées fulgurantes parfois propulsées directement jusqu'à la bâche de fond. Or l'appréciation de la longueur des balles adverses se révèle ardue quel que soit l'angle de caméra du fait de la physique douteuse, si bien que ces approximations surviennent fréquemment dès lors que l'on prend des risques afin de dominer l'IA, au niveau relativement élevé. L'autre problème, c'est que tous les champions jouent de la même façon, les légères différences résultant uniquement de leurs caractéristiques au lieu d'une éventuelle stratégie. Et plus globalement, l'inertie du replacement encourage une démarche assez statique, au point que les échanges ne s'apparentent guère à du vrai tennis. Sans parler de la colossale base de données sur laquelle se base prétendument la sélection des coups, dont on peine à trouver une quelconque trace au regard de la rareté des montées au filet, de la fréquence des slices de coups droits ou des amorties, souvent dévastatrices en prime. Nonobstant les capacités supérieures de certains, par exemple en terme d'endurance, les joueurs se distinguent donc essentiellement par leur apparence, un côté superficiel que confirme l'éditeur de personnages.
Tennistar Academy
Issu de l'expertise du studio en la matière, le mode académie permet de façonner librement des joueurs et des joueuses de manière détaillée, qu'il s'agisse de leur physionomie, de leur look ou de leurs talents. Néanmoins, en dépit de quelques noms célèbres innocemment proposés parmi ceux appelés à être prononcés par l'arbitre, il s'avère délicat de reproduire fidèlement les stars de la raquette, faute de disposer de la technologie de capture usitée par le studio, et d'un panel de coups plus étendu, le choix se limitant au revers à une ou deux mains. Reste la possibilité d'exporter et d'importer les joueurs en ligne, une ouverture agréable, mais qui constitue aussi une excuse pour laisser la communauté se charger du travail à la place des développeurs. Décidément, cet AO Tennis a un air pour le moins inachevé, comme l'illustrent les doubles complètement ratés en l'état. La machine ne sait clairement pas gérer cette configuration au vu des initiatives sporadiques des partenaires, soulignant du même coup les trous du gameplay. L'usage alternatif du second stick pour de frappes au type automatisé, dans le sillage du "Total Racket Control" de Grand Chelem Tennis 2, apparaît, lui, tronqué, ou au mieux survolé. Enfin, le mode AO se résume à participer directement au fameux tournoi et à lui seul, en guise de mode arcade.
Un début de carrière difficile...
Ce n'est bien entendu pas la philosophie de prédilection du jeu, résolument axé simulation, quoique son principe favorise une prise en main rapide, l'apprentissage plus poussé prenant beaucoup de temps, sans jamais arriver à véritablement le maîtriser, à cause de ses errances. L'intérêt du mode carrière en souffre, malgré les options largement paramétrables (durée de matchs, difficulté). S'il donne le loisir de débuter dans les profondeurs du classement en écumant les tournois futures pour progresser, à mesure que l'on amasse des gains et de l'XP afin d'accéder aux compétitions de premier plan, son déroulement et son contenu sommaires rendent l'expérience fastidieuse, ne serait-ce qu'à force de retrouver les (six) mêmes courts aux quatre coins de la planète. Là encore, il se pourrait que les choses s'améliorent avec de la patience, mais difficile de pardonner de telles lacunes pour un jeu publié sous forme physique. Et l'envergure somme toute moindre du studio n'excuse pas tout, a fortiori quand on le compare à ce que réalisent des petits indépendants avec Tennis Elbow et Full Ace, quasiment en solo.
Un milieu de carrière euh... difficile...
A suivre donc, tant le support de l'éditeur et de la communauté, y compris à travers les compétitions en ligne s'annoncent cruciaux pour le devenir d'AO Tennis, qui rappelle pour le moment les plus malheureux exemples de jeux de tennis à licence (au hasard les Roland Garros signés Carapace). Comment peut-on imaginer que l'équipe de Big Ant comporte de vrais passionnés de tennis, ou qu'ils aient été suffisamment écoutés le cas échéant ? Avoir confiance dans son travail est une chose, le surestimer - sciemment ou pas - en est une autre. De là à y voir de la publicité mensongère, il n'y a qu'un pas (d'ajustement), alors à bon entendeur...