Lorsque l’on évoque l’histoire du survival horror et la naissance de Resident Evil, l’une des licences les plus prestigieuses et anciennes du genre, le jeu japonais Sweet Home est systématiquement cité comme étant la principale référence. Ça va d’ailleurs même au-delà de la simple inspiration puisque la franchise de Capcom est née avec l’idée de créer une suite spirituelle à ce titre NES de 1989. Mais ce serait vite oublier une autre influence prédominante, celle d’Alone in the Dark réalisé par le français Frédérick Raynal (Little Big Adventure). Après quasiment 10 ans d’absence, la saga est sur le point d’être ressuscitée par Pieces Interactive (Magicka). Un geste louable ? Nos pérégrinations dans les couloirs de Derceto ne se sont pas déroulées comme prévu.
Ressortir des gloires du passé peut sembler être un exercice facile, mais dans les faits, ça ne l’est pas vraiment. Le succès du remake de Resident Evil 2 a toutefois ouvert une grosse brèche dans laquelle les studios et éditeurs n’hésitent plus à s’engouffrer. En 2023 par exemple, on a assisté à la renaissance ô combien réussie de Dead Space. Et en attendant Silent Hill 2 Remake, Alone in the Dark tente d’imiter ses petits camarades avec une réimagination / reboot de l'œuvre originale, jugée révolutionnaire à l’époque.
Le taulier Alone in the Dark de retour
Alone in the Dark nous ramène dans la Louisiane des années 1920 pour une relecture du scénario original. Ici, la jeune Emilly Hartwood embauche le détective Edward Carnby pour enquêter sur la disparition de son oncle, Jeremy Hartwood, du manoir Derceto après la réception d’une lettre pour le moins dérangeante. L’homme n’est donc plus mort d’un suicide dans le grenier du dit lieu, contrairement au jeu de 1992, mais sa vie semble toujours en danger. Pour tenter de le sauver, et avoir encore deux points de vue d’une même histoire, on incarne successivement Emily et Edward, en sachant qu’on est libre de prendre l’un ou l’autre des personnages au début de l’aventure. Le paysage vidéoludique étant ce qu’il est aujourd’hui, avec des moyens bien plus colossaux, les développeurs ont aussi fait appel à de réels acteurs pour jouer les deux protagonistes. On retrouve ainsi Jodie Comer (Killing Eve) dans la peau d’Emily Hartwood et David Harbour (Stranger Things) en tant qu’Edward Carnby.
Sur le papier, Alone in the Dark fait donc en sorte de respecter l'œuvre originelle, en accordant un soin encore plus important à la narration et en l’amenant dans une autre dimension avec des comédiens qui ont de l’expérience. Les intentions sont là, mais le résultat ne suit pas, le jeu se perd assez rapidement et nous perd par la même occasion. D’emblée, on a extrêmement de mal à trouver de la crédibilité dans les événements qui se déroulent sous nos yeux, et dans les réactions des personnages. Nos deux protagonistes ont cette tendance à être constamment dans le brouillard, tout en acceptant tout ce qui se produit ou tout ce que les autres PNJ peuvent leur dire, sans sourciller. Des comportements qui témoignent d'un gros problème de dissonance ludonarrative.
Alors oui, d’un côté, on peut facilement se dire que ça fait partie de l’histoire et de cette atmosphère étrange qui se dégage tout du long. D’autant plus que Pieces Interactive revendique des influences bien spéciales dans leur genre : le film Angel Heart d’Alan Parker (Midnight Express), avec Robert De Niro et Mickey Rourke, ainsi que la phénoménale série Twin Peaks de David Lynch. On perçoit bien cela ici et là, mais Alone in the Dark ne boxe définitivement pas dans la même catégorie et il en est même très loin. Il n’y a pas de problème à avoir une narration fouillie, nébuleuse, mais encore faut-il savoir retomber sur ses pattes et captiver le joueur, ce qu’il n’arrive pas à faire. N’est pas Remedy (Control, Alan Wake…) qui veut…
De même, avec un tel casting vocal, on s’attendait à un bien meilleur jeu de la part des acteurs et surtout à une plus value. Hors, là, on ne peut que ressortir complètement déçu par ces têtes d’affiche. « ll est capable de rendre drôle les moments marrants, et les moments dramatiques très intenses » pouvait-on entendre il y a quelques mois au sujet de David Harbour, de la part du scénariste Mikael Hedberg (SOMA). Ne cherchez pas des choses à même de vous émouvoir ou de faire rire, vous allez faire chou blanc. David Harbour est pourtant un très bon acteur, mais son talent ne transparaît jamais, il est là sans être là et il a l'air de lire des lignes à la chaîne, tout comme sa camarade de jeu. Et le manque de moyens, qui se répercute sur la modélisation, l’animation et les expressions des avatars des deux comédiens n’arrange rien. Il y a de vrais gros ratés dans tout ce qui touche à l’enrobage narratif et à la mise en scène des événements.
Un air déjà-vu de Resident Evil
Et pourtant, Alone in the Dark est assez singulier et profite d’une ambiance générale qui aurait pu être extrêmement prenante. Avoir un survival horror qui se déroule dans une région comme la Louisiane, qui a de solides références cinématographiques, couplées à une atmosphère film noir, ça sort très clairement du lot. Sans compter que l’enquête d’Edward et Emily est ponctuée par de gros morceaux doom jazz, là encore, très rafraîchissants. On voit donc que ce remake a indéniablement des qualités, mais on a uniquement la sensation d’un potentiel complètement gâché à la fin. La mise en scène reste beaucoup trop plate comme tout le reste d’ailleurs, alors même que le titre ne lésine jamais pour nous balancer des séquences plus oniriques au visage. Le manoir Derceto n’est pas un lieu comme les autres et vous le verrez dès les premières heures.
Mais voilà, en dépit de cela, on est davantage le spectateur d’un enchaînement de scènes qui ne nous emportent jamais, qui ne nous effraient jamais ou qui ne nous mettent même pas sous tension. C’est plutôt l’ennui qui s’empare de nous et freine régulièrement notre envie d’aller plus loin dans cette aventure qu'il faut davantage rapprocher d'un thriller que d'un survival horror. Et la rencontre avec le premier ennemi illustre d’ailleurs assez bien les nombreux reproches que l’on peut faire au jeu. C’est un moment comme un autre et qui n’a toujours aucune incidence sur nos deux protagonistes. Un peu comme si un collègue de travail vous faisait la discussion en vous disant qu’il a mangé une pomme à midi. Inintéressant au possible, n’est-ce pas ? Bon bah c’est pareil.
De ce fait, c’est réellement compliqué, voire clairement, impossible de justifier une deuxième partie pour nous, d’autant que l’aventure est très similaire d’un personnage à l’autre. Les deux versions de Resident Evil 2 pouvaient se permettre d’adopter un tel format, avec plusieurs scénarios, car la base était en béton armé. Ici, ce n’est pas du tout le cas. Alone in the Dark Remake échoue également lamentablement lorsqu’il veut instaurer des scènes plus dynamiques de fuite - avec les protagonistes qui peuvent être bloqués brièvement en pleine course le temps que le script démarre bien - ou même un certain rythme et à le maintenir.
La faute à une place trop importante accordée à l’exploration et aux énigmes ? On pourrait être tenté de le dire, mais ce serait mentir. Le fait qu’Alone in the Dark ne verse pas dans les combats à outrance n’est pas le principal problème. Les casse-têtes sont d’ailleurs l’une des colonnes vertébrales du genre survival horror, et c’est donc plutôt à l’honneur du jeu de respecter cela. En revanche, la variété de ces derniers manque cruellement et on tourne vite en rond. La majorité des énigmes demandant de remettre dans le bon ordre les pièces d’un dessin par exemple. Et c’est plus que dommage dans la mesure où le titre fait l’effort d’offrir une expérience à l’ancienne pour les joueuses et joueurs qui le souhaitent. En effet, on peut choisir entre deux modes, « Moderne » et « À l’ancienne », avant même de sélectionner son personnage. La différence ? Le premier prodigue des conseils et informations pour progresser, comme sur n’importe quel jeu d’action-aventure. Le second, lui, désactive ces aides pour vous laisser plus réfléchir comme à l’époque des vieux Resident Evil. Par exemple une option, réglage indépendamment du mode Moderne, peut mettre en évidence les casse-têtes qui peuvent être résolus sur la carte quand vous avez réuni les éléments nécessaires.
De l’action moderne qui laisse à désirer
Alone in the Dark fait donc preuve de plus de modernité vis-à-vis des énigmes, sans gâcher le plaisir de celles et ceux qui ne veulent pas qu’on les tienne à 100% par la main, mais également de ses combats et des commandes tout court. Terminés les angles de caméra fixes et les contrôles Tank, ce remake est désormais à la troisième personne comme les récents titres, dont RE2 Remake, Resident Evil 4 Remake etc. Pour le meilleur ou pour le pire ? On est malheureusement suffisamment âgé pour être de la vieille école, mais l’on accepte les deux approches. De toute façon, Alone in the Dark version 2024 n’aurait sûrement pas pu se vendre en conservant de bout en bout l’ancien type de commandes et de caméra.
Maintenant, le hic, c’est qu’il y aussi un manque clair et net de finition dans les affrontements. Les déplacements sont lourds, mais ça correspond avec cette idée qu’on doit se sentir faible et non être une machine de guerre. Néanmoins, c’est loin d’être optimal et on s’est retrouvé dans l’incapacité de tirer une deuxième balle avec notre fusil de chasse à différentes reprises. Quand on est acculé dans un coin avec ou plusieurs ennemis, et qu’on ne peut pas se défendre, on serre les dents. Une défaillance gênante dans la fluidité des actions qui peut, selon ce que l’on a pu voir, être compensée par l’utilisation de l’esquive. Car oui, il y a un bouton pour s’échapper avant une attaque, mais le jeu ne vous le dit jamais. Heureusement qu’appuyer sur tous les boutons fait partie de l’expérience de n’importe quel titre…
Parfois, c’est le level design qui brouille les combats et les complexifie pour pas grand-chose. C’est particulièrement visible durant le combat de boss final, où l’on peut par moments rester bloqué et mourir avec un seul coup, en raison de l’agencement de la scène. Mais aussi lorsqu’on nous invite à saisir des cocktails molotov ou des briques dans le décor afin de brûler nos adversaires ou de les temporiser. Un gimmick qui a peut-être été repris de The Last of Us 2, mais c’est loupé ! Les outils sont finalement plus accessoires qu’autre chose étant donné que les ennemis sont très peu résistants et que les munitions sont en nombre si vous vous contentez du mode Normal. Si vous montez d’un cran, ils seront alors plus robustes, mais comme les combats ne sont pas le fort du jeu, il n’y a pas grand intérêt à aller chercher une expérience plus hardcore.
Le bestiaire est également très faible, mais en revanche, le rendu des armes est plutôt satisfaisant. On a toujours l’impression de tirer sur des cibles un peu en mousse, mais au moins les pétoires ont un bon impact. Quand ce n’est pas le level design, les combats ou des bugs de collision qui ralentissent, voire empêchent notre progression, c’est la technique qui se met à vaciller. Si vous voulez éviter toute frustration, faites une croix sur le mode « Qualité » à 30fps victime de frame pacing comme d’autres softs. De toute manière, vu que le jeu n’est pas un foudre de guerre, vous n’y perdrez pas forcément. Cependant, vous gagnez nettement en fluidité, et là, ça va tout changer. Une nouvelle fois, le manque de finition global se fait remarquer.