Nos impressions se sont plus que confirmées, Catherine est vraiment tout sauf un jeu érotique ! Le logo rose sur fond noir aurait pourtant du nous alerter... Il s'agit plutôt d'un "horâ gêmu" (un jeu d'horreur). L'ambiance y est lourde, angoissante, mais aussi drôle et burlesque... Le joueur y découvrira Vincent, un jeune fiancé, salaryman, aguiché par une mystérieuse blonde, Catherine, qui va le hanter jusque dans ses rêves. Surmontera-t-il ses problèmes de couple ? Succombera-t-il à la tentation ? C'est au joueur de décider et de se battre pour affirmer à sa promise son amour... ou au contraire la perdre à jamais.
Ce test est une republication du test import originellement paru le 18 mars 2011.
Depuis l'avènement des consoles HD actuelles, il faut bien avouer que l'industrie japonaise a du mal à passer le cap, exception faite de quelques bijoux "techniques" (et on attend toujours The Last Guardian) de grands fauves comme Capcom ou Square Enix. La tendance actuelle passe plutôt par une conception des jeux en partenariat avec les occidentaux voire entièrement à leur charge, à l'image du Castlevania de Mercury Steam en Espagne, afin d'y imprimer une patte quelque peu occidentale. Atlus, avec les contraintes financières qui sont les siennes, et son passif de jeux de niche, prend une voie plus japonaise, et ce n'est pas pour nous déplaire !
L'occidentalisation alla sauce wasabi
A l'image des Chevaliers du Zodiaque, on retrouve ainsi dans Catherine un mélange étonnant de valeurs judéo-chrétiennes très américaines et de concepts syncrétiques chers aux japonais. Un cocktail quasi-Molotov doublé d'un zeste de saké et saupoudré de contradictions qu'on se prend volontiers en pleine face ! Rousseau nous ayant appris que les brunes symbolisaient plutôt la passion et la volupté, et les blondes la pureté et l'innocence, la lecture japonaise de ces codes occidentaux peut surprendre ! En même temps, vous connaissez des vraies blondes japonaises, vous ? Bref. L'histoire de Catherine semble se dérouler dans une métropole américaine, anonyme, avec des protagonistes qui ont tous des traits caucasiens. Ce genre de détails étonnera sûrement beaucoup moins les aficio-ados des animes, mais mérite d'être noté. Malgré le cadre de vie à l'occidentale, l'histoire suivie tout au long du jeu restera narrée sous un angle nippon. On y retrouve tous les clichés de la vie tokyoïte avec les keitai à clapet, les beuv... after-works entre collègues, le studio de 15 mètres carrés, le droit de fumer dans les bars ou même une charmante serveuse au cheveux rouges pétillants qui semble toute droit sortie d'un maid café. Dans le même ordre d'idées, l'attitude du héros Vincent Brooks, tête baissée et mains dans les poches, rappelle certains personnages emblématiques tels un K Dash de KOF 99, un Mugen de Samurai Champloo ou un L de Death Note. Sa façon de déambuler après quelques bières et sakés de trop constitue un spectacle qui nous arrache sans peine un sourire à chaque fois, malgré l'ambiance sombre qui règne globalement dans ce Catherine. Il n'y a guère, finalement, que le barman, le juke box et la pizza au menu du Stray Sheep Bar qui rappellent les États-Unis. Comment ne pas tomber sous le charme de la musique ambiance jazzy du bar des moutons errants ou des versions retravaillées des grands maîtres du classique tel que Chopin, Rossini ou Dvorak qui accompagnent langoureusement les cutscenes et phases de gameplay ? Il n'y a pas à dire, les Japonais sont passés maîtres dans le recyclage des influences occidentales et tout ça avec une classe et une fluidité déconcertantes.
Avec une telle ambiance, c'est clair : Catherine n'est pas destiné aux ados.
La crise de la trentaine...
Teenagers ne jurant que par Naruto, Dragon Ball et autres shônen, passez votre chemin... Vous aurez bien du mal à vous identifier avec les préoccupations maritales de Vincent Brooks. A l'image d'un Heavy Rain où on est invité à faire des choix adultes dans une ambiance de polar pour sauver son enfant, on doit ici faire des choix moraux afin de sauver son couple... ou pas. C'est en effet à vous de voir, sachant que si vous voulez découvrir toutes les fins différentes du jeu, il vous faudra le recommencer en prouvant amour et fidélité à votre fiancée Katherine ou en empruntant la voie obscure avec Catherine. Avec un chara-design sublime, un voice-acting juste célésto-cosmique et un véritable soin porté à la psychologie des personnages, l'identification avec Vincent s'impose comme un atout majeur du jeu, qui nous invite à partager son désarroi et à s'enfoncer avec lui dans les abîmes de la masturbation existentielle. Concrètement, choix moraux et progression narrative auront lieu alternativement entre scènes "réelles", dans le Stray Sheep Bar, et scènes rêvées, pendant lesquelles Vincent devra affronter ses propres démons, en escaladant un assemblage de blocs, métaphore de ses interrogations, tout en tentant d'échapper à une mort cauchemardesque comme on a pu en voir dans un Freddy's Nightmare. Côté gameplay, donc, l'escalade de ces murs rêvés fournit la composante action-puzzle, tandis que les discussions avec les autres personnages, une fois parvenu au sommet du mur rêvé, ou bien dans le monde réel du Stray Sheep Bar, livrent l'histoire et confrontent le joueur aux choix moraux en lui posant différentes questions. Et ces choix sembleront de plus en plus critiques à mesure qu'on prendra conscience de faits étranges rapportés aux journaux télévisés : des hommes adultères meurent, les uns après les autres, dans leur sommeil...
La varappe du cauchemar
Les séquences d'escalade du mur ne représentent donc qu'une partie du jeu. Elles constituent pourtant l'élément d'action principal du jeu, demandant au joueur de réussir l'escalade dans un temps imparti alors que certains blocs explosent, tombent et abritent de multiples pièges. Vincent peut les pousser, les tirer et même s'y agripper et ainsi escalader d'étage en étage tout en ramassant des items lui facilitant son ascension. Mais notre ami aux cornes de mouton et à l'oreiller sous le bras n'est pas seul dans ces cauchemars puisque d'autres hommes-moutons comme lui vont tenter d'atteindre le portail du sommet et ses cloches salvatrices. Certains de ses collègues cornus vont l'aider, d'autres tenter de l'en empêcher. Une lutte sévère s'annonce ! C'est justement dans ces phases de gameplay que vous allez aussi rencontrer les boss, qui sont la matérialisation même d'une angoisse particulière de Vincent. Avec un bébé monstre et d'autres abominations de la nature tels que des seins mutants, il n'y a que son inconscient qui pose des limites. Attendez vous au pire ! Une fois parvenu au sommet du mur, une deuxième phase du rêve, très courte, a lieu. Elle est constituée de discussions avec d'autres hommes-moutons qui ne sont autres que les différentes personnes rencontrées dans le bar. Ils vous livreront plus de détails sur le mystère sous-jacent de ces hommes, morts dans leurs sommeil après avoir eu des relations adultères, dont parlent les journaux télévisés. Certains vont même vous faciliter la tâche en vous enseignant les techniques spéciales de la grimpette ou en vous vendant des objets utiles. En outre, cette phase se termine par la seule composante en ligne du jeu : un sondage de société plus ou moins sérieux dans un confessionnal aux allures d'ascenseur. Ainsi, votre réponse aura une influence sur la moralité du héros mais elle pourra également être comparée à celle des autres joueurs connectés. Un exemple de question : vous est-il déjà arrivé d'avoir le nez qui saigne d'excitation ? Sans commentaire !
Les bars, c'est la vie
Entre chaque passage du rêve à la réalité, différentes cinématiques, en animation traditionnelle, assurent la continuité de la narration. De retour dans le bar Stray Sheep, à l'ambiance également onirique, la discussion reprend avec les personnages. De nouveaux choix moraux continueront de faire basculer Vincent du côté de la luxure ou de le remettre sur la voie des joies conjugales. Pour emprunter la voie des enfers, il faudra envoyer des textos à la jeune Catherine tout en savourant ses réponses aux pièces jointes plus que douteuses. A l'inverse, pour se repentir vers la voie salvatrice, il faudra envoyer des mots doux à sa fiancée Katherine pour calmer ses inquiétudes. De même, en discutant avec les différents clients du bar on peut influer sur leurs destins de façon positive ou négative. Enfin, vous pourrez vous essayer à une borne d'arcade dotée d'un puzzle game nommé Rapunzel (Raiponce), le fameux conte des frères Grimm, qui n'est rien d'autre que la réplique miniature de celui du cauchemar. Seule différence, les limites ne sont pas fixées par le temps mais par le nombre de mouvements autorisés. On ne pourra s'empêcher d'esquisser un sourire en entendant la Danse de la Fée Dragée du Casse-Noisette de Tchaïkovsky, mais rythmée et agrémentée de sonorités façon Tetris... une fois de plus, le jeu gagne en profondeur et multiplie les clins d'oeils. Un vrai régal !
Une difficulté pour adulescents nostalgiques
L'autre signal évident qui confirme la cible de ce jeu, c'est sa difficulté. A côté de From Software avec ses Demon's Souls et 3D Dot Game Heroes, Catherine s'inscrit dans la tradition du jeu trial & error à l'ancienne. En même temps, rien de très surprenant puisque Atlus et sa série Shin Megami Tensei comme ses spin-offs n'ont jamais été réputés pour attirer les joueurs de Wii Fit. Les trentenaires d'aujourd'hui qui ont connu l'époque des Ghouls'n Ghosts, Mega Man, Teenage Mutant Ninja Turtles et autres casse-noisettes sur leur NES bien-aimée seront dans leur élément. Un puzzle game action, réflexion avec un facteur temps, ça ne vous rappelle pas un certain Tetris vous ? Un Tetris hardcore, parce que même en Easy, il faudra s'accrocher, à tel point que les développeurs de Team Persona ont sorti en patch un mode Super Easy suite à quelques plaintes de la part des joueurs malmenés. Ça sent la manette plantée dans l'écran plat tout beau tout neuf, quand même... En effet, dans le mode Easy, même s'il permet de revenir sur ses pas et ainsi d'appréhender sa stratégie d'ascension avec plus de sérénité, les facteurs temps et stress restent toujours présents et en particulier lors des combats contre les boss qui s'avèrent souvent extrêmement frustrants. Frustrantes également, les vues de caméras à l'angle limité qui empêchent de percevoir totalement ce qui se profile à l'escalade des murs, ou nous font perdre de vue le personnage par moments, ainsi que la maniabilité parfois trop sensible (surtout avec les sticks plus mous de la PS3), qui pousse alors à l'erreur. Mais toute cette frustration s'inscrit dans la thématique du jeu et participe une fois de plus à s'imprégner de la sensation de désespoir du héros face à son mur d'incertitudes. La Team Persona en était-elle consciente lors du développement ? J'ai envie de dire oui... Enfin, les joueurs chasseurs de trophées/succès les plus assidus pourront s'essayer aux speedruns en mode hard pour décrocher le perfect, mais là, franchement, ça relève du masochisme...
Une lecture de la société moderne
La thématique de la peur de l'engagement est certes universelle mais touche le Japon bien plus que la France ou les États-Unis qui affichent des taux de natalité presque indécents au regard des habitants de l'Archipel. Avec l'un des taux de natalité les plus faibles au monde et l'effondrement du modèle familial de l'ie, concept de famille élargie ou tous les membres (employés, futurs descendants et défunts inclus) vivent sous le même toit dans un système patriarcal, on comprend aisément que les agissements de chacun des membres puisse entacher sérieusement l'honneur de la famille entière. Bien que ce concept jadis inscrit dans la loi japonaise ait été rayé et remplacé par la constitution d'après-guerre imposée par les américains, il a laissé des traces. Le jeu traite directement du basculement de nos sociétés post-industrielles d'un modèle de famille nucléaire soudée, vers un modèle de famille recomposée, plus ou moins bien toléré suivant les sociétés. Il semblerait que depuis quelques décennies, le Japon en particulier ait du mal à faire cette transition. Ça se traduit par l'essor du concubinage, des mariages de plus en plus tardifs, un taux de natalité en chute libre, des enfants illégitimes mal acceptés, et une jeunesse qui ne se projette plus. Ces interrogations et inquiétudes de société se retrouvent bien sûr majoritairement dans les ouvrages et médias japonais mais arrivent finalement, avec Catherine, au jeu vidéo, qui prend décidément une direction plus mature ces derniers temps, et c'est tout à son honneur.
Catherine est un jeu qui brille par son concept et son traitement adulte et mature d'une thématique de société majeure, mais aussi par son côté burlesque, dans la veine de l'humour de Beat Takeshi. Une grande partie de son charme réside également dans le doublage exceptionnel des acteurs, les jeux de mots et exclamations du héros comme "Yabei !" (de "yabai" qui exprime un danger mais s'utilise aussi pour désigner familièrement des femmes très sexy).
Vous l'aurez compris, on est par conséquent assez dubitatifs quant au futur d'une localisation occidentale, qui risque d'être confrontée à de grosses difficultés. Sans compter que si les aberrations de localisation cultissimes telles que le célèbre "All your base are belong to us" appartiennent maintenant au passé, alcool et sexe restent des sujets sensibles au pays de l'Oncle Sam. On se souvient par exemple d'un Yakuza 3 amputé d'une grande partie des quêtes annexes autour des bars à hôtesses.
Avec une histoire frivole d'amour triangulaire sur fond de polar noir, tout ça combiné avec un puzzle game efficace, Atlus nous livre en tout cas une oeuvre originale qui souffle comme un vent frais au milieu d'une avalanche de FPS. Pourvu que ça continue !