Cette nouveauté a de quoi faire dresser les poils de nombreux fans du studio puisque l’on retrouve à la barre plusieurs des créateurs originaux du premier Life is Strange. Don’t Nod mise largement sur ses racines en mettant en avant la licence qui l’a fait connaître aux yeux du monde entier pour promouvoir sa nouvelle création. Cette filiation devrait parler aux fans qui retrouveront en cette première partie une certaine nostalgie et un regard sur une jeunesse en quête de construction de soi qu’on a déjà expérimenté avec Max Caulfield et les héros qui l’ont suivie. Mais Lost Records ne serait-il pas qu’un écran de fumée ? Est-il vraiment à la hauteur de ses promesses ? Voici notre verdict sur son premier chapitre “Tape 1: Bloom”, en attendant la sortie de la deuxième partie le 15 avril 2025.

Un été qu’elles auraient préféré oublier définitivement

Il fait nuit quand Swann Holloway se gare sur le parking du Blue Spruce, un bar en bord de route, installé dans Velvet Cove, un petit patelin du Michigan. Ça fait presque 30 ans que l’héroïne de Lost Records n’y a pas mis les pieds, mais, si elle est là ce soir, ce n’est pas un hasard. Elle s’est donnée rendez-vous avec de vieilles amies qu’elle avait perdues de vue à la suite d’un événement mystérieux entouré de phénomènes surnaturels. Cependant, des souvenirs douloureux refont surface malgré elles. Le moment est donc venu pour ce quatuor de se retrouver et de faire le point sur l’été 95.

Lost Records - Tape 1 Bloom
Swann, toujours sa caméra à la main. © AUR pour Gameblog

La narration de Lost Records se structure sur deux plans, jonglant entre des passages dans le présent et des flashbacks de cet été si particulier. Progressivement, la solitaire Swann, vidéaste en herbe, se remémore sa rencontre avec ses meilleures amies de l’époque. Ainsi, en observant l’environnement autour d’elle ou en dialoguant avec d’autres au bar, elle retrace les derniers moments de sa vie à Velvet Cove avant de déménager avec ses parents au Canada. Dans ce contexte de départ imminent, cette relation naissante avec des personnes avec qui elle se découvre une proximité inespérée a comme un goût de « maintenant ou jamais ». Alors, Swann, comme ses nouvelles comparses, est bien décidée à profiter au maximum du temps qu’elles ont ensemble. Tout devient alors intense, peut-être trop intense…

Ainsi, la première cassette de Lost Records nous repasse le film de cet été 95 avec une intensité qui monte crescendo. Même si tout l’envers du décor n’est pas entièrement dévoilé au cours des 5 heures de jeu de cet épisode, Don’t Nod crée une tension grandissante qui trouve son point d’orgue dans les derniers instants. Au début, on se croirait dans Les Goonies avec ces jeunes filles qui nouent une amitié unique bientôt renforcée par l’appel de l’aventure, jusqu’à ce qu’un tournant vienne tout bousculer.

Difficile ensuite de ne pas penser à la série Yellowjackets, tant la structure narrative y ressemble. On y retrouve cette même tension autour d’un mystère qui plane sur un lieu caché exploré par des adolescentes qui en ressortent profondément et tristement marquées… Dans les deux cas, les secrets se dévoilent à grand renfort de flashbacks ravivés par les interactions au présent.

Tout au long de cette première cassette de Lost Records, on s’interroge sur ce qui est arrivé au terme de ces vacances estivales et ce que sont devenus les personnages. Évidemment, une grande partie de ces éléments énigmatiques ne sera révélée que dans la Tape 2, “Rage”. Compte tenu de la conclusion de ce premier pan, il me tarde déjà de connaître la suite. Il faudra toutefois attendre le 15 avril 2025 pour s’y plonger. Dans un sens, cela nous laisse largement le temps de rembobiner la Tape 1 pour essayer de nouveaux choix, prendre le temps d'apprécier plus encore Velvet Cove, l'ambiance 90s, et refaire connaissance avec les personnages.

Lost Records, une plongée nostalgique en 1995

Don't Nod surfe sur la vague rétro des années 1990 avec Lost Records. Des passages précis du jeu semblent avoir été pensés tout spécialement pour nous donner une claque nostalgique... que même Swann a l'air de ressentir parfois en s'émerveillant devant certains objets. Ou plutôt, disons qu'elle a les yeux qui brillent en découvrant plusieurs artefacts de ses nouvelles amies. C'est peut-être un poil exacerbé, mais, en un sens, cela traduit aussi l'impression qu'on peut avoir en tant que joueur en tombant sur de vieilles cassettes de films, sur une ancienne console de jeu ou, dans mon cas, sur une reproduction interactive d'un Tamagotchi (dommage toutefois que le premier modèle date en réalité de 1997...) !

Lost Records - Tape 1 Bloom : Tamagotchi.
© AUR pour Gameblog

Ce sentiment de nostalgie s'inscrit aussi dans la logique émotionnelle des personnages. En choisissant un tel fossé entre le présent et 1995, Don't Nod nous transporte aussi à une époque déconnectée. Les souvenirs s'enregistrent sur cassettes et non pas sur internet. Ce contraste est d'autant plus marqué avec le smartphone dont la Swann adulte se sert même si elle n'est pas très branchée réseaux sociaux. Cele ne fait que décupler la sensation que cette époque, bercée d'insouciance, manque à notre héroïne. Il faut dire qu'une partie de cette Tape 1 est baignée dans une lueur chaleureuse, apaisante, qui rend l'ensemble presque trop belle pour être vraie, comme si ce passé était idéalisé par endroits.

On notera enfin que Don't Nod a choisi de construire une bande-son qui colle avec l'énergie de nos personnages et des années 1990. Notre bande de copines est très inspirées par le Punk Rock et le mouvement riot grrrl. On en retrouve donc des traces, çà et là, en particulier lorsque ce sont elles qui jouent. En revanche, la musique extradiégétique est beaucoup plus moderne, puisant dans un registre entre la dream pop de Beach House et l'indie folk teinté de rock de The Dø. Cet assortiment entretient la nostalgie douceureuse qui accompagne les flashback. On aurait pu avoir une OST plus ancrée dans son époque. En même temps, les choix musicaux collent parfaitement aux moments qu'ils accompagnent que ce léger regret passe au second plan.

La couleur des sentiments adolescents selon Don’t Nod

Avec Lost Records, Don’t Nod dresse la peinture d’un quatuor d’adolescentes très opposées en apparence, mais qu’une certaine marginalité et un sentiment d’inadéquation avec le monde qui les entoure vont rapprocher plus que de raison. C’est une fresque relativement habituelle des fictions de jeunesse qui nous est présentée. Les “freaks” du quartier rêvent de justice et de se défaire du joug de leurs oppresseurs, qu’il s’agisse de leurs parents ou d’autres jeunes à peine plus âgés qu’eux. Finalement, on retrouve certains des schémas récurrents dans les créations du studio, à commencer par Life is Strange évidemment. Tout comme à l’époque, la finesse d’écriture du studio transcende les clichés du genre dès cette “Tape 1”.

Les plumes de Don’t Nod sont parvenues à dresser quatre profils différents et en même temps crédibles de ce groupe de copines. On a Autumn, la skateuse terre-à-terre, Nora, la punk qui cache ses failles derrière un gros caractère, Kat, aussi faussement réservée qu’elle est intelligente, et enfin Swann, qui ne cherche qu’à briser sa coquille malgré ses hobbies atypiques. Toutes ont quelque chose à dire de ce que c’est d’être adolescente en 1995, tout autant qu’en 2025. Autour d’elles naviguent une poignée de personnages secondaires qui, eux aussi, ont davantage à montrer que ce qu’ils révèlent au premier abord, quitte à créer la surprise lors de passages clés.

Lost Records - Tape 1 Bloom : Swann, Nora, Kat et Autumn.
© AUR pour Gameblog

Nul doute que, comme moi, vous aurez vos petites préférences dans le groupe. Néanmoins, chacune des trois copines de Swann a ce petit truc qui la rend attachante à sa façon. Cela pourrait même vous inciter à vouloir vous rapprocher de l’une d’entre elles plus que des autres… La romance est effectivement de la partie dans Lost Records, et pas qu'un peu. Toutes les occasions sont bonnes pour vous rapprocher du personnage de votre choix. On sent l'envie de dépeindre une puberté qui a besoin de s'exprimer, parfois avec lourdeur. Mais, en proposant Swann comme héroïne, le jeu apporte tout de même une dose de subtilité. Réservée, l'adolescente rêve plus sa vie qu'elle n'en profite concrètement.

Aussi, au milieu de cette bande de filles, Lost Records nous rappelle bien qu’il n’est pas toujours si simple d’entamer une relation homosexuelle dans les années 1990. C'est donc d’autant plus compliqué pour une protagoniste introvertie qui commence tout juste à s’ouvrir aux autres. Espérons que la deuxième partie saura poursuivre naturellement ce qui aura été entamé dans la première. Cela dit, la romance est entièrement laissée à votre bon vouloir. Vous pouvez très bien garder des relations purement amicales avec les unes et les autres. Comme Life is Strange, vos choix seront en effet au cœur du gameplay.

L’ingéniosité du gameplay de Lost Records

Bien que récemment formée, l’équipe canadienne de Don’t Nod démontre déjà un goût pour l’expérimentation. Lost Records tente des choses en matière de gameplay qui sont vraiment rafraîchissantes, à commencer par ses dialogues. En tant que jeu narratif, les interactions avec les autres personnages sont au cœur du titre. Le studio a mis en place un système dynamique, qui nous sort enfin d’un carcan statique encore trop présent dans la majorité des jeux. Ainsi, Lost Records vous donne ponctuellement la possibilité d’observer votre environnement pour adapter votre réponse en vous appuyant sur ce que vous voyez, sachant que vous n’avez généralement pas à vous précipiter pour répondre. Attendre un petit peu révèle parfois des réponses alternatives qui vous conviendront peut-être mieux, à moins que vous ne souhaitiez pas répondre du tout, ce qui est également possible. De cette façon, les échanges semblent plus naturels que ce à quoi nous avons l’habitude.

Lost Records - Tape 1 Bloom.
© AUR pour Gameblog

L’autre part importante du gameplay repose sur le fait de filmer son environnement. On rattache souvent ce genre de mécanique dans deux types de jeux. D’une part, il y a tout ce qui rappelle Pokémon Snap, dans lequel la photographie sert d’outil de collection. D’autre part, on penche plutôt vers l’horreur, avec des titres à la Outlast, Project Zero ou encore Madison, où l’objectif devient un moyen de capturer le paranormal, voire une arme. Avec Lost Records, on est un peu entre les deux. La jeune Swann, passionnée par le cinéma, a décidé de faire une sorte de “mémoire” de Velvet Cove avant son déménagement.

Durant les flashbacks, on a la possibilité de filmer presque n’importe quand notre environnement afin d’enregistrer de courts segments venant prendre place dans des « mémoires » thématiques. Si on devait comparer avec Life is Strange 4 où l’emploi de l’appareil photo était très restreint, ici on peut sortir la caméra presque quand on veut. Ceux-ci peuvent être nécessaires pour avancer dans l’histoire principale, mais aussi totalement secondaires, juste pour le plaisir de les remplir.

La caméra peut aussi être un outil pour repérer des éléments dans le décor, que ce soit un objet ou quelque chose d’invisible autrement qu’en regardant à travers l’objectif… Cependant, cet aspect lié directement à la dimension surnaturelle du jeu n’est qu’effleuré dans la Tape 1. Au regard des trailers présentés, je m'attendais à ce que cela prenne davantage de place. Alors, là aussi, j’espère qu’il sera davantage mis à profit dans la suite.

Toutefois, on notera l’intérêt de cette mécanique puisque Lost Records nous laisse la possibilité de créer nos propres courts-métrages. Libre à nous filmer à notre manière, de zoomer, dézoomer, regarder autour de soi et se déplacer avec les joysticks pour faire la prise qu’on souhaite. Le petit plus qui m’a vraiment séduite, c’est le recours au gyroscope qui permet d’orienter la caméra comme si nous l’avions vraiment en main. C’est non seulement astucieux, mais ça nous immerge d’autant plus dans la peau de Swann.

Chacun pourra donc sauvegarder ses propres souvenirs de Velvet Cove, de sa faune, de ses lieux iconiques, de ses graffitis et même du groupe de Swann. Une fois qu’un thème a suffisamment de prises, le jeu demandant d’en réaliser un certain nombre, on peut alors visionner le « mémoire » et même l’éditer. Don’t Nod nous alors donne l’opportunité de personnaliser notre aventure. À cela s'ajoutent de petites options supplémentaires, comme le fait de poser des stickers à des endroits stratégiques lorsque l’histoire le permet, qui termineront d’apporter votre touche personnelle à l’aventure.

Lost Records - Tape 1 Bloom.
© AUR pour Gameblog

Et c’est à peu près tout en termes de gameplay. Lost Records se contente en effet de nous balader d’un espace à un autre. On se retrouve alors circonscrit dans des espaces fermés, même en extérieur. Les interactions avec l’environnement se vivent le plus souvent passivement, à la caméra. Il y a bien 2-3 énigmes pour tenter de dynamiser le tout. Mais, cela paraît presque de trop dans un jeu qui, finalement, tient davantage du visuel novel que de l'aventure.

Pour résumer, j’ai eu le sentiment qu’il manquait quelque chose. D’un côté, on se dirige vers du grand Don’t Nod en termes d’écriture et de mise en scène. De l’autre, l’intérêt de jouer ne se fait pas toujours ressentir. À plusieurs reprises, je me suis dit que j’aurais pris tout autant, voire plus de plaisir, à regarder Lost Records en tant que série,  a fortiori quand le jeu trébuche dans sa réalisation technique.

Une première cassette comme crash test pour Lost Records

En effet, on comprend pourquoi Don’t Nod a repoussé sa deuxième partie quand on se lance dans Tape 1: Bloom. Autant, Lost Records réussit très bien sur certains aspects techniques. Le sound design est merveilleux par exemple. Grâce à lui, on plonge vraiment dans la nature lorsque notre quatuor explosif s’y aventure. Le chant des oiseaux nous happe de tous les côtés, tandis que le vent frémis à nos oreilles. Et ne parlons pas des moments de tensions ! L’atmosphère change akors du tout au tout pour nous faire dresser les poils rien que par le son.

Je mentionnerais également une bonne utilisation de l’audio 3D, en particulier dans les phases de dialogue avec plusieurs interlocuteurs. De même, on se plaît dans cet environnement idyllique d’apparence. Pour retranscrire cette impression, Don’t Nod use d’effets de lumière chatoyants, qui percent avec réalisme au-dessus d’un bâtiment ou au travers des feuilles des arbres. On prend alors encore plus de plaisir à les saisir à travers l’objectif de la caméra…

Lost Records - Tape 1 Bloom : Velvet Cove.
© AUR pour Gameblog

Mais tout n’est pas égal dans la réalisation de Lost Records. On peut évoquer un autre pan de l'aspect sonore : le doublage. Celui-ci fonctionne très bien en VO (nous n’avons pas pu essayer la VF, qui ne sera disponible qu’à la sortie de “Bloom”). Mais, la synchronisation n’est pas au rendez-vous avec l’animation faciale. Alors que le regard des personnages est particulièrement vivant, le reste du visage est encore trop figé. Malheureusement, cela ne traduit pas toujours suffisamment l’intention du casting en termes d’émotion et, surtout, d’intensité. Le studio s’est plus démarqué de ce côté avec le récent Banishers par exemple. Toutefois, c’est bien mieux que  la rigidité corporelle dont faisait preuve les personnages de Tell Me Why. Il y a donc encore un juste milieu à trouver pour servir au mieux les jeux narratifs du studio.

On se doit aussi de noter que nous avons fait face à plusieurs bugs tout au long de cette première partie. Par exemple, dès le début du jeu, le lancement d’un flashback a fait tomber Swann dans un vide infini, mais cela n’est arrivé qu’une fois. En revanche, le clipping s’est montré constant. De rares fois cela concernait des personnages,mais, le plus souvent, il était plutôt question de l’affichage des textures au lancement de cinématiques ou en revenant à la période présente du jeu. C’est d’ailleurs étonnant, car les transitions au moment d’activer ou désactiver la caméra sont parfaitement fluides. Par contre, vous remarquerez que certains individus glissent plutôt qu’ils ne marchent quand vous les filmez. Dans l’ensemble, c’est donc surtout le chargement de nouveaux éléments à l’écran entre différentes séquences qui pèche, en tout cas sur PS5.

Cependant, il s’agit globalement de bugs mineurs, essentiellement graphiques. Ça n’entrave pas, ou très peu, le gameplay. D’autant qu’on ne doute pas que les équipes montréalaises sauront remédier à la plupart des problèmes rencontrés. Un patch de 10 Go a d’ailleurs déjà été déployé et sera donc disponible dès la sortie du jeu. Nous avons tout de même remarqué que certains des bugs persistent encore. Un autre pourrait donc être disponible à la sortie ou rapidement pour s’assurer d’un lancement en bonne et due forme. Ce serait d’ailleurs dommage de faire mauvaise impression. Don’t Nod semble d’ailleurs vouloir convaincre dès le départ un large public. De fait, la Tape 1 de Lost Records est accessible day one aux abonnés du PS Plus Extra et Premium.

Même si on ne s’en fait pas vraiment. Banishers, le dernier jeu de Don’t Nod, n’a peut-être pas rencontré le succès que le studio aurait souhaité. Mais, Lost Records a tout pour convaincre un public pas totalement convaincu du dernier Life is Strange, développé par Deck Nine Games, et qui recherche la vibe des premiers opus. Le studio n’a clairement pas troqué son savoir-faire en ouvrant un nouveau studio à Montréal. La première production de cette branche canadienne renoue avec la patte graphique d’antan, en la modernisant bien sûr. À coup sûr, ce semi-réalisme parlera aux amateurs de comics notamment. Qui plus est, la nostalgie des années 90 est de plus en plus à la mode ces temps-ci. Dès lors, même si tout n’est pas encore parfaitement polish sur le plan technique, l’ensemble est gagnant artistiquement.