Enfin ! Enfin un nouvel assassin, une nouvelle période, un nouveau moteur ! Enfin, la suite de l'incroyable histoire de Desmond et de ses ancêtres, de la lutte ancestrale entre Assassins et Templiers ! La hype est à son comble, les fans vibrent à l'unisson, et moi je viens de boucler à peu près tout cet assassin à quelques plumes et autres collectibles près. Verdict : j'ai kiffé... mais pas tout de suite et même un peu dans la douleur.
Comme j'ai pesté, au début ! Comme j'ai eu du mal à retrouver mes repères, à me sentir, manette en mains, en contrôle ! Et pour cause. Beaucoup de petites choses ont changé dans cet Assassin's Creed III, et si on ne manquera pas de saluer les prises de risques diverses d'Ubisoft Montreal, pour tenter de pousser plus loin encore leur merveilleuse saga, quand on a ses habitudes, c'est parfois difficile d'en adopter de nouvelles. Mais il arrive aussi, comme avec chaque changement, qu'on grince parfois des dents pour de bonnes raisons.
Je ne comprends pas tout
J'ai bien conscience que je ne joue finalement que depuis vingt ans, et que je suis un peu con, mais tout de même, il y a des choses que je ne m'explique pas dans cet Assassin's Creed. Tout du moins, pas complètement, quand on considère les ressources, le talent, le temps et la réflexion investis dans la conception et l'implémentation d'ACIII. Pour commencer, il y a les changements dans l'interface et l'ergonomie. Certaines actions sont devenues entièrement contextuelles, et on les déclenche parfois alors qu'on ne voudrait pas. L'affichage des objectifs secondaires en mission est trop petit, trop vite effacé de l'écran, et oblige ainsi à recharger inutilement un point de contrôle parce qu'on n'a pas eu le temps d'y faire attention. On s'interroge aussi sur la lenteur des menus, ou encore le choix de ne pas afficher la roue de sélection des armes et des outils en surimpression, ce qui provoque parfois une désorientation lorsque réapparaît l'image du jeu (surtout quand on est déguisé en Red Coat au milieu d'une dizaine d'autres Red Coat qui nous ont démasqué et nous attaquent). On se demande pourquoi on peut siffler depuis une couverture d'angle ou une botte de foin, et pas depuis les hautes herbes. Pourquoi le prix des denrées qu'on peut vendre par convois n'est pas indiqué directement au moment de leur sélection, pour éviter d'avoir à les choisir puis les retirer si elles ne rapportent pas assez. Et puis, tous les tutoriaux du début du jeu échouent à enseigner précisément ce qu'on appelle un "Assassinat en Profil Passif" (astuce : n'équipez pas d'arme) par exemple, en revanche, on me réaffiche toujours, même après 20 heures de jeu, que je dois maintenir RT et appuyer sur A pour faire bondir mon personnage vers un mur opposé. Bref, si vous êtes un assidu de la série, et même un nouveau venu, ne vous étonnez pas si vous ne comprenez pas tout à fait tout au début ; heureusement, l'essentiel finit par être digéré, tôt ou tard, et ne plus agacer. D'autres choses en revanche restent sujettes à débat. Par exemple, pourquoi rendre certaines séquences "interactives" lorsqu'il s'agit simplement d'appuyer sur X, après une cinématique, pour en déclencher une seconde. Enfin, d'autres restent indubitablement des défauts qu'on attribuera sans doute aux limitations techniques de cette génération de machines, comme les nombreuses micro-interruptions à coup d'écrans blancs pour de petits chargements entre deux séquences, qui hachent un peu trop l'expérience, les quelques errances visuelles quand on surprend un peu le moteur et qu'il peine une micro-seconde à afficher ce qui doit l'être, ou, plus grave, les limites du gameplay infiltration que l'IA met parfois à mal soit en réagissant mal, soit pas du tout. Mais, plus on avance, accroché par une quantité de contenu invraisemblable et la découverte d'une histoire passionnante, moins on prête attention à tout cela, car en réalité, Assassin's Creed III se révèle l'épisode le plus satisfaisant depuis le second. Et même plus.
De surprises en surprises
Il faudra se montrer patient, et ouvert d'esprit. Car du début à la séquence mémorielle numéro 5, vous serez surpris par certains choix de gameplay et de narration opérés par les développeurs. Ils ont pris quelques risques, certes, mais nous surprennent plus qu'agréablement, et une fois passé le premier coup de tonnerre d'une révélation savoureuse, les choses ne font que s'accélérer. Et jusqu'au dénouement, on découvre finalement qu'au-delà des nombreuses améliorations apportées par le moteur AnvilNext et sa gestion de la nature, de la météo, des saisons, de la course libre dans les arbres, des comportements des animaux qu'on peut chasser, du nombre de personnages qu'il affiche ou de son traitement de leurs comportements, un peu plus crédible, du raffinement visuel des cinématiques et du visage de leurs personnages, ce qui marque le plus, c'est finalement l'écriture. Les progrès en la matière sont tout bonnement prodigieux. Le récit jongle habilement avec les symétries entre les parcours personnels de ses personnages principaux, et ceux des nations et des valeurs qui s'expriment à cette époque, par ailleurs infiniment passionnante et complexe. Depuis la finesse des dialogues, jusqu'au contraste et à la subtilité des personnages, en passant par des scènes à la limite du poignant tant les liens entre Connor et son mentor, son meilleur ami ou son père sont habilement tissés par la narration depuis le tout début du jeu, on tient là, de loin, l'Assassin's Creed le plus finement écrit, le plus juste, le moins manichéen et finalement le plus mature qui soit. Comme les précédents, il est possible de choisir la langue parlée et la langue de sous-titrage depuis le menu, et je ne saurais trop conseiller par ailleurs de choisir la VO sous-titrée, tant l'interprétation de Noah Watts, qui joue Connor, impressionne de justesse. Ce nouvel assassin, son calme, sa naïveté, son sens de la justice et du combat, aussi touchants que sa jeunesse et ses doutes sur la validité des causes qu'il défend, sur les sacrifices parfois dramatiques qu'il devra consentir au beau milieu d'une révolution brutale, m'ont fait complètement oublier Altaïr et Ezio, relégués au rang de personnages sympathiques de jeu vidéo devant un Connor qui se paie en outre le luxe d'être finalement plus agréable à manier en jeu que ses prédécesseurs. Une véritable furie au combat, et un homme aux multiples talents...
Efficacité à l'amérindienne
Autant on continuera à l'occasion de rater un saut en ayant parfois l'impression que c'est surtout le jeu qui n'a pas suivi ce qu'on voulait faire, ou encore d'assassiner un innocent à cause d'une contextualisation du ciblage parfois un poil capricieuse, autant en combat, tout coule de source, avec une fluidité et une exaltation presque aussi saisissants que ceux d'un Batman Arkham City. La refonte du combat pour permettre ce maniement furieux de deux armes à la fois, d'attraper un ennemi pour s'en faire un bouclier humain devant une ligne de tir qui s'organise devant soi, ou encore de bondir de cible en cible avec précision et rage, est un succès incontestable. Non pas que ceux des précédents épisodes laissent tant que ça à désirer, bien au contraire, mais assurément, Connor atteint dans cet Assassin-ci de nouveaux sommets en la matière. Bien sûr, il trouvera toujours ses limites dans les mains d'un joueur moins habile, ou qui aura cherché à trop en faire seul face à une horde excessivement nombreuse. Cette exaltation, on la retrouve également dans la principale nouveauté de gameplay de cet épisode : les batailles navales. Quel pied que celles-ci ! A fond dans l'esprit Master & Commander, elles m'ont surpris par leur efficacité. Diriger le navire en prêtant attention aux vents, faire feu pour déchiqueter les embarcations ennemies tout en s'abritant lorsque leur mitraille siffle entre les cordages du pont, engager des poursuites à pleine voile sur les vagues d'un océan démonté ou profiter de la brume pour se dissimuler en faisant attention de ne pas accrocher les récifs d'un archipel, aborder un navire ennemi au milieu des cris de l'équipage pour traquer le capitaine ennemi : autant de sensations nouvelles et particulièrement grisantes. Les missions navales sont en outre plus variées que je ne l'aurais cru, et suffisamment courtes pour ne pas lasser. Bref, un contre-point réussi à la terre ferme et au crapahutage dans Boston et New York, qui est peut-être plus réussi encore que celui de la Frontière et de sa nature gorgée de ressources à découvrir.
Un chasseur sachant chasser
La frontière est gigantesque. Connor pourra y faire la démonstration des talents de son peuple pour la chasse. On pistera d'abord différents types de proie en trouvant des indices. Puis on optera pour les meilleures techniques : collet, appâts, ou progression discrète dans les branchages avant de fondre sur l'animal, ou d'ajuster une flèche mortelle tirée à l'arc. Ensuite, on la dépècera pour glaner diverses ressources, qui serviront soit à obtenir de l'argent par la revente via les boutiques des villes ou la préparation de convois terrestres et maritimes qui augmenteront les profits s'ils ne sont pas attaqués. On pourra par leur intermédiaire commercer avec d'autres ressources que celles issues de la chasse, également, puisque Connor pourra se lancer dans l'édification de son domaine de Davenport en attirant de nouveaux habitants aux talents divers : forgeron, taverniers, tailleurs ou médecins, ces personnages donneront lieu à la découverte de petites histoires et missions parallèles qui forgeront également une autre dimension de notre protagoniste métissé, tout en ouvrant un pan de gameplay axé gestion facultatif, mais bien agréable à jouer lui aussi : l'artisanat. Ainsi, ces habitants du domaine permettront de fabriquer divers biens, certains pour le commerce (les convois et marchandises), d'autres pour Connor lui-même (différents upgrades et nouvelles armes dont il faudra trouver les recettes). Même les aspects collection serviront à débloquer des choses intéressantes, qu'il s'agisse des pages d'almanach de Benjamin Franklin qui serviront à fabriquer ses (vraies) inventions, des coffres cachés remplis d'argent et de recettes, ou des babioles de jambe-de-bois qui débloqueront des missions annexes d'un genre un peu à part, soit par leur grand spectacle, soit par leur ambiance chasse au trésor, dans des décors soignés, et qui une fois complétées, feront découvrir un nouvel artefact bien pratique. En ajoutant à tout cela la cartographie des sous-terrains des villes qui permettra également, après une exploration complète, de jouir de tous les points de voyage rapide, la libération des sept fortins du jeu qui ressemble un peu à celle des Tours Borgiennes de Brotherhood, et bien sûr les missions de la confrérie pour recruter plusieurs nouveaux assassins, chacun débloquant une capacité différente de la guilde (assassinat classique, escorte dissimulée, garde du corps, assassinat à distance à l'arme à feu, piège et j'en passe), on en aurait déjà plus qu'assez à faire. Mais ce serait sans compter sur les petits contrats d'assassinat, les missions de chasse des frontaliers, celles des bagarreurs, ou des courriers, ou encore la possibilité de jouer à des jeux d'époque dans les tavernes, de libérer les zones de la côte est de l'influence des templiers en envoyant en mission les assassins recrutés (qui gagneront ainsi en niveau et rapporteront des ressources), ou même de compléter les différents défis (voleurs, frontaliers, etc.) demandant l'exécution d'un certain nombre de prouesses.
Des heures et des heures de jeu
Assassin's Creed III s'impose également comme le plus riche de la saga en termes de contenu. Il y en a même après le générique de fin, au travers d'une friandise aussi sympa à découvrir qu'intéressante à compléter pour la suite... Et puis il reste, bien sûr, l'essentiel : la découverte de cette nouvelle époque historique, dont on sent qu'elle a particulièrement inspiré les développeurs. Passionnante, cette période déterminante pour le visage du monde que nous connaissons, peine un peu à concentrer presqu'un demi-siècle d'histoire dans son récit, mais l'essentiel y est, depuis les figures historiques telles que Georges Washington ou le Marquis de LaFayette, jusqu'aux moments marquants de la révolution vécus de visu, comme la bataille de Bunker Hill ou le massacre de Boston. Une période qui saura à n'en pas douter séduire de nouveaux venus, d'ailleurs, et si vous en êtes, rassurez-vous : si bien entendu certains détails résonneront bien plus chez ceux qui ont suivi la série depuis le début, ne vous inquiétez pas, le jeu est tout à fait accessible pour les autres qui prendront le train de son récit en marche. De toutes façons, il sera toujours temps de lire un peu le résumé des épisodes précédents d'Assassin's Creed si vous voulez mesurer un peu mieux la teneur des révélations de cet épisode. Celles-ci restent moins fracassantes que celles des fins d'Assassin's Creed I & II, mais elles marquent également un tournant bien venu dans le récit, avec une conclusion satisfaisante de l'histoire de Desmond (qui est d'ailleurs plus jouable que jamais dans cet épisode), et de nouvelles découvertes sur les membres de Ceux Qui Étaient Là Avant. Restera à voir quelle sera l'histoire de ceux qui viendront après... Pour patienter, on profitera dès lors du multijoueurs lui aussi refondu à partir des mêmes bases, et dont l'efficacité renforcée n'a d'égale que la qualité de la réalisation (pour le coup, du point de vue graphique, les progrès sont presque plus marquants que dans le solo), et l'étendue du contenu. Les nouveaux modes sont tous réussis, la nouvelle interface plus claire, les aspects sociaux plus développés. Il ne manque guère qu'un mode théâtre comme dans un Halo ou un Call of Duty pour partager des vidéos de ses parties. Le matchmaking est meilleur, le respawn moins hasardeux, et passé l'acclimatation au double système des crédits abstergo / erudito et des niveaux (un peu compliqué puisqu'il faut acheter avec les crédits mais débloquer avec les niveaux), mis en place pour éviter que les adeptes du micro-paiement ne déséquilibrent tout le jeu avec leurs thunes, on découvre beaucoup de nouvelles choses réussies et amusantes à jouer. On pestera peut-être quelques fois à cause par exemple du bouton d'humiliation, désormais le même que celui de l'assassinat, qui rend les choses plus naturelles mais conduit occasionnellement à l'assassinat d'un PNJ lorsque le ciblage change au dernier moment, mais dans l'ensemble, c'est tout de même meilleur encore que les précédents. Le mode Wolfpack satisfera les amateurs de coopératif, et ceux qui apprécient le mythe débloqueront avec plaisir les éléments de l'histoire spéciale du multi, entre la version d'Abstergo Entertainment et les dissidents d'Erudito qui hackent les "serveurs de jeu" pour y révéler leur vision de la Vérité.
On s'est vu, on s'est plu, mais pas tout de suite. Assassin's Creed III et moi, c'est pourtant une histoire d'amour, indubitablement, même si comme souvent, il y a parfois quelques petits trucs qui agacent de-ci delà. Mais quelle richesse ! On a fait plein de trucs ensemble, tous passionnants et savoureux, pendant des heures et des heures.