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Les J-RPG modernes ont plutôt tendance à mettre en avant leurs graphismes et leurs effets visuels, quitte à moins creuser le gameplay (suivez mon regard) : vous avez opté pour une approche opposée, est-ce une façon de se recentré sur ce qui fait le coeur du genre ?
Masashi Takahashi : La simplicité du pixel art nous a justement permis de rendre possible des choses impossible avec d'autres systèmes. Par exemple, nous avons cette fonctionnalité du "field command" : si dans un Final Fantasy, vous pouviez combattre ou vous adjoindre les services de tous les PNJ croisés, il faudrait tout animer ! Dans Octopath Traveler, nous laissons le joueur imaginer comment Primrose « invite » les gens qu'elle rencontre...
Justement, j'ai eu l'impression que vous avez volontairement réduit le nombre d'animations des sprites : est-ce pour faire davantage travailler l'imagination des joueurs, comme autrefois ?
Masashi Takahashi : Au début du développement, nous avons fait beaucoup de tests, notamment avec des animations extrêmement détaillées, mais je me disais que je ne parvenais pas à surpasser malgré ça mes souvenirs de jeune joueur.
La liberté proposée aux joueurs dans Octopath Traveler leur permet éventuellement de passer à côté de pans entiers de l'histoire : est-ce que la musique est une autre manière de raconter ce que l'on ne verra pas forcément à travers l'aspect scénaristique ?
Yasunori Nishiki : Tout à fait ! La musique doit directement contribuer à la narration, et impliquer le joueur dans l'action et dans le jeu. Donc lorsque l'on compose, il faut rester dans l'ambiance de ce que souhaitent les scénaristes : mon but à donc été d'apporter ma pierre à l'édifice et offrir un complètement auditif à la narration visuelle.
En parlant de liberté, comment vous est venue l'idée de laisser le joueur choisir aussi librement son équipe ?
Masashi Takahashi : Avec cette nouvelle licence, nous souhaitions relever un certain nombre de défis, et le fait de laisser le joueur libre de choisir parmi ces huit personnages était l'un d'entre eux. Nous avons souhaité proposer une large palette : ils ont tous des histoires, des aptitudes différentes... Nous voulions que le joueur trouve un personnage auquel il puisse s'identifier : le nom d'Octopath Traveler évoque le voyage, et nous espérons que les joueurs trouvent un personnage avec lequel ils auraient envie de voyager.
Comme vous le mentionniez, cette liberté amène de nombreuses difficultés en terme d'équilibres. Nous le savions dès le départ, et nous étions également conscients que la période de debug ne serait pas assez longue pour tout vérifier. Du coup, nous avons très rapidement programmé une ROM qui permettait de parcourir tout le jeu, et nous l'avons laissée entre les mains des testeurs, ce qui nous a permis de dégrossir le vrai travail de debug « classique ».
Justement, chaque personnage possède des capacités propres très utiles en combat : comment avez-vous réussi à équilibrer suffisamment les forces et faiblesses pour que chaque équipe puisse permettre au joueur de progresser ?
Masashi Takahashi : Nous avons essayé différents types d'approches pour régler tout cela : nous avons tout d'abord procédé région par région, puis avec les différentes équipes et plusieurs fréquences de combat, mais au final le réglage était un travail minutieux de petites mains. Pendant des mois et des mois, chaque petit déséquilibre était corrigé manuellement, c'était un vrai travail de fourmi !
À ce titre, les deux démos ont été fondamentales pour nous, surtout la première, car nous avons découvert des façons de jouer complètement inattendues ! Nous avons découvert beaucoup de difficultés auxquelles nous n'avions même pas pensé, ce qui nous a permis de corriger de nombreux éléments. Le jeu s'adapte justement au niveau moyen de votre équipe, ce qui permet à un personnage faible de rejoindre le reste du groupe assez rapidement.
Vous avez récemment proposé une seconde démo qui permettait aux joueurs d'incarner n'importe quel personnage, ce qui leur offrait une énorme liberté. Comment êtes-vous arrivé à cette proposition très osée ?
Masashi Takahashi : La première démo du mois de septembre à été téléchargée 1,5 million de fois, avec des retours très positifs, ce qui a été une véritable récompense pour nous. La seconde était presque une version finale, même si nous avons évidemment mis des limitations. Mais même avec ça, les joueurs se sont lancés énormément de défis en contre-la-montre, comme tenter de récupérer les huit protagonistes. Certains ont joué plus de 100 heures !
Et quelles ont été vos réflexions autour du leveling, inhérent au genre ? Je l'ai trouvé particulièrement bien réglé !
Masashi Takahashi : Tout dépend des zones : dans certaines contrées, les ennemis s'adaptent effectivement à votre niveau global afin de progresser plus facilement, par contre certains donjons proposent des ennemis dont le niveau est fixe, ce sera donc à vous de vous adapter à ces situations.
A titre personnel, j'ai passé beaucoup de temps sur No Heroes Allowed ! [ndlr : un jeu signé Acquire] qui optait pour un ton décalé, là où Octopath Traveler est chargé d'une certaine gravité : n'avez-vous pas opéré une sorte de synthèse entre le ton d'Acquire et le ton de Square Enix ?
Masashi Takahashi : Il y a beaucoup de gravité dans Octopath Traveler, car nous l'avons pensé comme un jeu pour adultes. Il fallait donc que les thématiques les touchent directement, au plus profond d'eux, et nous nous sommes évidemment demandé si nous devions conserver un scénario « à l'ancienne » qui vendait surtout du rêve, mais nous avons estimé que nous n'arriverions pas à séduire notre public avec ce genre d'histoire.
Ce qui est très amusant, c'est que nous n'avons pas spontanément travaillé sur des scénarii avec d'incroyables rebondissements, mais que les gens se sont quand même retrouvés dans ces situations et ces personnages, alors que visuellement, nous restons dans le pixel art. Je pense que la simplicité des expressions agit comme un miroir, et que l'on plaque sur ces héros nos propres ressentis face aux situations rencontrées.
Justement, Nishiki-san, avez-vous suivi de près le développement du scénario pour adapter votre travail de composition en conséquence ?
Yasunori Nishiki : Lorsque j'ai reçu le script du jeu, le scénario était déjà presque terminé ! Après l'avoir lu, j'ai longuement discuté avec les producteurs du jeu pour cibler leurs attentes, et je me suis ensuite isolé pour composer la musique. Mais même avec ça, il me faut quand même leur validation une fois le travail terminé !
Masashi Takahashi : En réalité, Nishiki-san n'a pas toujours eu d'images pour composer la musique du jeu. Mais ce qui est amusant, c'est que pour le thème principal d'Octopath Traveler, le visuel n'était pas terminé : nous avons écouté le morceau qui avait été composé, et nous nous sommes dit : « Ah, mais si c'est cette musique qui illustre le jeu, il nous faudrait plutôt partir dans telle direction ! ». Dans ce cas, c'est la musique qui a influencé le visuel, et non l'inverse.