Le titre de ce billet vous semble provocateur ? A moi aussi. Pourtant, cela m'est venu à l'esprit alors que je venais de mourir à peu près pour la 300ème fois. C'est d'autant plus étrange qu'avec plus de soixante-dix heures de Demon's Souls au compteur cette pensée ne m'est jamais venue.
Jusqu'ici, la saga de From Software était bien identifiée dans ma tête : Action / RPG dans un univers médiéval. L'inspiration était même clairement occidentale, à la fois dans le thème et dans la réalisation. Bioware n'aurait pas renié le rejeton, même s'il aurait peiné à en approcher l'excellence. Car si les thèmes sont occidentaux, la mise en oeuvre est clairement Japonaise, à la fois dans le gameplay et dans l'ambiance. C'est ce savant mélange qui fait sans doute le sel de ces deux jeux.
Car si les jeux occidentaux font la part belle à ce type d'univers, en premier lieu The Elder Scrolls, Dragon Age ou The Witcher, la maîtrise de Dark Souls est toute autre. Son ambiance n'a pas d'égal, de même que son gameplay typiquement Nippon, sans fioritures. Je ne crierai jamais assez mon amour de Demon's Souls, sans doute le meilleur jeu de cette génération de consoles, mais le plus frustrant aussi, bien que Dark Souls vienne de lui ravir ce dernier titre.
Orphelin du Survival-Horror
Mes repères ont pourtant été chamboulés. Faisons vite : je suis un orphelin du Survival Horror. Resident Evil est devenu un TPS (oui j'exagère un peu, mais à peine), Silent Hill me donne envie de pleurer, Alan Wake est le plus gros pétard mouillé de l'histoire, et Fatal Frame (Project Zero chez nous) est porté disparu.
Je pensais en fait que le genre était tout simplement tombé en désuétude, comme le fighting game 2D à une époque. Je me faisais plus ou moins une raison et prenais mon pied comme je le pouvais, vidéoludiquement j'entend. Puis j'ai parcouru quelques heures Dark Souls, après avoir parcouru pendant plus d'un an Demon's Souls. Soudain, l'épiphanie. Oui le terme est fort, et il est volontairement grandiloquent parce que je me suis trouvé con à ne remarquer qu'à ce moment précis quelque chose qui sautait aux yeux depuis le tout début. Sauf à mes yeux apparemment. Peut-être d'ailleurs qu'à ce moment précis vous plissez les yeux de façon circonspecte en vous demandant où je peux bien en venir, vous qui avez eu ce flash il y a déjà un moment...
Le postulat est simple, aussi m'en vais-je l'asséner sans prendre trop de précautions : Dark Souls est en fait un Survival Horror. Il l'est sur la forme et sur le fond. Commençons par la forme : avez-vous analysé le bestiaire de Dark Souls ? J'ai le guide complet sous les yeux et ces créatures n'ont rien à envier aux abominations putrides de Silent Hill ou Resident Evil. Je ne m'aventurerais pas dans les comparaisons hasardeuses, mais Pyramid Head a deux ou trois doubles dans Dark Souls, pareil pour les infirmières. De même, les zombies ou insectes de Resident Evil trouvent leurs frères dans les jeux de From Software.
Cela ne s'arrête pas au bestiaire sinon ce serait trop facile : les PNJs sont également dans le même moule que les personnages secondaires d'un Silent Hill. Prenez Eddy dans Silent Hill 2, un homme complètement prisonnier de ce cauchemar et qui devient fou petit à petit. Dans Dark Souls, vous retrouvez également avec parcimonie des personnages qui ont soit perdu la tête, soit cherchent la rédemption ou alors se prennent en main pour se sortir de cet enfer. Aucun n'est tout à fait normal en tout cas.
D'une manière générale, le parallèle d'univers Dark Souls/Silent Hill me semble pertinent car les deux jeux partagent ce filtre graphique particulier, ces brouillards, ces décors "dégueulasses" où les murs semblent recouverts de merde et les ennemis tout droit sortis du plus putride des enfers. Ce parallèle est poussé jusque dans l'ambiance sonore : dans les deux jeux point de musique, mais une atmosphère uniquement basée sur les ponctuations sonores, l'appréhension d'un détour de couloir uniquement à l'oreille, les bruits flippants, etc. Ecoutez d'ailleurs les fantastiques bandes originales de Shunsuke Kida, elles n'ont absolument rien à envier à celles du compositeur star de Silent Hill, Akira Yamaoka.
Tout cela semble tellement évident que je me trouve presque ridicule de ne pas y avoir pensé avant. Sans doute aussi que le fait d'avoir la tête sans cesse dedans empêche quelque part d'avoir le recul nécessaire pour apprécier le tableau dans son ensemble.
Un histoire de codes
Sur le fond, la saga des "Souls" reprend également les codes du Survival Horror, mais il m'a fallu passer outre l'habillage faussement RPG pour m'en rendre compte. Basiquement qu'est-ce qui définit un Survival Horror ? Pour moi c'est le fait d'être placé dans un cauchemar en position d'infériorité. Vous êtes dans un lieu hostile et votre personnage n'y est pas du tout préparé. Il n'est pas armé, ou très peu, et chaque munition est précieuse. Il lutte pour sa survie et chaque coin de couloir peut être mortelle. Le Survival Horror est un jeu paradoxal : on a peur de continuer mais notre fascination est plus forte que tout et il faut qu'on y aille, encore et toujours.
Cela est la parfaite définition de Silent Hill ou Resident Evil, et c'est la parfaite définition de... Dark Souls (et par extension Demon's Souls). Là où From Software réalise un coup de maître, c'est qu'il réussit à rendre cette peur collective ! Jamais on n'a vu de Silent Hill en ligne, avouez que ça aurait tranché avec le propos. Resident Evil (l'ancienne mouture, celle qui s'est arrêtée à Code : Veronica) ne s'y est jamais essayé non plus sauf pour un spin off "Outbreak".
Ce qui n'a jamais été possible chez les autres devient possible chez From Software. Désormais vous ne craignez plus seulement les ennemis du jeu, vous craignez la planète entière. Un joueur "humain" peut apparaître à tout instant dans votre monde pour vous aider ou... vous occire. Sans doute anecdotique de prime abord, ce mode online est en fait une réinvention du Survival Horror, qui le fait grimper encore plus haut.
Vous vous ferez votre propre avis sur le jeu, et bien loin de moi l'envie de jeter à la poubelle son qualificatif de RPG dont il se targue sûrement, mais pour moi tout est clair : Dark/Demon's Souls est le meilleur Survival Horror sorti depuis Resident Evil/Silent Hill. Oui, je n'ai plus honte de le dire : ce jeu est un Survival Horror ce qui, dans ma bouche, est sans doute le compliment ultime tant ce genre représente pour moi ce qu'il y a de mieux dans ce loisir.
Je suis enfin très amusé par l'ironie de l'histoire : à l'heure où Capcom et Konami confient Resident Evil et Silent Hill à des occidentaux, à l'heure où Resident Evil 4 & Resident Evil 5 vendent leur âme au diable pour ressembler à des TPS occidentaux, From Software, "petit" studio, réussit à redéfinir les bases du Survival Horror en basant tout son background sur des légendes... occidentales. Le coup de maître suprême ?