Le cas de Phil Fish est symptomatique de la violence du net et de la viralité de ses événements. Nous en parlions hier dans notre article : Phil Fish, que penser du sale gosse du jeu vidéo. En quelques heures, tous les joueurs avaient un avis. Impossible en tout cas de se réjouir de la disparition d'un créateur, aussi trollesque soit-il. Aujourd'hui, c'est un autre spécialiste des saillies made in Twitter qui vole à son secours : Cliff Bleszinski !
Ainsi dans une lettre ouverte réellement poignante, le père de la série Gears of War, actuellement en année sabbatique, a apporté tout son soutien à Phil Fish.
Bleszinski, souvent moqué, insulté, mais toujours passionné, s'y exprime avec franchise. Un texte révélateur de ce que n'importe quelle personne s'exposant un minimum doit souvent endurer sur internet aujourd'hui, à savoir recevoir des tombereaux de merde. Oui, il faut une peau en Adamantium et Phil Fish n'avait visiblement pas le cuir assez dur... mais le retour n'est pas impossible. Il est même souhaitable.
Comme je le soulignais hier, perdre un créateur talentueux n'est jamais une bonne nouvelle... espérons ainsi que Fish fera machine arrière. Quitte à ne plus remettre les pieds sur Twitter, pour se concentrer sur ses jeux. C'est ce qu'il sait faire de mieux.
Cher Phil,
Nous avons passé du temps ensemble à quelques reprises et j'ai apprécié nos verres ensemble et nos conversations plutôt animées. Je ne te connais pas très bien en dehors de ces interactions. J'ai trouvé FEZ rafraîchissant d'une manière rétro chic (tu utilisais ce style avant beaucoup d'autres, ce qui est un tout petit peu hipster, désolé !) et le fait que tu étais tellement dédié au projet me rappelle ce que j'étais à l'époque du Jazz Jackrabbit. Se réveiller chaque jour (ou, dans certains cas, l'après-midi) pour s'asseoir et fixer ce PC alors que vous réaliser votre propre mystère, pixel par pixel, ligne de code après ligne de code, peut vous éreinter. Sans parler de l'ampleur des conneries légales impliquées dans la gestion de votre propre entreprise, ainsi que quel que fut les embrouilles avec votre ancien partenaire (NDR : que l'on découvre) dans Indie Game: The Movie.
Je sais aussi que, quand il s'agit de toute forme de journalisme, qu'il s'agisse d'un portrait, d'une émission de télé-réalité ou d'un documentaire, le spectateur ou consommateur ne voit que ce que l'auteur veut qu'ils voient, à travers leur objectif souvent très biaisé. J'ai déjà dit combien je m'identifiais à ta frustration lorsque tu as montrer ton bébé pour la première fois à la PAX. Cette pression est amplifiée quand Pajot et son équipe collent une caméra sur ton visage. Toute personne adulte pourrait agir étonnement sous cette pression.
Juste avant l'explosion sur Twitter avec Beer, j'ai vu que tu avais acquis ton Oculus Rift, et tes tweets à ce sujet se montraient très excitants. Je ne pouvais qu'imaginer ce que le talentueux et frappadingue Phil pourrait concevoir avec un dispositif dans lequel je crois tellement, que je mets de mon propre putain d'argent dedans. Je me plais à penser que je reconnais une bonne chose quand je la vois.
Lis ce fantastique article de Giant Bomb sur ta situation et sur Internet en général. Personnellement, j'ai été traité de tous les noms du dictionnaire. Même en, allez, 1999, quand j'ai fait un site sur les chats numérisés sur un scanner (hey ouais les gars, j'ai exploité les chats avant que ce soit cool !). J'ai reçu des mails haineux complètement dingues. Quelqu'un m'a dit que j'aurais dû "mourir dans une chambre à gaz". (en supposant que mon nom de famille était d'origine polonaise / juive. Seulement la moitié droite).
J'avais 15 ans quand je me suis fait atomiser sur internet pour la première fois sur un BBS, l'été où mon père est soudainement mort d'une crise cardiaque. J'étais en train d'apprendre à coder et j'ai programmé un petit économiseur d'écran, un de ces multiples programmes de lignes colorées qui dansent. Je l'ai sorti sur un BBS et quelqu'un d'anonyme a posté : "Ton père décédé aurait codé quelque chose de mieux." J'étais furieux, blessé, et j'ai répondu avec une menace de mort implicite. Le site internet a appelé la maison et j'ai eu des ennuis pour ce commentaire, mais le mal était fait. Je suis repartis tondre l'hectare de pelouse de mon voisin avec sa tondeuse de merde pour dix dollars et Bionic Commando ;)
Ma peau a commencé à durcir alors que je me décidais à faire quelque chose de ma vie.
Ne sous-estime jamais la détermination viscérale du loser anonyme qui se cache derrière un moniteur, ni sa capacité à jeter du vitriole sur quelqu'un qui se montre volontairement. Le problème, Phil, c'est que tu étais dans le top des tendances mondiales Twitter. Combien de développeurs peuvent en dire autant ? Est-ce que personne ne réalise que même si tu as l'air quelque peu instable, tu as aussi Andy Kaufman en image de profil Twitter ? (les jeunes, allez voir qui est Andy sur Google, et soudainement vous comprendrez mieux Phil. Ou alors matez "Man On The Moon".)
N'oublie jamais qu'internet peut être quelque chose de fantastique, mais qu'il peut aussi être fantastiquement con. Reddit est une communauté géniale pour trouver des memes ou différentes infos, jusqu'à ce qu'elle accuse à tort quelqu'un d'être le terroriste de Boston ou qu'elle s'évertue à défendre un loser de r/creepshots. Et n'oublie jamais qu'internet peut être un téléphone arabe géant, amplifié par des singes myopes accrochés à leurs claviers et qui sont tellement fachés par leur sandwitch aux boulettes.
(Comment crois-tu que je me sens quand ma femme reçoit un tweet lui disant "viens t'asseoir sur ma gueule" ou "tu es une pute" ?)
Quelqu'un sur Twitter m'a demandé comment faire avec les haters. J'ai un peu d'expérience sur le sujet depuis plus de 20 ans maintenant. Blow dit que tu ne peux pas les ignorer car au moment même où tu as lu il est déjà trop tard. La clef avec les idiots, c'est de se montrer plus malins qu'eux, car l'idiot utilise la haine (et les faute d'orthographe / de grammaire) et ne sait pas se montrer malin. Regarde ce que des gens comme Ricky Gervais et Patton Oswalt font sur Twitter. Hé, que tu l'aimes ou non, même Piers Morgan est plutôt bon lorsqu'il a affaire à eux.
Chaque idiot que tu rembarres te fait gagner cinq fois plus de fans et autant de respect.
L'autre clef, c'est d'absorber toute cette haine en une grosse boule de feu de motivation dans ton bide, puis de déverser toute cette énergie dans ton travail jusqu'à ce que tu puisses déchaîner un putain d'énorme HADOKEN géant qui gagne des prix et vend des millions, et là les haters mangeront vraiment des kilotonnes de bites pendant que tu te rouleras sur un lit de billets, acclamé et aimé par la communauté.
Tu ne dois tellement rien à aucun journaliste de jeu vidéo. On a vu fleurir des tonnes de Rush Limbaugh dans l'industrie du jeu vidéo, des gens qui font des vidéos ou des podcasts, plantant leurs doigts dans la plaie ouverte qui excitera la communauté des gamers, parce que ça génère des clics.
Tu te dois en revanche de livrer à ta communauté des bons produits, une activité que tu reprendras dans un futur proche je l'espère. L'industrie a besoin de gens comme toi, qui parlent avec le coeur avant de parler avec leur tête, parce que je suis fatigué d'entendre les réponses appropriées et approuvées par les attachés de presse. Je suis fatigué de voir des jeux qui ont l'air d'avoir été développés par des focus groups ou des cadres désemparés qui te balancent des trucs genre "Hey, ce Call of Duty est énorme, on a besoin d'un truc pareil !"
Et puis, en fin de compte, ce cycle de feedback de la communauté et de création de cette grosse boule de feu est vraiment trop addictif.
Reviens, Phil. Tu nous manques déjà. Peut-être que je serai juste derrière toi, avec une peau en adamentium.
Cliff