Parce que le destin aime s'amuser, souvent aux dépens de ceux dont il se joue, certains titres s'avèrent parfois prémonitoire, et rarement dans le bon sens. La preuve par trois aujourd'hui avec le très embourbé The Sinking City. Vous vous souvenez du groupe Tragédie ?
Le jeu de Frogwares, qui délaissait pour une fois l'univers d'Arthur Conan Doyle pour lui préférer celui de H. P. Lovecraft, est désormais au coeur d'un conflit qui oppose les ukrainiens à leurs éditeurs Big Ben Interactive et Nacon.
Le studio a en effet publié il y a quelques heures sur son site officiel un long message pour expliquer pourquoi The Sinking City avait subitement disparu de plusieurs boutiques en ligne, Steam en tête :
Version courte : nous avons été contraints de résilier le contrat de la licence pour plusieurs violations de notre accord. Nous vous exhortons à lire cette lettre ouverte destinés à nos fans, aux journalistes et aux gens de l'industrie, pour comprendre pourquoi cela s'est produit et comment vous pouvez toujours vous procurer The Sinking City.
Frogwares commence par rappeler la conclusion d'un accord d'édition avec Big Ben et Nacon en 2017, deux ans après le début de la production du jeu, qui devait leur permettre de financer le développement. Malheureusement, tout ne semble pas s'être déroulé selon les fameux plans :
Lors de la production, les éditeurs accumulaient des centaines et des centaines de jours de retard dans les paiements au total, 40 jours en moyenne, alors que nous étions toujours à l'heure sur chaque étape du développement. Nous avons dû émettre des mises en demeure à plusieurs reprises, afin de pouvoir récupérer l'argent qui nous était dû. Le manque d'engagement à honorer les obligations financières s'est rapidement transformé en pression permanente.
Pire, les éditeurs finissent par demander à Frogwares de passer le relais, en plein chantier :
Une fois que Big Ben/Nacon a racheté un studio concurrent pour travailler sur l'univers de Lovecraft, ils ont voulu que nous leur donnions le code source pour The Sinking City. Encore une fois, ils n'en possèdent pas la propriété intellectuelle : ils sont titulaires d'une licence. Après avoir refusé de nous y tenir, nous avons cessé de recevoir des contributions financières pendant plus de quatre mois.
Malgré tout, le studio parvient à terminer et à sortir The Sinking City à l'été 2019, mais l'éditeur les informe alors qu'ils ne toucheront aucune part des bénéfices réalisés, car des engagements n'auraient pas été tenus :
Une annulation rétroactive en cas de non-livraison d'un jeu déjà disponible sur le marché n'est pas acceptable. C'est là que notre bataille juridique a commencé : nous avons intenté une action en justice contre Bigben/Nacon en août 2019, et ce n'est qu'alors que nous avons reçu les premiers rapports sur les bénéfices enregistrés, bien qu'incomplets et non documentés. Il ne nous a donc pas été possible de voir si les bénéfices étaient correctement calculés, ou même combien d'unités nous vendions.
Les éditeurs ont ensuite fait disparaître le nom du studio ukrainiens de ses documents officiels, laissant ainsi entendre qu'ils détenaient seuls les droits de The Sinking City. Frogwares souhaite alors mettre fin au contrat qui le relie à ses éditeurs, mais ces derniers invoquent les mesures de soutien aux entreprises prises par la France suite à la crise du coronavirus :
L'accord est désormais résilié sans autre formalité. De plus, le 17 juillet 2020, Nacon a tenté de s'opposer à sa résiliation devant le tribunal, mais le juge a rejeté la demande.
Frogwares estime avoir été lésé d'un million d'euros de royalties, et a donc décidé de supprimer le jeu de plusieurs boutiques en ligne afin de stopper les versements à destination de Big Ben et Nacon, en attendant de pouvoir clarifier la situation avec ses interlocuteurs.
Aux dernières nouvelles, les ukrainiens travaillent sur Sherlock Holmes: Chapter One, une préquelle de leur célèbre série de jeux d'enquête.