Modernisation réussie d'une licence quelque peu embourbée dans ses dogmes, Lords of Shadow s'est révélé l'une des belles surprises de 2010. Le public a suivi au point que ce Castlevania est, à ce jour, le plus vendu de la série. Pas mal. Un épisode de transition - le très honorable Mirror of Fate - plus tard, la véritable suite sort de la tombe. Elle ne cache pas ses ambitions, au point qu'on peut voir ses dents rayer le parquet. Reste à savoir si en voulant faire s'approcher Dracula plus près du soleil, Mercury Steam et Konami ne lui ont pas brûlé les ailes.
Ce test contient des révélations importantes concernant le premier épisode et Mirror of Fate. Voilà, vous avez été prévenus, vous ne pourrez vous en prendre qu'à vous-mêmes.
Gabriel Belmont a le spleen, le blues. Sa condition de Dracula, omnipotent Seigneur des Ténèbres, ça ne le fait plus marrer. Mettre un terme à son existence, voilà ce que le vampire souhaite. Alors qu'il se réveille un tantinet hagard dans le troisième millénaire, voilà qu'une fenêtre vers le repos définitif s'entrouvre enfin. Zobek, nécromancien qui s'était joué de lui autrefois, souhaite passer un marché. Si l'ex-chevalier de la Fraternité de la Lumière empêche le retour de Satan - passablement agacé d'avoir été envoyé en Enfer dans Lords of Shadow - sur Terre, alors il aura droit à la mort, la vraie. Sauf que les quelques centaines d'années écoulées depuis la dernière fois qu'il s'est allongé dans son cercueil ont affaibli notre héros. Il n'a plus de jus. Il va devoir opérer plus finement pour retrouver sa pleine puissance et anéantir les acolytes d'un ange déchu dont l'arrivée semble imminente.
Modern stalking
Avant de s'attaquer aux aspects ludiques de Lords of Shadow 2, il convient de revenir sur le contexte choisi par ses développeurs. Prenez un siège. Asseyez-vous. Respirez bien. Il va falloir faire un deuil : celui de la richesse des environnements du premier volet. Ici, on évolue dans un futur proche, au coeur d'une ville moderne. Plus question de forêts luxuriantes, des montagnes oppressantes, de brûlants cimetières de titans, de ruines en tout genre. Plus d'ébahissement. D'une ambiance très Labyrinthe de Pan, on passe à quelque chose de plus terne, poisseux. Attendez-vous à des ruelles crades, des entrepôts et des usines aux teintes froides, des musées, églises ou bibliothèques tout aussi austères... Forcément, cela ne siéra pas à tout le monde. Il s'agit d'un parti pris, ancré dans les promesses de l'épilogue de Lords of Shadow premier du nom. En outre, incarner un vampire empêche forcément une balade de jour. Et Dracula est lié à son château... dont les ruines sont les fondations de la cité dans laquelle il a repris conscience. D'aucuns ont reproché au premier volet de ne centrer son attention sur la bâtisse maudite. Ici, elle joue un rôle central. Belmont aura l'occasion de s'y rendre quand il le désire et de constater qu'elle ne désire pas vraiment voir son maître piétiner son immortalité. Tout cela a un impact. Le visuel s'avère moins varié, en dépit de séparations perceptibles entre les quartiers de la métropole et les zones du château. Et affronter, en plus de créatures abjectes, des mechas armés de mitraillettes ou de lance-roquettes, ça peut paraître... inapproprié. Mais c'est comme ça.
Pavé de bonnes intentions
Mercury Steam n'a cependant pas démérité et rien n'empêche de trouver son compte sur d'autres terrains. L'ambiance générale, sombre, sale, sanglante, ainsi que la direction artistique restent, dans l'ensemble, tout à fait honorables. Les architectures privilégient toujours avec efficacité des cadres au ton gothique sans omettre quelques pointes plus oniriques. Et techniquement, si l'on n'est pas allergique au pixel brut, donc à l'aliasing très présent sur les versions console, on trouve peu de choses à redire. La plupart des décors possèdent un rendu impeccable, surtout pour ce niveau, inattaquable, de fluidité dans l'animation, avec des effets de lumière de belle facture. Certes, une poignée de textures paraissent grossières. Il faudra quand même avoir envie de se coller le nez dessus. Les ennemis, et surtout les boss (Gorgones et créatures du fabriquant de jouets en tête), conservent des qualités esthétiques évidentes. Quant aux musiques qui accompagnent chaque pas, tantôt orchestrales et grandiloquentes, tantôt synthétiques, elle sont pour la plupart excellentes. Oscar Araujo a encore accompli un travail remarquable. Enfin, il serait criminel de ne pas souligner la justesse des acteurs (Robert Carlyle qui joue Dracula, Patrick Stewart en Zobek, Richard Madden qui revient en Alucard, pour les plus présents) qui permet à la plupart des cinématiques, à la mise en scène carrée, de faire mouche. Et de participer au désir de ne pas lâcher la manette avant la conclusion.
Château Belmont et bottes de cuir
En remettant Castlevania, l'édifice, au centre des attentions, le titre oublie son prédécesseur. Finis les enchaînements de stages cloisonnés - avec la délicieuse narration de Zobek entre chaque - pour entretenir un esprit arcade. Place au monde ouvert, sans chargement perceptible, dont les obstacles s'effacent à mesure que l'on récupère les pouvoirs perdus. On peut d'ailleurs parler de deux mondes puisque l'on passera, selon les objectifs, du "nôtre" à celui d'un château aux allures de dimension alternative. Quoiqu'il en soit, avant de retrouver ses formidables capacités, Dracula va avoir l'air un peu à poil face à ses adversaires. Et ce durant une grande partie de l'aventure. On nous le fait comprendre assez vite avec des séquences d'infiltration impitoyables. Le but est d'esquiver d'énormes gardes, armés de canons de la taille d'une moto, soit en créant une diversion à l'aide de chauves-souris, soit en se transformant en une meute de rats qui se faufilera dans des conduits d'aération, soit en manoeuvrant pour prendre possession de leur corps. Justifiées et assez gentillettes au début, ces phases vont, par la suite, apparaître moins évidentes. Forcées, même, puisque toutes les aptitudes offensives y sont désactivées. Surtout lorsque le protagoniste a déjà bousillé des monstres de trois étages de haut, on se trouve encore à devoir passer sous le radar de belligérants... que l'on va affronter trois secondes plus tard, aux termes de passages peu inspirés, dirigistes (il n'y a qu'une façon de procéder) et frustrants. Bonjour la cohérence. Et si vous n'avez pas le réflexe d'adopter une forme brumeuse, laissez-moi vous dire que la crise de nerfs va très vite vous guetter au moment où marcher sur des feuilles sèches peut signer votre arrêt de mort. Ces moments de furtivité imposés résonnent comme une bonne intention de varier les plaisirs, mais l'exécution se montre terriblement falote. Fort heureusement, ces moments ne sont pas si nombreux.
Sa Majesté les mouche
Ce qui va occuper la majorité de votre temps, avec une exploration à base de grimpette et quelques - trop rares - casse-têtes, c'est la baston. Et là, difficile de s'avérer déçu. Dans la veine de Lords of Shadow, elle ressemble à ce qu'on peut apercevoir dans un God of War : violent, fluide, instinctif. A la différence que, si Dracula/Gabriel use d'un fouet de sang décrivant des mouvements assez similaires à ceux de Kratos, la maîtrise prend largement le pas sur le button mashing décérébré. Notre monsieur aux grandes canines a beau se révéler encore plus nerveux, féroce et réactif que lorsqu'il était humain, chaque échauffourée, qui ne pose que de rares problèmes en matières de caméra (lorsqu'elle est semi-automatisée) et de ciblage, nécessite une connaissance et une application de timings serrés. Celui de la parade, qui permet quelques secondes de riposte frénétique, et celui de l'esquive, en cas de coup impossible à bloquer (audible et visible). Ca risque d'ê^tre tendu sans un minimum de skill, surtout que chaque antagoniste peut encaisser et casser vos combos comme si de rien n'était, vous obligeant à ne jamais relâcher votre attention. Bien sûr, l'apport de l'Épée du Néant, qui permet de regagner des couleurs à chaque coup porté, celui des Griffes du Chaos, tellement puissantes qu'elles fracassent les armures et boucliers, rendent la tâche plus aisée. Encore faudra-t-il employer ces substituts des magies de Lumière et d'Ombre avec intelligence, en tenant compte de leur portée et de leur puissance, soumis qu'ils sont également à des jauges qui s'épuisent plus vite qu'elles ne se remplissent - via des fontaines, rares, ou des orbes relâchés lorsque l'on enchaîne les combos avec assurance.
Dracul & The Gang
Ne pas oublier non plus que, niveau variété des coups, on ne commence pas très fort. Pouvoir sautiller derrière une bestiole équipée d'un bouclier, en emmener certaines dans les airs ou rabattre ces saletés de harpies au sol, générer une sphère d'énergie aspirante et dévastatrice, ça se mérite. Les points d'expérience serviront à cette montée en gamme, tout comme l'application régulière de ces techniques, utiles pour que la cravache, la lame ou les gantelets gagnent eux-mêmes des niveaux d'expertise supplémentaires (jusqu'à trois maximum), tabassent plus dur et avec plus de variété. La difficulté grimpant rapidement, que l'on parle d'abominations plus impressionnantes ou d'escouades dont les membres gigotent pas mal, ne décident pas vraiment de cogner à la queue-leu-leu et étourdissent sans mal, certaines options vont devenir indispensables. Les dagues de l'ombre qui peuvent geler ou exploser suivant l'arme empoignée, les larmes de saints pour regagner de la santé, les horloges de Stolas pour ralentir un opposant, les sceaux d'Alastor pour améliorer votre niveau de maîtrise, la transformation temporaire en Dragon qui ravage les environs... il y a ce qu'il faut pour rendre le chemin de croix de Dracula un poil moins pénible pour celles et ceux qui ont moins de patience. Il est à noter qu'une boutique, tenue par l'agaçant Chupacabra, permet de se procurer les composants de ces adjuvants si précieux, ainsi que d'autres friandises telles que des clés de catacombes ou des oeufs de Dodo qui apporteront un sympathique soutien dans votre recherche des nombreux secrets que recèle cette suite.
Du sang sur le dancefloor
C'est aussi sur l'exploration, qui confère un certain rythme à un ensemble qui joue beaucoup moins la carte des énigmes (au demeurant très chouettes, comme celle, théâtrale, du Fabriquant de jouets), que l'on se doit de juger ce Castlevania. La vérité est qu'on est plutôt pris par la main dès lors que l'on se contente de vouloir atteindre les objectifs marqués sur la carte (en haut à droite de l'écran). Lors des phases de varappe, coulantes et sans accrocs, qui restent cloquées de petits pièges, on nous indique volontiers, par la présence de chiroptères émettant des sons qui ne manquent pas de rappeler les Batman Arkham, le chemin à suivre. Ce qui n'empêche pas des artworks, cachés dans des éléments destructibles, des boîtes récoltées par 5 autorisant l'allongement des réserves de vie et des magies, ou encore des parchemins creusant un peu l'histoire et bourrés de clins d'oeil d'être planqués en des endroits moins simples d'accès, surtout sans les facultés nécessaires telle que la brume ou le double-saut. Et n'oublions pas ces quatre ensembles de cristaux qui ouvrent des arènes de défis sacrément corsés dans l'échoppe du diablotin. Quiconque pleurera sur une difficulté pas à son goût (quoique, bon courage pour le New Game + en difficulté Prince des Ténèbres tout de même) trouvera là de quoi se sustenter. Au passage, profitons-en pour saluer la désactivation possible des Quick Time Events, qui ne manquera pas de satisfaire les plus allergiques à ce type d'interactions.
De grandes espérances
A l'heure du bilan, on retient que le dernier-né de Mercury Steam ne souffre d'aucun défaut gâchant réellement l'expérience sur le long terme. Des problèmes, il en a. L'infiltration en tête. Pour autant, son gameplay demeure impeccable et le challenge réel. Ses hommages permanents à la saga, avec un château vivant, comme évoqué dans Symphony of the Night, un Dracula dont le rôle évoque des idées susurrées dans le dyptique Aria of Sorrow/Dawn of Sorrow, ses références à Game of Thrones ou au Castlevania de la Dreamcast, annulé, avec un personnage se nommant Victor Belmont, sont plutôt savoureuses. Son scénario, malgré un final qui soulève d'autres questions (et on espère que l'idée n'est pas d'y répondre via des DLC) alors qu'on nous promettait une véritable conclusion, tient véritablement en haleine, avec son lot de mystères, d'intrigues, de révélations, levant le voile sur un antihéros tragique, torturé au plus haut point. Alors que peut-on regretter ? Qu'il n'ait pas réussi à surpasser Lords of Shadow premier du nom. Celui-ci avait tous les ingrédients pour plaire. Le reproduire à l'identique aurait-il était une bonne chose ? La mutation opérée, la difficulté à surprendre davantage jouera, en tout cas, pour certains. Mais il serait quand même fou d'en déduire, trop vite, que ce titre a du sang de navet. Car ce n'est absolument pas le cas.
Lords of Shadow 2 n'est qu'un très bon jeu. Là où je m'attendais à quelque chose de grandiose du même tonneau que l'aîné de la famille. Son contexte et ses phases d'infiltration, l'empêchent d'y parvenir. Mais il ne faudrait pas négliger ses innombrables qualités, sanctionner à l'aveugle. Splendide, agréable et prenant, il propose quand même de quoi passer une bonne quinzaine d'heures - bien plus pour les "platineurs" artistiques - de très haut vol dans ce qu'on pourrait qualifier de mix réussi entre un Batman Arkham et un God of War (en plus technique), baignant dans une ambiance gothique toujours plaisante et irradiée par la rage de Dracula. Une belle dernière présence de celui-ci sur cette génération de machines, en somme. Reste à savoir s'il reviendra nous hanter sur la nouvelle...