Dévoilé pour la première fois en janvier 2017 en même temps que de nombreux détails sur la fameuse Switch, Octopath Traveler aura largement eu le temps de faire parler de lui. Après deux démos et une preview, le RPG néo-rétro s'est enfin laissé approcher dans sa version finale, l'occasion pour nous de poser nos (très) nombreuses questions à Masashi Takahashi, le producteur, et Yasunori Nishiki, le compositeur du jeu.
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Gameblog : Takahashi-san, pouvez-vous d'abord nous expliquer ce qui vous a poussé à développer un jeu aux graphismes très rétro ?
Masashi Takahashi : A la base, il faut bien avoir en tête qu'Octopath Traveler est une nouvelle licence, et pour imposer un nom que les joueurs ne connaissent pas, il faut que l'impact soit immédiat. Je fais partie de cette génération qui a été marquée par le pixel art, et j'ai souhaité partir de là pour travailler.
Le système des combats aléatoires au tour-par-tour est souvent décrié (à tort) par les joueurs comme quelque chose de vétuste : pourquoi avoir opté pour ce choix ?
Masashi Takahashi : Nous avons tous la trentaine au sein de l'équipe de développement, et nous avons grandi avec ce système. Le public que nous souhaitons viser, ce sont justement les joueurs trentenaires et quadragénaires : certains jouent toujours aux jeux vidéo, mais d'autres s'en sont éloignés. Nous nous sommes donc focalisés sur un aspect accessible : une porte d'entrée qui laisserait penser à tous les types de joueurs que ce jeu-là serait fait pour eux.
Nishiki-san, avez-vous réfléchi à la possibilité de composer des musiques chiptune pour cette aventure ? Qu'est-ce qui vous a finalement fait pencher pour une orchestration plus traditionnelle ?
Yasunori Nishiki : En réalité, pour Octopath Traveler, j'ai voulu suivre la même philosophie de création que mes collègues : ils ont opté pour du pixel art, mais en utilisant des technologies actuelles. J'ai voulu moi aussi apporter une sorte d'évolution, en gardant des sons mélodieux comme à l'époque, mais avec une sorte de mise à jour technique grâce aux outils dont nous disposons aujourd'hui.
C'est la toute première fois que vous vous retrouvez seul à la composition : cela a-t-il changé votre manière de travailler ?
Yasunori Nishiki : C'est vrai que cela m'a donné énormément de travail, mais je partais du principe que je voulais reprendre les thématiques que j'aimais étant plus jeune. Il fallait que je réussisse à apprécier physiquement mon travail sans me reposer sur quelqu'un d'autre ! C'était difficile, mais cela m'a permis d'être à 100% satisfait de ce que j'ai pu composer.
Takahashi-san, les personnages et les environnements d'Octopath Traveler semblent très largement s'inspirer de l'Europe occidentale : pouvez-vous nous expliquer ce qui a motivé ce choix ? Était-ce pour rester dans la tradition médiéval-fantastique du J-RPG 16 bits ?
Masashi Takahashi : C'est peut-être une fois de plus générationnel, je ne sais pas... Quand on pense à un RPG aujourd'hui, on pense toujours à de la fantasy comme dans les séries Dragon Quest ou Final Fantasy. Et ce qui vient en tête, c'est effectivement l'Europe, le Moyen-Âge, et c'est ce qu'attendaient pour nous les joueurs de la part d'une nouvelle création de Square Enix.
Dès le début de notre réflexion, nous avons voulu insister sur le concept de liberté à travers le voyage. Pour nous, cela passait par le plaisir que l'on ressent en traversant de beaux décors : il nous fallait donc des déserts, des lacs, des montagnes, des forêts... Et lorsque nous nous sommes demandés quel endroit parvenait à proposer autant de richesse dans un même espace, nous avons immédiatement pensé au bassin méditerranéen. D'où cette impression d'Europe que vous évoquez.
N'y a-t-il pas dans ce cas une immense dimension nostalgique et générationnelle dans Octopath Traveler ?
Masashi Takahashi : C'est exactement ça ! Que ce soit sur le plan des graphismes ou du gameplay, nous nous adressons aux gens qui ont comme nous grandi avec la Super Famicom [ndlr : la Super Nintendo chez nous]. Mais nous n'avons pas simplement voulu reprendre le concept du pixel art, car il faut forcément faire évoluer un peu les choses : nous nous sommes demandés ce que nous pouvions conserver de cette époque, et ce qu'on pouvait y ajouter pour améliorer le passé. C'est également ce que nous avons demandé à notre scénariste, qui a gardé les bons côtés des récits de l'époque, tout en apportant une dimension plus moderne au scénario.
Justement, Nishiki-san,vous avez choisi de mettre en avant les instruments de la musique occidentale : des flûtes irlandaises, des cuivres typiques, ou encore des ensembles de cordes. Quelles ont été vos inspirations pour composer cette bande-son très diversifiée ?
Yasunori Nishiki : (rires) Je n'ai pas forcément travaillé sur ces influences à proprement parler : pour composer de la musique qui sonnait celtique, je ne me suis pas plongé dans ce style, j'ai simplement repris les instruments qui la caractérisent. Pour moi, c'est ça la musique de jeu vidéo : en réalité, c'est une sorte de fourre-tout génial dans lequel on peut faire ce que l'on veut ! En revanche, si vous demandez son avis à un spécialiste, il vous dira que ça n'a rien à voir avec la musique celtique, que c'est un fake ! La musique de jeu vidéo nous laisse justement cette immense liberté d'interprétation, c'est ce qui m'a permis de laisser parler mon imagination.
Vous avez également choisi de composer un thème pour chaque ville et chaque personnage, comme le fait notamment Nobuo Uematsu pour les Final Fantasy : était-ce un autre moyen de respecter les codes du J-RPG traditionnel ?
Yasunori Nishiki : Ce que j'ai essayé de faire, c'est de composer ma musique du point de vue du joueur. On doit composer un thème pour chaque ville en effet, mais je me suis surtout demandé quel genre de musique je souhaiterais entendre si je me promenais dans telle ville en tant que joueur. C'est avec cette seule idée en tête que je me suis mis à composer la bande-son d'Octopath Traveler.
Nishiki-san, les musiques de J-RPG sont particulièrement attendues, puisqu'elles vont accompagner les joueurs pendant des dizaines et des dizaines d'heures de jeu. Vous avez choisi de composer plusieurs musiques pour illustrer les combats, qui fonctionnent toutes avec plusieurs mouvements : était-ce justement pour éviter cette forme de lassitude ?
Yasunori Nishiki : C'est vrai : les musiques de combat sont de loin les plus difficiles à composer ! En réalité ce sont les seules musiques que l'on ne compose pas avec son coeur, mais de façon systématique : nous avons identifié plusieurs constantes en ce qui concerne les musiques de combats, comme la tension, le rythme, et c'est avec ces éléments en tête que j'ai travaillé.