Êtes-vous impliqués dans la création d'Until Dawn depuis le début ?
Larry Fessenden : Supermassive avait le projet en main et ils avaient déjà conçu la structure basique du jeu. Et j'ai immédiatement pensé à Graham car c'est un joueur. Nous nous sommes donc associés et avons travaillé sur le jeu. Et lorsque le jeu est passé sur la nouvelle génération, nous avons continué de travailler dessus. J'aurais donc tendance à dire que nous sommes là depuis le début. Qu'est-ce que tu en penses Graham ?

Graham Reznick : Cela fait deux ans que nous travaillons sur le jeu et la technologie utilisée a changé au fil du temps. Nous nous sommes ajustés à ça et avons ajusté le jeu lorsque la technologie liée à la PS4 est devenue disponible. Nous avons pu raconter l'histoire d'une manière bien plus profonde et de jouer davantage sur les émotions grâce aux outils de capture faciale disponibles sur PS4.

L'histoire du jeu a-t-elle été impactée par le passage de la PS3 à la PS4 ?
Larry : Les bases de l'histoire n'ont pas changé. Mais nous avons été d'une certaine manière invités à approfondir les personnages. Nous nous sommes rendus compte que nous avions l'opportunité, grâce à la capture faciale, de rendre le scénario du jeu encore plus réaliste et engageant d'un point de vue émotionnel. L'histoire du jeu n'a pas changé mais la relation avec les personnages a été approfondie. C'est à ce niveau que se trouvent les modifications que nous avons dû apporter.

Pourquoi avez-vous pris la décision de creuser davantage les personnages ?
Larry : Il y avait plus de comédie et une ambiance plus légère dans la première version du jeu. Nous sommes donc revenus dessus et avons transporté le jeu dans un univers un peu plus sombre.

Graham : Je pense que la capture faciale permet de mieux retranscrire les émotions. Cela nous aide à la fois à raconter l'histoire ainsi qu'à approfondir la sensation d'empathie vis-à-vis des personnages que ressentent les joueurs. Les personnages que vous incarnez ou avec lesquels vous interagissez paraissent bien plus réels grâce à la capture faciale. Si le jeu avait été plus drôle, ou avait été un peu plus idiot, cela aurait presque été une occasion manquée de permettre au joueur de se sentir véritablement au coeur de ces situations intenses. Le rôle très important joué par la technologie de capture faciale nous a permis de rendre l'histoire encore plus sombre et de vraiment donner l'impression au joueur qu'il est dans ce monde.

Est-ce la première fois que vous travaillez sur un jeu vidéo ?
Larry : C'est la première fois que je travaille sur un jeu. J'ai été approché par Sony car ils connaissent mon entreprise. Nous produisons des films indépendants, Graham fait partie de cette communauté de réalisateurs, et Sony voulait vraiment envisager ce jeu de manière cinématographique. Mais j'ai immédiatement réalisé que j'allais avoir besoin de quelqu'un qui comprend vraiment les particularités de base des jeux vidéo. Ces dernières années, Graham et moi avons de plus écrit, et envisagé d'écrire, une série de scripts ensemble. Lui et moi travaillant ensemble collait donc parfaitement.

Graham : Je n'ai jamais travaillé sur des jeux de cette ampleur auparavant. Juste de tous petits projets.

Pour vous, est-il plus facile ou difficile de travailler sur un jeu vidéo que sur une série/film ?
Graham : Un peu des deux, tout dépend de votre manière d'envisager les choses. D'une certaine manière c'est plus simple cela procure plus de liberté car il y a plus d'espace pour travailler. Ce n'est pas comme une série télé avec ses saisons et nombreux épisodes. Il n'y a qu'une histoire livrée en une fois à la manière d'un film. Sauf que cette histoire est beaucoup plus longue que celle proposée par un film. Je ne sais pas exactement combien de temps dure Until Dawn, et cela dépend de votre manière de jouer, mais admettons qu'il dure dix heures. Cela vous donne beaucoup plus de temps pour étoffer les personnages, leurs émotions, ainsi que leurs interactions entre eux.

Mais travailler sur un jeu vidéo est également beaucoup plus difficile car, dans le cas d'Until Dawn, vous devez prendre en compte le fait que n'importe quel personnage peut mourir. Et si un personnage meurt cela change les conversations et les rapports entre tous les personnages restants.

Larry : Nous devions écrire des dialogues différents pour une même situation dans laquelle un, deux, trois, ou quatre personnages étaient vivants. Un jeu vidéo est beaucoup plus fluide qu'un film. Il y a tellement d'embranchements que vous devez garder à l'esprit. D'une certaine manière, c'est une situation idéale car elle vous permet de suivre vos fantasmes à travers les différentes intrigues. Mais cela représente évidemment plus de travail car vous êtes responsables des émotions de tous les personnages dans chacun des embranchements du scénario.

Graham : Pour vous donner un exemple, si un chapitre du jeu représente un temps de jeu d'une demi-heure, cela peut correspondre à 200 pages de dialogue que nous aurions à écrire pour chacune des situations alternatives.

Écrire des situations alternatives déterminées par les choix faits par le joueur a-t-il été le plus gros défi pour vous ?
Larry : C'est ce qui fait du jeu vidéo ce qu'il est, à savoir une expérience unique et captivante. Quand vous écrivez le script d'un film, vous avez des choix à faire au sujet des personnages et de la fin de l'histoire. Dans le cas présent, vous avez la possibilité de suivre différentes trajectoires. Et c'est quelque chose de très excitant.

Pensez-vous que les jeux vidéo vous offrent des outils narratifs dont ne disposent pas la télévision et le cinéma ?

Graham : Dans les films, vous devez choisir une thèse pour chaque personnage. Et tout ce que ce personnage va dire va devoir être cohérent avec cette thèse. Dans un jeu, vous avez toujours besoin de ça, mais vous devez également garder à l'esprit que la manière d'approcher le jeu va être différente pour chaque joueur. Cela transforme presque le joueur en réalisateur. Car c'est ce dernier qui va déterminer la manière de se comporter des personnages. Vous collaborez avec les joueurs d'une manière qui n'existe pas dans les films.

Le fait qu'il soit question d'un jeu influe-t-il sur votre manière d'écrire en matière de rythme ?
Graham : La structure du jeu est basée sur une série de choix. Le joueur doit donc choisir sa manière de réagir face à un environnement ou un défi donné. Ce qui est spécifique à Until Dawn est que chacun des choix effectués par le joueur va à la fois certainement mener à une fin horrible pour un des personnages et impacter la fin du jeu.

Larry : L'autre chose est que dans un film, vous pouvez potentiellement présenter un point de vue philosophique. Il y a une fin précise à la fin du film et vous concevez le suspens du jeu en fonction de ça. Le jeu vidéo représente un format bien plus ouvert.

Pensez-vous donc qu'il est plus difficile de faire passer un message à travers un jeu vidéo car tous les gens jouent d'une manière différente ?
Graham : Je ne dirais pas qu'il est plus difficile de faire passer un message. Je dirais simplement que vous le faites différemment que dans un film car il est ici question de découverte active de la part du joueur. Il y a de nombreux petits jeux indépendants qui le font très bien. Leur but est de procurer au joueur une petite expérience qui leur permet de réaliser les conséquences de leurs actions. Et je pense que dans un jeu comme Until Dawn qui est beaucoup plus gros et étendu, les choses ne sont pas aussi concises et il n'est pas question de transmettre un message au joueur. Le but est de leur procurer une expérience. Mais je pense que pour le joueur, il y a beaucoup de choses à tirer d'Until Dawn.

Lorsque vous regardez un film d'horreur de type slasher et que vous voyez un des personnages aller dans une allée sombre ou ouvrir une porte qui mène à une cave, vous, en tant que spectateur, vous dites "ne fais pas ça, je n'arrive pas à comprendre pourquoi il fait ça." En tant que joueur, lorsque vous vous retrouvez dans cette situation et que vous réalisez que vous êtes en train de prendre les mêmes décisions que les personnages des films, je trouve que c'est intéressant. Si vous vous retrouvez dans la même situation, il y a des chances que vous preniez les mêmes décisions.

Larry : Je pense que les bases d'un jeu vidéo, et plus particulièrement d'un jeu vidéo créé de cette manière (la manière d'Until Dawn, ndlr), montrent que les décisions ont des conséquences. Dans Until Dawn, vous êtes constamment amenés à faire des choix. Et certains de ces choix peuvent avoir un lien direct avec un autre personnage présent dans la scène, et affecter terriblement ce dernier. On vous force à prendre une décision. Vos décisions ont des conséquences et vous pouvez découvrir ces conséquences. Ce qui est amusant, c'est que vous pouvez par la suite rejouer au jeu et faire d'autres choix. La manière qu'a l'histoire de réunir les personnages, de les faire interagir, et de les faire découvrir des choses les uns sur les autres renforce cette impression d'importance des décisions.

Était-il important pour vous de respecter les règles du "Slasher Movie" ou avez-vous pu jouer avec ?
Larry : Disons que le jeu débute en respectant les règles du Slasher, ce qui donne au joueur une impression de familiarité vis-à-vis de l'univers dans lequel se déroule le jeu. D'une certaine manière, le joueur débute l'aventure en connaissant la manière dont se passent généralement les choses dans ce type d'univers. Mais très rapidement nous essayons de jouer avec ces attentes et là que le jeu devient selon moi de plus en plus intéressant.

Graham : Ce qui est amusant dans les Slasher Movies, c'est que vous n'êtes pas spécialement attachés aux personnages. Vous les regardez se faire tuer de manière amusante et inventive. Ce qui est intéressant dans Until Dawn, c'est que les joueurs vont se mettre à s'identifier aux personnages et à avoir de la sympathie pour eux. Les choix que vous faites vont commencer à avoir impact émotionnel et les enjeux vont devenir de plus en plus importants.

Larry : Dans le titre du jeu est présente la question principale de ce dernier qui est "survivrez-vous jusqu'à l'aube ?". Et plus les enjeux deviennent importants plus la difficulté grandie.

Étiez-vous présents lorsque les acteurs ont participé aux séances de performance capture ?
Larry : Oui. Voir tout ce dialogues prendre vie était quelque chose de compliqué à gérer. Les comédiens devaient jouer différents embranchements de l'histoire de leur personnage et cela faisait beaucoup de choses à suivre en même temps. Mais c'était très amusant.

Graham : La distribution est fantastique. Ce sont les comédiens qui font le plus dur en faisant prendre vie aux dialogues et aux émotions.


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