Comment est né le projet Taxi Journey ?

Djamil Kemal : Au niveau de la genèse, je dois donner tout le crédit à notre directeur artistique, Jérôme Pelissier. Un jour il est venu nous présenter des visuels d'un univers sur lequel il travaillait et nous avons tout de suite été emballés ! A partir de là, nous avons monté une équipe pour mieux cerner le projet, pour en faire un vrai jeu.

Notre boulot est vraiment
d'apporter des gameplay différents.


Un titre qui ne semble pas dans les conventions de Lexis Numérique...

Oui et non en fait. A Lexis, on a un ADN qui est d'une part la tentative de faire des gameplay innovants, et de l'autre d'aborder des univers très forts. Je pense que c'est vraiment le cas de Taxi Journey. Ce n'est pas un plateformer comme on a pu déjà en voir, ce n'est pas un jeu d'aventure classique, ça ressemble visuellement à du Limbo mais ce n'est pas du Limbo... notre boulot consiste vraiment à apporter des gameplay différents. Nous le qualifions d'aventure/puzzle avec une très forte dimension aventure qui n'existait pas dans les jeux du style. Tout a commencé il y a un peu plus d'un an, à la mi-2012.

Toutes les bases du jeu ont été posées à cette époque ?

Je dois avouer que cela a pas mal évolué au fur et à mesure. A l'origine on était sur un plateformer pur et dur. Nous avions un prototype qui tournait, mais nous nous sommes alors rendu compte que ce n'était pas notre savoir faire chez Lexis. D'autres auraient fait ça beaucoup mieux que nous...

Vous avez donc dû réorienter le jeu...

Totalement. Cela remonte environ à un peu plus de 4 mois. Nous avons alors renforcé la dimension aventure et puzzle que nous jugions alors trop faible à notre goût.

Une fois le projet sur les rails, pourquoi avoir opté pour le financement participatif et Kickstarter ?

La plupart des gens voient aujourd'hui Kickstarter comme une plate-forme de financement, ce qui est vrai. Mais quand on utilise, on réalise surtout que cela de se forger une communauté comme jamais il serait possible de le faire autrement. Par exemple, sur Facebook nous avons 20.000 fans, mais nous savons que la plupart sont attirés par l'univers graphique, mais ne sont pas forcément des joueurs. Alors que sur Kickstarter, même ceux qui ne financent pas, mais qui nous suivent sont des joueurs ! Ils donnent leurs avis, ils participent. On a un dialogue avec eux qui est extraordinaire et que l'on ne retrouve nul part ailleurs. Donc pour Kickstarter, au-delà de l'argent, notre objectif était d'obtenir de la visibilité et créer une communauté.

pouvoir financer des productions propres permet
de prendre des risques qu'un éditeur ne prendrait pas.


Cela reste une plate-forme où il y a beaucoup candidats, mais peu d'élus...

C'est vrai. Mais il faut bien voir que nous constatons une véritable transformation dans l'industrie du jeu vidéo depuis environ un an et demi. On assiste à une véritable scission des acteurs. On va avoir d'un côté les éditeurs qui se concentrent sur peu d'IP et tentent de minimiser les risques. On a les gros studios indépendants comme Telltale Games qui disposent d'une marque très connue internationalement pouvant s'imposer uniquement avec des visuels. Et enfin, on va retrouver les studios moyens/petits, comme nous.

Et là nous avons deux possibilités pour faire notre boulot : la première c'est signer des deals avec des éditeurs, la seconde étant d'essayer en parallèle d'avoir nos propres productions et d'obtenir nos financements. Kickstarter c'était donc une tentative d'augmenter notre autonomie financière dans la mesure où c'est vachement bien de travailler avec un éditeur, mais c'est également des contraintes sur le contenu, sur les plates-formes. Il y a quelques éditeurs avec lesquels on bosse bien, qui laissent beaucoup de liberté, mais ils sont rares. Le marketing c'est super bien, mais parfois cela va à l'encontre d'un projet.

Je crois qu'on est dans un marché d'offre, pas dans un marché de demande. Le fait de pouvoir financer des productions propres permet de prendre des risques qu'un éditeur ne prendrait pas.

A quelques jours de la fin du Kickstarter de Taxi Journey, malheureusement la situation ne s'annonce pas très bien engagée. Qu'est ce qui a manqué ?

Il y a plein de choses. Le point principal reste le manque d'une démo jouable. Clairement on a reçu beaucoup beaucoup de mails, et quand je dis beaucoup, je parle de plus d'un milliers de courriers de personnes nous demandant de voir le jeu, de voir une démo. En fait, nous avons alors réalisé que depuis quelques mois, Kickstarter s'était transformé et était devenu une plate-forme de pré-achat.

C'est la seule explications ?

Non, il y a d'autres raisons techniques, comme le prix. Nous l'avions lancé à 20 dollars ce qui était le cas de pas mal de jeux, mais il y a eu un retournement depuis quelques mois et tous les prix ont chuté entre 10 et 15 dollars. Mais c'est difficile car à ces prix, cela devient très difficile.

Kickstarter semble aussi privilégier certains types de jeux...

En effet, les RTS, les RPG, les Hack'n slash... ou bien les jeux d'aventures avec une personnalité internationalement reconnue. D'ailleurs on se rend compte que des noms comme Inafune, Brian Fargo ou Tim Schafer permettent de monter des projets sans montrer de gameplay. Ce sont les seuls.

Qu'est ce que ça dit sur le nouveau visage du jeu vidéo ? La personnalité des créateurs deviendrait-elles de plus en plus importantes ?

C'est vrai, et ce n'est pas vrai. On voit que les personnalités dont je viens de parler, des créateurs capables d'attirer du financement de 5 à 7 millions, restent une poignée. Quand on regarde bien, la moyenne des projets se situent à 80.000 dollars sur des segments qui ne sont plus créés par les éditeurs. Pourquoi est-ce que le RPG marche si bien sur Kickstarter ? C'est parce qu'il y a une pénurie de RPG. Pourquoi est-ce que les jeux Wii U marchent si bien sur Kickstarter ? Parce que personne ne développe sur Wii U. Pourquoi les jeux PS Vita sont super poussés sur Kickstarter ? Parce qu'il y a une pénurie.

Les productions classiques sont devenues tellement risquées, ça n'incite pas des Activision & co à développer des IP différentes ou des types de jeux différents. Je pense que cette segmentation du marché avec d'un côté des blockbusters, de l'autre une partie des joueurs frustrés parce qu'ils n'ont plus le type de jeux qu'ils voulaient avoir qui produit cette demande sur Kickstarter.