Son nom est associé à Steel Battalion, God Hand, Phoenix Wright, Devil May Cry ou encore Okami. Atsushi Inaba est l'un des co-fondateurs et l'actuel Directeur Exécutif de Platinum Games, le studio des rescapés de Clover, dont il fait partie - aujourd'hui édités par Sega, autrefois par Capcom. Madworld sera le prochain et le premier titre du jeune studio, qui mène de front d'autres projets tels que Bayonetta (sur consoles HD) ou encore Infinite Line (sur DS). Un jeu Wii en marge du reste de la production qu'on trouve sur cette console, aujourd'hui très différemment placée sur un marché qu'elle a considérablement développé... L'occasion de parler avec lui de son approche d'une machine qui fait souvent polémique entre les joueurs.
Des questions, des réponses, une interview
Gameblog : Considérant le succès de la Wii, comment se fait-il qu'il y ait si peu de développeurs qui tentent de développer des jeux qui sortent de ce qui s'est fait jusqu'ici - c'est à dire des jeux décalés, ou violents, ou matures, comme Madworld peut l'être ?
Atsushi Inaba : C'est vrai que c'est une question que je me pose aussi... et j'aimerais bien qu'on me donne la réponse ! Je dirais simplement que la Wii est actuellement le hardware qui a le plus de succès, donc, étant donné que sur cette plate-forme Nintendo fait des jeux très puissants contre lesquels il est difficile de "lutter", il y a beaucoup d'éditeurs qui se demandent comment on peut leur faire face, et connaître le même succès sur Wii.
Pour moi, Madworld c'est un genre de jeu qui est rare sur Wii, parce que c'est violent, spécial graphiquement, et justement, je pense qu'un jeu comme Madworld, un "vrai" jeu en quelques sortes, a sa chance d'être vu par beaucoup de gens parce qu'il va du coup se détacher du lot.
G : Alors effectivement dans ce cas, comme il y a beaucoup de Wii dans le monde, si Madworld a effectivement plus d'exposition potentielle, n'y a-t-il pas pour autant un clivage difficile à passer entre les nouveaux joueurs attirés par la Wii - qui ont commencé du coup avec des choses comme Wii Play, et ceux peut-être plus traditionnels qui sont susceptibles d'être intéressés par un projet comme Madworld ?
A.I. : Effectivement, je n'ai pas dans l'idée de m'adresser à tout le monde : si on comptait vendre 10 millions de Madworld, on serait mal barrés ! J'ai plutôt tendance à réfléchir en termes de ratio. C'est à dire que tous les gens qui jouent à la Wii ne sont pas des casual gamers, loin de là, je pense, et je me dis que parmi tous ceux qui possèdent une Wii, il y a probablement une proportion de personnes qui attendent un jeu comme Madworld. C'est vrai que sortir un jeu comme celui-ci sur la Wii, ça n'a jamais été fait, c'est une expérience nouvelle, et j'avoue que je suis un peu paniqué, c'est vrai. Mais c'est une panique saine ! J'attends avec impatience de voir ce que ça va donner !
G : Et comment tout a commencé ? Est-ce que c'est parti après une réflexion, c'est à dire d'abord en posant le concept puis en se disant à posteriori "il n'y a pas ce genre de jeux sur Wii", ou est-ce qu'il a été question dès le départ de développer un jeu sur Wii, puis que la réflexion est venue ensuite sur ce qui lui faisait défaut ?
A.I. : En fait tout est parti de l'intention de faire un jeu sur Wii. Et puis c'est ensuite qu'on a réfléchit à de nombreux concepts et que Madworld est né.
G : Ok. Et comment Nintendo a-t-il réagit à la découverte du projet ? Que Madworld était aussi violent, même s'il est très décalé ? Et par rapport à la réception du public qui suit le jeu depuis qu'il a été annoncé ?
A.T. : Sur le papier le projet a été validé assez vite. Mais c'est vrai que visuellement ça a été un petit choc... mais un choc positif, puisque finalement le jeu a été plutôt bien accueilli parce que les gens ont très vite compris qu'il s'agissait de faire de l'humour, d'en faire des tonnes pour que ce soit drôle. Et de ce point de vue là, le staff occidental de Nintendo m'a énormément aidé, c'est eux qui ont beaucoup soutenu le jeu, qui ont dit que ça allait plaire au public, que c'était très original.
G : En considérant quelques instants ce qui se fait sur Wii depuis sa sortie, n'avez vous pas la sensation que techniquement, les développeurs, partout dans le monde, ont tendance à se laisser un peu aller sur cette console ? À ne pas vraiment chercher à exploiter cette machine à hauteur de ce qu'elle serait vraiment capable de produire ?
A.I. : Je n'ai pas vraiment d'opinion sur ce que font les autres studios, je ne sais pas ce qu'ils pensent. Je me dis qu'ils font leur boulot. Ce que je peux dire, c'est que quand nous avons commencé à développer Madworld, on s'est dit que ce serait facile : c'est pas une console HD, y'a quelques parties du hardware héritées de la GameCube et qu'on connaissait déjà, et en fait on maîtrisait le jeu parfaitement. Et puis au fur et à mesure du développement on s'est dit "tiens, on pourrait rajouter ça, puis rajouter ça", et c'est devenu très compliqué. Comme le jeu est en noir et blanc, on n'en a pas vraiment l'impression, mais je pense qu'on exploite vraiment bien les capacités de la Wii. En termes d'affichage, de technique pure, on propose quelque chose d'assez puissant pour la console que c'est.
G : Madworld, c'est déjà une initiative un peu particulière... mais est-ce qu'un projet comme Steel Battalion, ce serait possible de le faire aujourd'hui ?
A.I. : Hahaha ! Que ce soit pour Tekki (le nom japonais de Steel Battalion, ndlr) ou pour Madworld, en fait, mon style c'est de prendre un type de jeu qui existe, et de pousser le délire à fond, de surprendre toujours les gens. Donc si ça se justifie, oui, on peut refaire un projet fou comme Tekki...
G. : Avec la manette, et toute cette approche globale ?
A.I. : C'est peut-être un petit peu malhonnête ce que je vais vous avouer là, mais mon principe c'est que quand je veux faire un jeu, je me donne les moyens pour qu'il soit vraiment marrant et original. Quitte parfois à tricher un peu et à en faire trop...
G : Quel est le dernier jeu Wii auquel vous avez joué et que vous ayez vraiment apprécié sur cette console, en dehors de Madworld ?
A.I. : Je dirais que c'est Mario Kart. J'y ai vraiment énormément joué. J'y ai même tellement joué que j'en suis tombé malade ! Je pense que c'est celui-là.
G : Et sur les autres consoles, quels jeux ont capté votre attention ?
A.I. : Deux en particulier. Mirror's Edge et Prince of Persia. Pour Prince of Persia, moi je suis un gros fan de la série depuis le début. C'est une série qui a toujours eu l'image d'un jeu d'action super dur, et là ils ont complètement changé d'orientation. C'est devenu un truc de poseurs ! La série n'a jamais été très populaire au Japon, mais là je me dis, avec la touche graphique qu'ils ont mis, les efforts sur le visuel, le déroulement du jeu, sa beauté, ça pourrait peut-être marcher.
Et Mirror's Edge... D'abord, c'est pas un jeu EA pour moi ! Quand on le voit, on se dit, "mais c'est quoi ce truc ?" - et rien que le fait que ce truc sorte chez EA, c'est une raison pour moi d'être complètement abasourdit par le jeu ! Et ensuite, la touche graphique m'intéresse beaucoup, je suis très séduit par l'aspect général du titre.
G : Malgré la petite polémique entre asie et occident par rapport à l'aspect de l'héroïne, Faith (elle ne projetait pas du tout, en tant qu'asiatique, l'image d'un personnage fort et sexy en asie, ndlr) ?
A.I. : C'est vrai qu'en tant que Japonais, je trouve qu'elle donne des frissons... elle est bizarre, pas agréable à regarder ! C'est vrai qu'en termes de chara design, y'a quelque chose qui colle pas. Mais je pense qu'il faut malgré tout que je m'imprègne de ce genre de designs : c'est peut-être ce que les gens veulent aujourd'hui ?
G : Justement, il y a de plus en plus un vrai besoin de se mondialiser au niveau créatif dans le jeu vidéo. Avant, il y avait la vision japonaise, et la vision occidentale, bien séparées. De votre point de vue de joueur comme de développeur, est-ce qu'il faut développer les jeux avec une vision plus globale pas seulement du point de vue économique, mais aussi et même surtout du point de vue créatif ?
A.I. : Effectivement avec la répartition des ventes mondiales aujourd'hui, on ne peut pas l'ignorer. Simplement si on veut faire un design qui va plaire aux occidentaux, pour nous les japonais, c'est pas de naissance ! Mais prendre de l'artistique occidental et le copier, à mon sens, ça ne mène à rien. Il faut le faire à notre manière, et l'affiner ensuite en observant la réaction des occidentaux qui nous dirons "ça ça passe" ou "ça ça passe pas". Le but c'est que le message soit compréhensible de tous, et pas qu'il y en aient certains qui s'amusent et d'autres qui soient choqués. Mais effectivement, comme vous le soulignez, on ne peut plus aujourd'hui ignorer en tant que de développeur japonais, les goûts, les attentes, et d'une manière générale le marché en occident.
G : Et pour finir, après avoir travaillé pendant si longtemps dans le giron de Capcom, est-ce que la collaboration avec Sega a changé beaucoup pour vous, aujourd'hui, soit par rapport à toutes ces problématiques que nous avons abordées, soit pour d'autres choses ?
A.I. : En fait y'a pas de tant de différences que ça. Mais c'est vrai que c'est la première fois qu'on travaille avec Sega, et je pense que c'est une bonne chose, parce que je sais que j'ai toujours à apprendre de quelqu'un. Et j'ai envie d'apprendre un maximum, donc de bosser avec un maximum d'entreprises, pour justement avoir les opinions de chacun et apprendre d'eux. Capcom m'a beaucoup appris, aujourd'hui c'est au contact de Sega que j'apprends... Demain, qui sait ?