La colline silencieuse est de retour avec Silent Hills... Espérons qu'Hollywood ne lui greffera pas des yeux.
L'annonce est sortie du néant. La hype a duré toute la journée et n'a même pas été entachée par le murmure d'un poisson aigri. C'est une excellente nouvelle, la renaissance d'une série qu'il ne fallait absolument pas perdre, autant pour le jeu vidéo japonais dans son ensemble que pour nous, les joueurs. Même avec du recul, je suis certain que ça donnera un bon jeu. Mais avec du recul, on peut quand même déjà imaginer certaines choses... Revenons un instant au poisson.
"SH2 était un des seuls jeux à avoir traiter le thème du sexe avec maturité. Impatient de voir ce que Kojima va en faire !" - Et beaucoup d'ironie.
J'ai beaucoup moins de respect pour Phil Fish que pour Kojima mais son avis fait réfléchir.
Réponse immédiate quand j'ai lu son tweet : sa référence à SH2 est un faux argument parce que la série s'est éloignée de tout ce qu'abordait cet épisode dès le suivant... Mais j'y reviendrais.
Au delà de l'aspect pour lequel il craint, il pose surtout la question de savoir si Kojima est capable de gérer les facettes les plus importantes des SH. Voyons d'abord ce qu'il peut apporter à la série...
Kojima sur un projet, c'est une assurance. Il apportera tout ce qu'il a toujours apporté sur tous ses jeux : l'exigence de la qualité sur le produit fini, un gameplay soigné et efficace, son goût du détail, sa manière de penser "outside the box", un scénar rôdé avec au minimum des surprises et une vraie conception de la mise en scène.
L'assurance, aussi, d'un gros budget avec toutes les bonnes et mauvaises choses que ça apporte, exactement comme au cinéma. Mais Kojima a déjà expliqué à de nombreuses reprises qu'il était conscient de ces points-là, il est rompu à gérer ces problèmes et en plus... Il est vice-président de Konami. Il a pas vraiment de comptes à rendre sur ses choix.
Maintenant, rien n'indique qu'il est effectivement capable de réaliser un survival horror. Je me fais pas franchement de soucis au niveau du gameplay (qui n'est pas un aspect important de SH de toute façon), ni vraiment de l'histoire (à voir sur quel axe il compte jouer - l'histoire principale (SH1,3) ou un arc annexe à la SH4 ou Homecoming). L'ambiance, par contre...
Le choix de Del Toro
Difficile de savoir quoi en penser puisqu'on ne connaît même pas le rôle qu'il tiendra (probablement impliqué dans le scénar et éventuellement la mise en scène) mais le choix de la personne annonce déjà certaines choses... Et de mon point de vue, pas forcément de bonnes.
J'aime bien ce réalisateur. J'ai pas vu beaucoup de ses films mais le Labyrinthe de Pan et l'Échine du mal étaient très bons dans leur genre. Il a bon goût (cf référence à Portal et ses remarques sur Bioshock Infinite). Il est ami avec Kojima. Mais encore une fois, comme pour le choix de Kojima, ça me parait apporter beaucoup trop de couleurs au brouillard terne et pesant qui enveloppe les SH.
Je vais prendre comme exemple un film qu'a beaucoup cité Kojima cette année : Enemy. Je l'ai moi-même regardé, sur les conseils d'un ami, et je ne l'ai d'ailleurs apprécié qu'à moitié (bien qu'il m'ait ouvert les yeux sur une chose en particulier : le fait qu'on puisse apprécier un film pour sa structure plus que pour son fond ou sa forme... bref) mais qu'il soit bon ou mauvais, l'important est ailleurs.
Kojima considère ce film comme un des meilleurs de l'année dernière et en l'occurrence, Enemy est beaucoup plus proche de l'atmosphère SH (très proche en fait, que ce soit sur l'ambiance pesante, les thèmes abordés, la réflexion développée derrière, les couleurs ternes ou même d'autres points comme le fait qu'il y ait très peu de perso...) que tout ce qu'a pu faire Del Toro. C'est presque la différence entre un film indé (Enemy est un thriller psychologique avec assez peu de moyens) et un blockbuster comme Del Toro peut en faire.
Les films de Del Toro ont une esthétique travaillée, rien à redire là-dessus. C'est juste qu'elle ne ressemble en rien à l'espèce de réalisme malsain des Silent Hill. Et je ne parle pas ici des nuées de cafards stéréotypées du premier film : souvenez-vous simplement de l'hôpital du 2 et du 3. Du coup de téléphone. Du quiz dans l'ascenseur. De la poursuite de Pyramid Head dans le couloir étroit. Brrr...
Ironiquement, Kojima a expliqué qu'il avait maquillé P.T. en jeu indé avec un framerate bas, des graphismes downgradés... Mais c'est exactement ce à quoi Silent Hills devrait justement ressembler. Une atmosphère crade et laide, sans couleur à part le rouge caillé de cadavres invisibles qu'on laisse le joueur imaginer. Silent Hill n'est même pas gore. Tout est dans notre tête.
Je doute donc clairement de leur capacité à faire revivre l'atmosphère des 3 (voire 4 si on est pas trop regardant) premiers SH, qui tenait beaucoup de sa magie à la grisaille des lieux et à leur contraste avec les mondes alternatifs. On va en conserver un peu si, et là il faut réellement prier, Akira Yamaoka est reconduit pour faire la musique. Il est absolument essentiel à l'ambiance. Et s'ils arrivaient à faire revenir quelques membres de la Team Silent au passage...
La psycho : au delà du jeu vidéo
Mais au delà de tout ça, je reviens à la question que posait sans le vouloir Phil Fish dans son tweet : quel SH va-t-on voir ?
On a les Silent Hill et on a Silent Hill 2. On a les Silent Hill qui présentent la ville, son histoire, son background, ses rituels et ses personnages récurrents (Heather...) et de l'autre côté, on a ce jeu étonnant qui se passe dans cette même ville sans qu'on ne lui attache la moindre importance, sans qu'on ne s'interroge sur son sens, sur le pourquoi ou le comment.
Parce que dans Silent Hill 2, on la traverse comme le fantôme qu'on est déjà sans le savoir. La ville entière qui est le concept même de la série n'est plus qu'un contexte, une scène de théâtre sur laquelle on joue de manière despotique la tragédie de James Sunderland et rien d'autre. Tout ce qui l'entoure n'est que métaphore, un univers entier qui tourne autour de lui. Même les humains qu'il y rencontre...
Au delà de toutes ses qualités, c'est la psychologie qui porte SH2 au dessus du reste de la série et au dessus de 99,99% des autres jeux. L'ambition d'atteindre le joueur autrement que par les seuls aspects ludiques et émotionnels - l'ambition et la finalité car c'était une réussite totale. Sa portée ne s'arrête pas à celle d'un jeu classique: on est dans l'esprit d'un homme, on côtoie ses peurs, sa lâcheté, ses désirs - on s'effondre avec lui, on coule avec lui quand il s'enfonce dans les anciennes prisons de Silent Hill, on brûle avec lui quand l'hôtel rêvé qu'il cherche depuis le début devient subitement noirci par un incendie imaginaire - la fournaise qui sévit dans son propre crâne.
Jamais la synergie ambiance - histoire - gameplay n'a été aussi accomplie dans un jeu de cette taille et de cette ambition. En somme, évidemment pour moi, c'est vers cet idéal qu'il faut que Kojima tende mais il ne le fera pas.
Pourquoi ? Simple. Silent Hill 2 n'est pas vraiment Silent Hill. Je peux fantasmer dessus autant que je veux, autant que je suis nostalgique des Xenogears ou Chrono Cross pour le JRPG, mais la réalité est que ces jeux... Et bien, ils sont uniques et perdus au milieu d'une marée d'autres jeux bien plus terre à terre. La facette principale des SH est celle qu'on voit dans le 1 et le 3 ou dans le premier film - une simple histoire de sorcière et de mondes parallèles. Tristesse...
Enfin. On ne sait strictement rien du jeu hormis 3 noms mais pour moi, une seule chose est certaine : plus il y aura de brume sur Silent Hill, mieux ce sera...