Artiste ayant notamment travaillé sur The Binding of Isaac : Rebirth, Matt Kap a pris un peu de son temps libre sur ces dernières années pour créer "un jeu qu'il aurait apprécié enfant". Le style 8-bit de rigueur s'applique, la parenté avec des classiques de l'âge d'or du jeu vidéo aussi... Mais est-ce que Castle in the Darkness propose vraiment une expérience adaptée à tous les âges ?
La difficulté est un argument de vente. L'associer à une réalisation à l'ancienne, avec pixels apparents, palette graphique limitée et chiptune entraînante, ainsi qu'à des commandes qui ne s'éparpillent pas sur une trentaine de combinaisons de touche : le jackpot est à portée de mains. A son orée, ce petit jeu de plate-forme et d'action 2D, coûtant moins de 6 euros sur Steam, séduit immanquablement. On manie avec plaisir ce petit chevalier bleu armé d'une simple épée. Il répond à nos sollicitations avec une certaine vigueur. On a l'impression de découvrir un cousin très nerveux et assez dirigiste des caïds de l'époque 8-bits que représentent Metroid, Castlevania, Wonder Boy, Zelda ou encore Mega Man. Et on songe à Shovel Knight. On se dit qu'on tient son successeur pour 2015.
Franc du boss
Les ingrédients ont l'air d'avoir été savamment préparés par l'unique développeur. Les enchaînements de zones - tenant parfois sur un seul écran - aux climats et tonalités variés abritent des dizaines de monstres différents, des sauts millimétrés, des pièges partout et quelques secrets pas piqués des hannetons. On nage parfois en plein bonheur - hyper référencé avec ses fées qui disent "hey, listen" en vous carottant des points de vie, des clones de Firebrand ou des squelettes armés d'un fouet. Surtout lorsque surgit un boss, rarement de carrure modeste, dont il faut trouver les routines de déplacement fissa. Ces bestioles, dont le trépas booste le capital énergétique d'une mesure, constituent d'abord un obstacle bien compliqué. Armé d'une épée trop petite, clamsant en trois touchettes et vraisemblablement trop vif, le héros n'est pour ainsi dire pas tout à fait équipé. Persévérance, patience et réflexes de feu font le travail. Lorsque les premiers sorts (relâchés après maintien de la touche d'attaque) sont découverts, que les armures se dénichent et que l'arsenal s'enrichit de nouvelles lames plus longues ou à lancer, on commence à mieux vivre ces affrontements qui, pour la plupart, font référence à des streums mythiques de la sphère vidéoludique.
Pique, épique, et colle LE SEUM
Encore faut-il, dans les six "mondes" à traverser, réussir à se guider dans les chemins de traverse obligeant à quelques aller-retours et renfermant souvent des items essentiels pour empêcher la pousse de cheveux blancs. Et encore faut-il, une fois l'acquisition d'une armure, d'un boomerang ou du double saut sécurisée, pouvoir revenir sur ses pas sain et sauf. Et sauvegarder. Ce protagoniste qui file à toute vitesse pour vous forcer au die & retry, avec compteur de décès après chaque échec pour vous coller les boules, va fréquemment devenir victime du sadisme de son concepteur. Le besoin de ce dernier de placer des pointes qui tuent d'un seul coup façon Mega Man et vous donnent l'irrépressible envie de piétiner ce pad qui, d'après vous, ne répond pas bien, frise la démence. Il y en a partout, tout le temps. Lorsqu'ils ne jonchent pas le sol, ils tombent du plafond, d'un coup sec et implacable, sans progression dans la vitesse. Il est même souvent impossible de les distinguer du reste du décor. Par la suite, ils sont conjugués à des projectiles à la trajectoire arbitraire et des briques friables dont il faut s'extirper en moins d'un centième seconde. Ajoutez à cela une hitbox contestable, où une cape qui dépasse vaut un pieu dans le coeur, vous obtenez une vision de l'Enfer.
Checkpoint break
Mourir ne sera pas un problème pour les joueurs chevronnés dont la dextérité et l'acharnement permettront d'apprécier cette très jolie et entraînante expérience S&M. Mais ils ne pourront nier un problème de construction qui, avec les pointes, laisse penser à une finition pas toujours bien pensée : le placement des checkpoints. On ne va pas se plaindre, au moins, ils existent. Mais leur dispersion erratique laisse songeur. A plusieurs screens, parfois compliqués, d'un boss, l'amusement initial peut laisser place à la frustration. Pour un saut, pour un missile lâché au tout dernier moment, on peut tout se retaper. Boss compris si le point de passage suivant se trouve encore enfoui derrière des séquences délicates. Deux rangées de pointe a priori faciles d'accès peuvent vous faire suer plus qu'un pilote de F1 au grand prix d'Abu Dhabi. Surtout à partir du second tiers de l'aventure, la répétition de passages copieux ad nauseum pour une broutille ne conviendra pas à tout le monde, c'est certain. J'ai en tout cas du mal à croire que ma version enfant n'aurait pas jeté l'éponge.
Les premiers instants sont enthousiasmants. Ce titre ravissant semble disposer de fondations aussi solides que les jeux auxquels il ne cesse de rendre hommage. Mais ce qui est d'abord amusant laisse vite place, par touches plus ou moins grosses, à un sentiment d'injustice. Comme si certaines morts impossibles à prévoir n'étaient là pour rien d'autre que le plaisir sadique du développeur, au détriment de l'amusement du joueur. Ce qui n'est pas le cas, par exemple, dans un Shovel Knight ou un Super Meat Boy, ou un Cave Story. Tout cela, on ne peut l'occulter, malgré des sensations et un contenu qui parviennent plus d'une fois à raviver la flamme de la nostalgie avec habileté.