À l'image de notre lettre Ouverte à Nadine Morano, secrétaire d'Etat à la Famille qui devrait nous recevoir pour parler de la place du jeu vidéo en France, le Syndicat National du Jeu Vidéo adresse une missive similaire à Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé et des Sports concernant un amendement sur "les addictions aux jeux vidéo" et les amalgames qui en découlent. La rédaction de Gameblog.fr se montre ainsi solidaire d'un tel engagement et relaie la lettre de Monsieur Guillaume de Fondaumière, président du SNJV.
Madame la Ministre,
Je vous écris dans le cadre du projet de loi portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, que vous présentez actuellement au Parlement.
Nous suivons avec vigilance les échanges qui se déroulent dans le cadre de l'examen en première lecture de ce texte. Nous souhaitons par la présente porter à votre attention certains amalgames et relever des données erronées rapportées par les députés auteurs de l'amendement n°183 sur « les addictions aux jeux vidéo ».
Le jeu vidéo, un moteur de l'économie numérique française à ne pas stigmatiser
Rappelons tout d'abord qu'il existe une très grande variété de contenus vidéo ludiques: jeux de réflexion, jeux d'aventure, jeux d'action, jeux de stratégie, jeux occasionnels, jeux sérieux, jeux massivement multi-joueurs, etc. Notons aussi que moins de 5% des jeux vidéo vendus en France sont destinés à un public adulte de plus de 18 ans. La très grande majorité des jeux vendus aujourd'hui ne pose strictement aucun problème d'utilisation, et encore moins d'addiction, leur durée de vie totale ne dépassant généralement pas la dizaine d'heures. Ils sont pratiqués dans le monde par des centaines de millions de personnes, dont plus de 200 millions sur les seules consoles de salon ou portables. Ces joueurs sont de tous âges, de tous sexes, de toutes les catégories sociales à travers la planète.
Concernant les jeux massivement multi-joueurs, très attaqués dans le rapport de Mme Grosskost, ceux-ci sont pratiqués dans le monde par un peu plus de 50 millions de joueurs. Ces derniers jeux doivent leur récente popularité à leur nature sociale, les joueurs s'y retrouvant pour vivre une aventure partagée. Le joueur est en contact avec d'autres joueurs et il se socialise à travers cette activité ludique. Nous souhaitons ensuite rappeler que la frontière entre le jeu vidéo et l'Internet en général est de plus en plus ténue. De plus en plus de sites à caractère social sont ainsi de plus en plus ludiques, le jeu étant tout simplement, et depuis toujours, la manière la plus efficace d'apprendre et de se divertir.
Dans ce contexte, nous souhaitons porter à votre attention les enjeux économiques de l'industrie française du jeu vidéo, une industrie culturelle en forte progression et créatrice d'emplois très qualifiés.
Le secteur du jeu vidéo génère dans le monde un chiffre d'affaires de 45 milliards d'Euros, s'établissant ainsi comme le premier bien culturel consommé à travers la planète. Véritable phénomène générationnel, le jeu vidéo génère en France un chiffre d'affaires de plus de 3 milliards d'Euros. La France est ainsi le 2e pays européen derrière le Royaume-Uni en termes de marché et de création.
Le secteur français de la création de jeux vidéo se caractérise par un tissu dense d'environ 200 PME dont le métier est de créer et de développer des concepts originaux de jeux vidéo et des contenus interactifs de grande valeur. Ces PME emploient de nombreux talents reconnus dans le monde entier et emploient directement et indirectement près de 5 000 salariés hautement qualifiés. Cet écosystème génère actuellement une croissance à deux chiffres et constitue l'un des principaux moteurs de la croissance de l'économie numérique française.
L'addiction en question
La grande majorité des professionnels de la santé qui se sont penchés sur la question de « l'addiction et du jeu vidéo » concluent sur des pathologies antérieures à la pratique du jeu vidéo pour expliquer certains comportements excessifs. Ces pratiques sont donc bien la conséquence et non la cause des troubles de leurs patients. Ainsi, selon eux, le jeu vidéo permet au contraire de développer l'empathie, la coordination des mouvements, l'entraînement cérébral, les connexions sociales ou encore l'acuité visuelle et l'évolution dans l'espace.
À titre d'exemple, on citera cette étude scientifique de l'Université de New York arrivée à la conclusion que ceux qui jouaient aux jeux vidéo étaient mieux protégés contre le vieillissement du cerveau. D'autres études accessibles sur Internet présentent des conclusions similaires dans d'autres domaines scientifiques. Le jeu vidéo est aussi régulièrement utilisé par les psychiatres réunis au sein de l'Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines (OMNSH) pour soigner les patients présentant des pathologies d'usage excessif de jeux vidéo.
Il n'existe aujourd'hui aucune d'étude épidémiologique française traitant du phénomène. Il paraît par conséquent délicat de vouloir statuer sur la question d'une prétendue « addiction » en l'absence de données factuelles, validées scientifiquement. Ainsi, parler de 200 000 à 600 000 joueurs cyberdépendants en France aujourd'hui, tel que le rapportait le député Jaenneteau dans sa dernière intervention publique à l'Assemblée Nationale n'est que pure fantaisie : ces chiffres, extrêmement imprécis d'ailleurs, sont extrapolés de toute pièce, en vague référence à des études traitant de façon très générale de l'utilisation d'Internet et non du jeu vidéo.
Le jeu vidéo est une industrie concernée par les usages excessifs et responsable.
Les professionnels du jeu vidéo ne nient pas les phénomènes d'utilisation excessive des jeux vidéo. Les moyens de préventions mis en place dans ce domaine le prouvent sans ambiguïté. Le système PEGI par exemple, et son extension PEGI Online pour les jeux en ligne, offrent dans ce cadre une classification des contenus de loisirs selon l'âge requis et informent sur la nature des contenus proposés dans chaque jeu vendu.
Par ailleurs, l'Etat, avec le concours des professionnels du jeu vidéo, a dernièrement lancé un site d'information détaillé sur le jeu vidéo à destination des parents : www.pedagojeux.com. Dans ce contexte, l'apposition d'un message à caractère sanitaire réclamé par quelques parlementaires de la majorité à travers le dépôt de cet amendement n'est pas justifiée. Surtout, un tel message ne règlerait évidemment pas les problèmes d'usage susmentionnés.
Le jeu vidéo, opportunité pour développer une politique innovante de santé publique
Le Jeu Sérieux est, aujourd'hui, un créneau émergeant qui pourrait bien devenir demain une des locomotives du secteur. Avec des acteurs naissants en ce moment en France, cette activité recouvre l'univers des outils numériques mis au service d'un objectif de formation, de communication ou de simulation.
Le gouvernement français a bien compris l'enjeu lié à l'utilisation de ces applications dans de nombreux domaines. À ce titre, le plan France numérique 2012 du Premier Ministre préconise dans sa mesure n°62 « l'utilisation de ces nouveaux outils et la promotion, au sein de la commande publique des outils innovants d'apprentissage reposant sur le serious gaming ». Les applications dans le domaine de la santé sont nombreuses et d'ores et déjà utilisées dans différents domaines. On peut citer ici quelques-uns de ces Serious Games réalisés en France :
Entraînement cérébral
Dans ce domaine on peut citer ici le projet Happy Neurone qui permet un entraînement régulier en ligne.
Entraînement médical
On peut citer ici les réalisations suivantes relatives à l'injection d'un genou sec et à l'endoscopie digestive ou encore l' anatomie 3D du Massif Facial, projet réalisé pour le CHU de Tours, en collaboration avec un studio de développement de jeux vidéo.
Sensibilisation aux risques sanitaires
On peut citer ici l'exemple du jeu « Sortez - Revenez » réalisé dans un objectif de sensibilisation des jeunes à la sécurité routière.
Informations des patients sur les maladies
On peut citer le projet « mission E-santé » qui explique comment les nouvelles technologies apportent des réponses innovantes dans le domaine de la santé ou encore Orange Health care qui permet le suivi de traitements du diabète.
Dans un contexte de crise économique mondiale, la France doit rester compétitive dans les domaines où elle excelle. Ne condamnez pas cette industrie par des mesures hâtives, dont les conséquences ne sont pas étudiées avec la plus grande prudence.
Je vous propose aussi d'engager une véritable réflexion sous la forme d'un Grenelle « santé et jeu vidéo » en concertation avec les professionnels du jeu vidéo, les associations de parents et les pouvoirs publics. Cette réunion permettrait aux différents acteurs concernés de dialoguer et de proposer des solutions sociales et sanitaires tout en préservant les intérêts économiques de ce secteur si important pour notre économie. Espérant que nos arguments vous persuaderont de la nécessité de rendre un avis défavorable sur la proposition d'amendement susmentionné, je reste à votre disposition pour convenir d'une date de rendez-vous pour avancer sur ces différents sujets.
Je vous prie de croire, Madame la Ministre, à l'assurance de ma plus sincère considération.
Guillaume de Fondaumière
Président du SNJV