12 ans après le déjanté et magistral Hotline Miami par Dennaton Games, Devolver Digital édite un autre jeu s’en inspirant largement dans tout son superbe trip sous LSD, mais à la sauce FPS. Débarquait donc le 11 juillet en mettant un violent coup de latte dans la porte Anger Foot, développé cette fois par le studio indépendant Free Lives, également connu notamment pour l’excellent Broforce.
Que vaut donc cette proposition faisant un appel très explicite du pied à la désormais bien connue formule psychédélique de Hotline Miami avec une perspective à la première personne ? Enfilez vos plus belles baskets, on vous emmène avec Anger Foot en balade dans un coin que vous n’aurez certainement envie de visiter que sous l’influence de psychotropes.
Anger Foot met ses pieds où il veut (et c’est souvent dans la gueule)
L’histoire place en effet son intrigue à Merdiqueville, une cité fort bien nommée, dominée par les pires vices représentés par quatre gangs (Crime, Pollution, Finance et Débauche). Une seule personne agit comme un électron libre dans ce cadre particulièrement mal famé, sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit : Anger Foot. Mais cela va changer lorsque les malandrins de la ville auront commis la pire exaction qui soit : lui voler son inestimable collection de baskets Preemos. Notre héros va ainsi mettre les pieds dans le plat, dans leur figure et retourner chaque quartier pour retrouver ces pompes si chères à son cœur. Voilà grossièrement le synopsis du jeu, qui n’est clairement pas son point le plus remarquable. Ce n’est heureusement pas ce qu’on recherche dans une telle œuvre, qui embrasse totalement son aspect purement vidéoludique. On saluera ceci étant dit l’humour caustique et savamment distillé de cet univers qui représente de manière drôlement absurde et caricaturale les aspects les plus sombres de notre société. Chaque gang est bien défini dans ce qu’il incarne, que ce soit par le biais de sporadiques passages d’exposition bien loufoques ou dans le level design de chaque quartier composant Merdiqueville.
Profitons de cet appel du pied pour mentionner la direction artistique du titre, qui se montre plutôt solide grâce à son aspect cartoonesque exubérant, sans non plus trop de fioritures. Cela permet en tout cas au jeu de tourner globalement de manière fluide, malgré quelques soucis d’optimisation quand il y a beaucoup d’effets ou de personnages à l’écran. Nous avons de notre côté pu profiter de l’expérience aussi bien sur PC que sur notre Steam Deck, en faisant toutefois sur cette dernière quelques concessions. Outre son aspect visuel, Anger Foot marquera surtout les esprits de son empreinte (de chaussure) grâce à une bande-son faisant un habile contre-pied à Angerfist, l’artiste bien connu dans le style de musique hardcore.
Comme dans Hotline Miami, nous sommes en effet constamment accompagnés par des sons sous perfusion d’acide et de LSD qui nous plongent également dans un état second psychédélique. Ce parfois de manière littérale, puisque le titre nous invite par moments à ingérer diverses substances aux effets hallucinés (trop ?) bien représentés à l’écran. On pourra cela dit reprocher un léger manque de diversité dans les pistes musicales, qui en rend l’écoute un brin répétitive à la longue. Ce qui quelque part va de paire (de baskets) avec le cœur même d’Anger Foot, sur lequel il se prend quelque peu les pieds dans le tapis : son gameplay.
Hotline Miami au format Foot Pompes Shooter
S’agissant de sa proverbiale boucle (de lacets), Anger Foot propose un cheminement qui ne dépaysera pas outre mesure les habitués de titres comme Hotline Miami. Il s’agira en effet d’évoluer dans chaque quartier de Merdiqueville via des niveaux très courts mais intenses, où notre objectif sera simplement d’aller vers la sortie en dégommant absolument tout ce qui bouge, ennemis, mouches, portes, mobilier et cuvettes de toilettes (occupées ou non) inclus. Pour cela, notre arme principale, et la plus redoutable, sera (on vous le donne en mille) notre pied. Sur le papier, nous pouvons faire l’intégralité du jeu en mettant des coups de latte dans n’importe quel élément qui passe à notre portée. On saluera à ce propos un moteur physique très bien ficelé, qui permet de prendre littéralement son pied en envoyant valdinguer ce que notre puissant peton touche.
FPS oblige, un arsenal très fourni d’armes en tous genres nous passera également entre les mains pour nous aider à dézinguer les malfrats qui ont eu le toupet de nous piquer nos plus belles chaussures. Anger Foot se montre également sur ce point habile dans son game design : chaque pétoire est maniée par un ennemi spécifique, proposant de fait un bestiaire bien garni et diversifié. Cela nous permet par la même à la volée de balancer notre présent outil de mort dont les munitions commencent à manquer, tout en étourdissant notre assaillant, pour ramasser le flingue adapté à la situation. Le titre maintient ainsi la cadence effrénée de ce massacre aussi psychédélique qu’agréablement grisant, dans un ballet que John Wick n’aurait certainement pas renié. L’œuvre de Free Lives ne verse donc pas dans l’originalité par rapport à d’illustres noms dont il s’inspire allègrement comme Hotline Miami. Il a toutefois le mérite de faire les choses bien, avec une économie de touches salutaire. Le tout se montre donc fluide et intuitif, tant au clavier/souris qu’à la manette… quand les choses se passent sans accrocs et que les lacets ne sont pas défaits.
Malheureusement, plusieurs points assez dommageables nous ont empêché de profiter de l’expérience à son plein potentiel. Anger Foot est en effet par définition un die and retry : nos adversaires sont diablement précis et nous mourrons très rapidement si nous manquons de réflexes, nous renvoyant ainsi au tout début du niveau en cours. Sauf que la visée de notre côté est affreusement hasardeuse, nos armes affichant une dispersion lamentable. Il nous est en effet arrivé beaucoup trop régulièrement de vider un chargeur, le viseur pourtant en plein sur notre cible, et tout mettre à côté, passant bêtement de vie à trépas dans le processus. L’arme la plus fiable reste donc globalement notre coup de pied, et encore, la hitbox des ennemis se montrant également un tantinet approximative. Lorsque le jeu nous noie d’ennemis, la seule solution viable reste alors souvent de se cacher au coin d’une embrasure de porte et d’attendre que nos assaillants viennent littéralement offrir leur visage à notre tatane vengeresse. Ce qui vient sérieusement casser un rythme qui se veut frénétique, mais contre lequel nous devons constamment appuyer sur la pédale de frein, au risque de recommencer un niveau en boucle en raison de ces désagréables imprécisions.
C’est donc à la longue clopin-clopant que nous allons au bout de chaque quartier, agrémenté en moyenne respectivement d’une quinzaine de niveaux. Ceux-ci proposent par ailleurs une architecture constamment changeante et un gimmick propre qui viennent heureusement varier l’expérience de jeu, malgré les travers précités. À l’issue d’un bottage de fesses et d’une pluie de balles à la précision toute relative en règle, nous arrivons enfin devant le boss de chaque gang. Et là encore, le constat n’est hélas pas fameux. Les combats contre eux sont ronflants, puisqu’il faut souvent attendre sagement qu’ils terminent leurs patterns pour devenir vulnérables à un coup de pied bien senti dans le fondement. Bis repetita de cette formule pendant leurs trois phases, jusqu’à ce qu’enfin ils rendent l’âme, et la paire de baskets qu’ils nous ont honteusement subtilisé. Gageons que les speedrunners vont détester cette partie du jeu. En dépit des soucis de rythme des niveaux de base, on les préfère en tout cas de notre côté largement au soi-disant pinacle de chaque biome d’Anger Foot, qui se présente plus comme une gageure jusqu’au prochain shoot d’adrénaline sous acide qu’autre chose. Tout cela pour dire que les boss ne sont clairement pas son point fort, nous ayant assez désagréablement pompé l’air.
Défis laids de baskets
En parlant de pompes, vaincre le boss de chaque quartier nous récompense d’une des paires de baskets volées à Anger Foot. Celles-ci disposent chacune d’un pouvoir particulier, activable via une touche dédiée depuis le Patch Day One du jeu (dans notre version de test antérieure à sa sortie, cela se faisait via le bouton pour effectuer un coup de pied, ce qui rendait leur utilisation terriblement peu intuitive). Il ne s’agira d’ailleurs pas des seules grolles que nous pourrons récupérer pour profiter d’autres facultés. Il existe en tout 23 paires à collectionner, qui fonctionnent de manière très similaire aux fameux masques d’Hotline Miami (têtes plus grosses, taille réduite de notre personnage, double saut, gain de vitesse en shootant une porte, ennemis explosant après un bref délai, parmi tant d’autres exemples). Hormis les 4 remportées en battant les boss, les 19 restantes sont déblocables en réalisant divers défis dans chaque niveau du jeu.
Par ce biais, Anger Foot tente donc de nous encourager à utiliser à bon escient ses différentes mécaniques de gameplay. Nous avons par exemple pour objectif de finir un stage en un temps donné, en n’abattant personne, ou en n’utilisant pas d’armes à feu ou inversement sans donner des coups de pied, entre autres. Sur le papier, l’idée est bonne et ajoute un peu de piment à l’expérience globale. La réalité est cependant assez différente, et certaines tâches ont été à deux doigts (de pied) de nous donner des furoncles tant leur réalisation était fastidieuse, en partie en raison des frustrants problèmes de précision mentionnés plus haut. D’autant que le jeu n’en vaut que rarement la chandelle, de nombreuses baskets ayant une utilité toute relative ou un effet spécial parfaitement anecdotique, qui nous fera souffler du nez une fois, avant de finir dans le placard et prendre la poussière. En raison du caractère très punitif du titre, notre paire préférée (mais clairement pas la plus élégante) s’est révélée être les Saintes Sandalettes, nous octroyant une très précieuse vie supplémentaire. Certains défis nous demanderont cependant de porter des chaussures particulières, voire d’y aller dans notre plus simple appareil : pieds nus.
Fort heureusement, il n’est pas nécessaire de finir à 100% la soixantaine de niveaux que propose Anger Foot pour collecter tous les accessoires pédestres du jeu. Cette littérale épreuve et la complétion de « l’histoire » nous ont en tout demandé une douzaine d’heures. Une durée de vie relativement modeste, mais qui selon nous est suffisante. Nous tenir la jambe trop longtemps aurait probablement nui au titre de Free Lives, en raison de ses nombreux petits défauts, mais qui mis bout à bout entachent malheureusement le plaisir et lui font perdre autant pied que quelques points à nos yeux. À tel titre que, contrairement à Hotline Miami, il semble peu probable que nous y retournions pour une petite session de distribution de tatanes en règle pour tenter de compléter les défis qui nous manquent ou battre nos meilleurs temps dans chaque niveau. Là se trouve malheureusement toute sa rejouabilité, aucun mode « endgame » n’étant à signaler. Il appartiendra donc à tout un chacun de juger si cette paire de baskets colorées et aguicheuses mais aux coutures un peu lâches vaut son tarif de 25 euros.