Après 27 ans d’absence, Nintendo remet une licence culte sur le devant de la scène. Le 29 août 2024, l’enquête reprend dans le nouvel opus de Famicom Detective Club. Exit la Famicom (la NES par chez nous), le jeu sortira bien sûr sur Switch. Sur votre téléviseur ou en mode nomade, préparez-vous à être happé par l’affaire d’Emio - L’Homme au sourire.
Décidément, Nintendo se sent nostalgique depuis quelques temps. Entre le remake de Mario Paper, le remaster de Luigi’s Mansion 2 et la compilation Nintendo World Championships, l’éditeur replonge dans ses souvenirs. On pourrait croire qu’il fait les fonds de tiroir, mais compte tenu de la sélection, je dirais plutôt qu’il ressort des reliques qu’il serait dommage d’oublier. Et cela se confirme une fois de plus avec une nouvelle exclusivité Nintendo Switch : Emio - L’Homme au sourire. Le jeu fait renaître la licence Famicom Detective Club, peu connue au-delà des frontières japonaises faute de traduction à l’époque des premiers opus, sortis dans les années 1980.
Mais, Big N a préparé le terrain. En 2021, la Nintendo Switch accueillait Famicom Detective Club: The Two-Case Collection. Bien qu’elle ne soit pas sortie en français, cette compilation était l’occasion de découvrir, en anglais, les deux premiers épisodes de la licence. À défaut de pouvoir jouer facilement au troisième volet dans l’immédiat, c’est un quatrième qui s’avance, et bien en français cette fois ! Il était temps pour l’Occident de découvrir le visual novel façon Nintendo, et classifié PEGI 18 pardi. Emio nous entraîne ainsi dans une nouvelle enquête captivante, mais est-elle à la hauteur des attentes ? Découvrez-le avec nous.
Emio, une affaire qui a plus d’un tour dans son sac
L’agence Utsugi reprend du service ! Après plusieurs enquêtes, le protagoniste des Famicom Detective Club commence à être aguerri. Le voilà donc à nouveau sollicité par Shunsuke Utsugi pour enquêter à ses côtés sur une nouvelle affaire entourée de beaucoup de mystère. Pour l’aider dans cette aventure, il peut compter sur une collègue désormais bien connue des fans de la licence : Ayumi Tachibana. Après l’avoir aidée dans The Girl Who Stands Behind, elle aussi est devenue assistante à l’agence.
L’histoire débute alors avec la découverte d’un corps. Il s’agit d’Eisuke Sasaki, un adolescent retrouvé mort par strangulation près d’une station de pompage. Cette tragédie s’accompagne d’un détail qui retient l’attention de tous les enquêteurs : le visage du garçon est recouvert d’un sac en papier décoré d’un sourire…
Par ce détail sinistre, notre enquête va nous pousser à rouvrir une affaire classée et à plonger dans les souvenirs de nombreux personnages. Mais, plus inquiétant encore, une légende urbaine partage de nombreuses similitudes avec le meurtre. Se pourrait-il qu’Emio, l’homme au sourire, existe réellement ? En collaboration avec la police locale, ce nouveau Famicom Detective nous invite à résoudre cette affaire et même plus encore.
Un récit qui nous tient en haleine
Famicom Detective Club frappe fort avec un nouvel opus qui capte immédiatement notre attention. La mort du jeune Eisuke est entourée d’un brouillard qu’on meurt d’envie de dissiper. L’aspect surnaturel qui l’accompagne laisse, en outre, planer une atmosphère angoissante. Dès le début, on ne veut qu’une chose : savoir qui se cache sous le sac de l’Homme au sourire.
Cependant, on s’aperçoit vite qu’Emio nous entraîne en fait dans une affaire tentaculaire ; une intrigue nous emmène vers une autre qui, elle-même, est plus complexe qu’il y paraît au premier coup d’œil. Ainsi, de chapitre en chapitre, c’est bien plus qu’un seul et unique mystère qu’on est amené à résoudre. Heureusement, Ayumi est là pour nous prêter main forte. On chausse de temps en temps ses chaussures pour investiguer. C’est alors l’opportunité de voir certains personnages ou certains lieux sous autre jour.
Cela dit, on se perd parfois à courir après les indices sur telle ou telle intrigue. À force de chercher à faire tomber les masques, on en oublie de questionner le mobile. Ce dernier n’est vraiment soulevé qu’à la fin, après avoir essentiellement cherché l’identité du tueur. Même le modus operandi est une question secondaire dans ce jeu de dupe. Mais, au terme des 10 à 12 heures de jeu (chaque chapitre prenant plus ou moins une heure à se parcourir), les pièces du puzzle se mettent enfin en place pour une chute que beaucoup ne verront sûrement pas venir.
De fait, du début à la fin, les suspects potentiels se multiplient. Lorsque que quelqu’un éveille notre suspicion, un autre élément vient semer le doute à propos d’un autre personnage. Ainsi, difficile de ne retenir qu’une seule piste à la fois, ce qui maintient notre attention alerte. Certes, certains retournements de situation sont plutôt prévisibles. Mais, concernant l’intrigue principale, Emio parvient à préserver le suspens. Comme moi, vous risquez de vous laisser surprendre par les conclusions de l’enquête.
Une mise en scène qui donne toute sa saveur au jeu
Si Emio parvient si bien à nous captiver, c’est non seulement grâce à son écriture, mais aussi à sa théâtralité. Avec un jeu purement narratif, il fallait bien parvenir à garder les joueurs attentifs. Alors, les équipes de Nintendo se sont de nouveau démenées pour proposer un jeu vivant et visuellement marquant.
D’abord, on remarque le dynamisme des animations des personnages. Bien que les images soient fixes dans l’ensemble, le jeu montre des personnalités en mouvement. Certes, de légers mouvements, mais suffisant pour traduire les réactions corporelles et faciales des personnages. Cela donne un peu d’éclat aux discussions. Certains gestes vont alors nous amuser, quand d’autres éveilleront plutôt nos soupçons.
Ensuite, on se délectera des séquences qui mettent en scène Emio. Jouant avec le concept de “légende urbaine”, on nous propose visuellement des moments qui pourraient être tirés d’un vieux film d’horreur sur VHS (Blair Witch n’a qu’à bien se tenir !). Toutefois, ce n’est pas le seul ressort de ce Famicom Detective Club. Sans trop en dire, il n’hésite pas à capter de force l’attention avec des points de vue supplémentaires, offrant des scènes qui vont relancer notre curiosité.
Pour autant, l’ambiance du jeu n’est pas pesante à l’extrême. Il aborde des thèmes difficiles, comme la mort, le suicide et le deuil, justifiant probablement ce PEGI 18. Néanmoins, il regorge de moments drôles. Je pense bien sûr aux commentaires introspectifs de notre protagoniste, mais ça va au-delà de ça. On retrouve de temps en temps des jeux de mots dans les décors, ou bien des situations qui se veulent même explicitement comiques. Certaines paraissent même superflues, en particulier une sous-intrigue romantique qui rallonge plus souvent les chapitres quand on voudrait davantage se concentrer sur l’enquête. Mais, cette légèreté est bienvenue dans l’ensemble et fonctionne plutôt bien.
De même, les décors ne sont pas spécialement inquiétants pour la majorité. Au contraire, la plupart serait plutôt paisible. On se retrouve au cœur du Japon rural, entre la ville et la campagne et on aurait plaisir à flâner dans ces tableaux s’ils ne s’agissaient pas de simples plans fixes. À défaut, la richesse et la finesse des environnements ravissent les yeux dans un style graphique qui plaira aux fans d’anime. D’autant que la Nintendo Switch est loin d’être poussée dans ses retranchements ici. Le rendu est donc aussi propre en docké qu’en nomade. Le seul bémol dans l’atmosphère générale serait probablement l’OST ; bien qu’elle ponctue certaines réactions et s’adapte aux lieux, elle reste générique et répétitive. Et, malheureusement, ce dernier qualificatif s’accorde un peu trop bien avec d’autres aspects du jeu.
Une enquête rondement menée malgré quelques lassitudes
Ce nouveau Famicom Detective Club reprend sa formule traditionnelle. Ne vous attendez pas à une expérience à la Professeur Layton. Ici, on est bien face à un visual novel et pas à un jeu de puzzle. De ce fait, l’expérience reste relativement passive, axée avant tout sur les dialogues.
Il est clair que la proposition ne séduira pas tout le monde. Il faut évidemment aimer les jeux bavards. Et, même en cela, la force de l’intrigue souffre des mécaniques dépassées et d’une interface austère dont la licence ne parvient pas encore à s’émanciper. Pour autant, l’ensemble fonctionne et se laisse apprécier si on en a la patience, notamment grâce à des phases de jeu qui nous sortent momentanément de la routine.
L’art de l’interrogatoire dans Emio - L’Homme au sourire
Dans la peau du personnage principal ou de sa collègue Ayumi, nous enchaînons les discussions avec des personnalités de toutes sortes. Certaines personnes seront naturellement plus loquaces que d’autres, surtout selon les situations. Mais, même les plus bavardes ne lâchent pas le morceau si facilement. L’essentiel du gameplay repose alors sur le fait de pousser toujours plus la conversation pour obtenir l’information recherchée.
C’est là que l’expérience s’embourbe vite dans une mécanique redondante et datée. Des jeux qui ne reposent que sur des boîtes de dialogue, il en existe une multitude. Avec les années, le système d’échange avec les interlocuteurs paraît bien plat dans Emio et, surtout, rébarbatif. On se retrouve à enchaîner les questions, souvent en répétant les mêmes : soit par mégarde ou pour essayer de faire avancer les choses quand on bloque dans une situation (ce qui, a d’ailleurs fait apparaître des bugs d’affichage à de très rares occasions), soit parce que c’est tout simplement nécessaire de se répéter pour que la personne finisse de dire ce qu’elle a à dire sur un même sujet.
À défaut d’être graphiquement dynamique, à l’instar d’un Persona 5, on aurait apprécié des indications visuelles plus sensibles, pour rappeler notamment quelle question a déjà été posée ou non. Plus encore, le fait de devoir soumettre la même question deux, trois, quatre fois pour simplement que la personne aille au bout de sa déclaration apparaît comme un choix de mécanique difficile à comprendre. Non seulement cela alourdit le gameplay, mais cela casse une part d’immersion. Il aurait pourtant suffit de faire varier la question ou, comme on le voit souvent, de proposer un sous-menu par sujet abordé.
Enfin, le jeu file tout droit. Il propose peu, voire pas d’alternative dans les dialogues. D’autant plus que, si nous cherchons une réponse, essayer au hasard les autres possibilités d’interaction conduira toujours à avoir ce qu’on veut. C’est rigolo et parfois astucieux d’avoir à “réfléchir” ou à “appeler” plutôt qu’à simplement “interroger/écouter”. Pour autant, ces variations dans les mécaniques sont artificielles dès lors qu’elles n’ont pas d'incidence. Emio ne nous sanctionne pas si nous adoptons une attitude trop brusque ou trop discrète. Là aussi, c’est regrettable en termes d’immersion. Dès lors, ce nouveau Famicom Detective Club ne tient pas la comparaison avec des L.A. Noire ou Hotel Dusk. Heureusement, il a quelques bonnes idées qui le font briller à sa manière.
Toujours avoir l’œil et prendre des notes dans Emio
Le gameplay d’Emio dépasse de temps en temps le cadre du pur dialogue. Dès le départ, nous sommes invités à inspecter un environnement pour trouver des indices et retenir des informations sur les personnes présentes. On s’attendrait donc à ce que cela prenne plus de place dans le jeu, mais c’est plutôt secondaire. Malgré tout, on peut choisir d’examiner presque chaque scène qui s’offre à nous. C’est même parfois indispensable pour faire avancer le dialogue. Qui plus est, le jeu joue ici la carte immersive entre les commentaires introspectifs du héros et les réactions des personnages sur qui on porte le regard. Malheureusement, c’est une fonctionnalité qui passe au second plan.
En outre, les environnements sont relativement fournis. Certains ne présentent pas énormément d’éléments à inspecter, mais d’autres situations invitent à regarder plus attentivement autour de soi. Ce peut être l’occasion de dégoter quelques informations de plus, même si ce n’est que le numéro de téléphone d’un restaurant pour y commander à manger.
En parlant de commander, un téléphone et d’autres accessoires sont mis à disposition. Là encore, on déplorera le peu d’utilité qu’on en aura, exception faite du bloc-notes. Outil indispensable dans les enquêtes du Famicom Detective Club, celui-ci a été un peu repensé pour être plus facile d’utilisation. Même si l’interface n’est toujours pas des mieux pensées, on y navigue sans problème. Il est aussi très pratique pour garder en tête toutes les informations importantes. Bien sûr, il se remplit automatiquement quand une information cruciale nous est donnée, d’autant que celles retenues par Ayumi ne sont pas les mêmes que notre personne tant qu’on ne fait pas le point entre collègues.
Faire le point avec le sourire
C’est le point d’orgue qui conclut chaque chapitre : le point en solo ou à deux pour dresser le bilan de l’avancée de l’enquête. Étant donné qu’Ayumi et M. Utsugi font leurs propres investigations de leur côté, c’est aussi l’occasion de mettre en commun toutes les informations recueillies jusqu’à présent.
Cette phase de jeu change un peu du reste et procure davantage le sentiment de mener l’enquête. Le système de réponse donne en plus l’occasion de chercher certaines réponses dans le bloc-notes ou même d’écrire soi-même. Ce n’est pas grand-chose, mais ça nous sort un instant de l’habituel enchaînement de dialogues. Ayumi nous fait même remarquer si on a fait un sans faute dans ce compte-rendu final ou non. C’est du détail, mais l’interaction renforce l’immersion, ce qui n’est pas de trop ici.
Enfin, “faire le point” est aussi un bon moyen de garder le fil sur toute l’affaire. De fait, ces questions de fin de chapitre nous replongent dans des événements antérieurs. Ainsi, on met au clair les hypothèses établies au fur et à mesure et on fait le lien entre les éléments découverts. En plus du récapitulatif textuel qu’on peut demander en lançant une partie, ce moment de bilan est un complément vivant qui nous implique davantage dans l’enquête. On se rafraîchit aussi la mémoire, notamment sur les personnages impliqués dans les différentes affaires croisées dans Emio.