C'est durant la GamesCom 2011 que nous avons eu l'occasion d'avoir un petit tête à tête avec Brian Gomez de Vatra Games, qui n'est autre que le Design Director de Silent Hill : Downpour. Il a parcouru avec nous la démo jouable de cet épisode plein de promesses, manette en mains, tout en répondant à nos questions en simultané... C'est donc un homme multi-tâches. Ce que je respecte à mort. Mais revenons à nos moutons...
Interview de Brian Gomez (Silent Hill Downpour)
Quand j'arrive dans la petite pièce d'interview dédiée à Silent Hill : Downpour, je me présente à Brian Gomez, nous échangeons nos cartes de visite et quelques mots, juste le temps de me rendre compte que le Design Director de Vatra Games est éminemment sympathique ! Nous n'avons que très peu de temps à passer ensemble... il me propose soit de me montrer la démo jouable, soit de faire une petite interview. Je lui réponds qu'on a qu'à faire les deux en même temps ! Banco, c'est parti, il appuie sur Start...
Alors, ce n'est pas trop difficile de gérer la pression quand on est un studio occidental et qu'on s'occupe du prochain Silent Hill ?
Oh que si, ça a été un vrai grand-8 jusqu'ici. Parce que la plupart des fans n'ont pas vraiment apprécié les récentes directions que prenait la série - même si certains ont quand même aimé Shattered Memories, et même Homecoming. Il y avait donc énormément de pression sur nos épaules dès le début du développement. Mais au moment de montrer les premiers éléments de Silent Hill : Downpour, le premier trailer, les démos de gameplay, les premières interviews, bref, lorsqu'on a montré ce que nous étions en train de faire... eh bien... c'est devenu presque pire ! Car les fans ont finalement trouvé ça bien, et ils ont commencé à être excités par le projet, à mettre beaucoup d'espoir en nous, à nous donner tout leur soutien et à nous envoyer des tonnes de conseils et de commentaires, dont nous avons d'ailleurs tenu compte dans le développement. Bref, la pression était presque plus facile à supporter quand ils se contentaient de nous détester ! (rires)
Le personnage principal erre dans les bois après son crash, l'ambiance est sombre et angoissante... il n'y a pas âme qui vive et on se demande s'il va se passer quelque chose, sans être vraiment impatient d'en découdre... L'ambiance est déjà lourde, c'est un nouveau setting qui nous est proposé mais ça ressemble vraiment à du Silent Hill...
Comment définiriez-vous l'esprit Silent Hill ? Qu'avez-vous décidé de garder et qu'avez-vous voulu renouveler pour le respecter ?
C'est une bonne question. Dans le premier épisode on avait un héros complètement désemparé. Un type normal, pas un soldat, pas un combattant ou quoi que ce soit de ce genre. Il avait pour but de simplement retrouver sa fille, mais finissait par être entraîné dans quelque chose de vraiment plus grand que lui. Cet Ordre, ce culte pour le réveil d'un ancien dieu qui détruirait le monde... C'était une bonne histoire, mais les fans ont tout de même apprécié le changement avec Silent Hill 2, dans lequel on ne devait pas sauver le monde, car on focalisait cette fois sur la descente d'un homme dans la folie. C'était beaucoup plus personnel, plus puissant aussi, parce qu'on pouvait mieux s'identifier au héros. Ce qui arrive à James pourrait être vrai, ça pourrait arriver à n'importe qui. On peut tous être ce type qui sombre dans la folie... C'est plutôt sur cette idée que nous essayons de construire Downpour. Murphy se retrouve là juste après un accident, et autant qu'il sache il est bloqué dans une espèce d'autre dimension avec des monstres, des fantômes de son propre passé qui viennent le hanter... C'est un peu comme dans le livre Le Tour d'écrou de Henry James : tout pourrait se passer dans sa tête. Je pense que c'est une façon plus puissante et plus crédible de faire peur, un type d'horreur bien plus effrayant que dans un... Dead Space, par exemple. Je ne dis pas que Dead Space n'est pas effrayant, c'est juste la façon de faire qui est différente.
Murphy a rencontré un facteur taciturne en uniforme, dont on se demande ce qu'il fout là quand même... Après avoir échangé deux mots avec lui, il a disparu. Plus personne... bizarre. On commence à se sentir observé. L'atmosphère se fait plus lourde encore.
Le rythme a son importance aussi, avec l'équilibre entre action et exploration. Ces moments trop calmes où l'on redoute que quelque chose arrive... sans qu'il ne se passe rien parfois. Ca créé une sorte de malaise permanent. Ça aussi, c'est typique de Silent Hill.
Oui, ces moments calmes et silencieux... L'un de mes films d'horreur préférés est The Ring, l'original est super mais j'adore le travail de Gore Verbinski dans le remake. Il y a dans le film un moment vraiment brillant. La première scène avec le coup de téléphone est très intense, à tel point qu'une fois finie, on pousse un ouf de soulagement... On se croit tiré d'affaire pour la scène suivante, qui est parfaitement anodine, on se sent plus à l'aise, apaisé, on se dit qu'on ne va plus avoir peur pendant un bon moment, puis la mère lance son "j'ai vu son visage", avec cette image qui jaillit et clap ! J'ai cru que j'allais faire dans mon froc ! Ce n'est pas seulement que ça faisait sursauter, c'était choquant et brut. Tellement triste pour cette mère. Tellement horrible que le dernier souvenir de son enfant soit cette image. Je suis un père moi aussi, et voir ça c'est bien pire que de voir un alien, un démon ou je ne sais quoi.
J'imagine que vous et toute l'équipe avez joué et rejoué aux différents Silent Hill ces derniers temps. Le 2 a vraiment l'air d'être votre préféré non ? Comme beaucoup de fans d'ailleurs...
Absolument. Il y a tout ce dont on vient de parler dedans. Mais dans d'autres aussi... Homecoming par exemple. En fait, j'aime vraiment beaucoup l'histoire de Homecoming. Tout ce qui tourne autour d'Alex, qui croit être un soldat et qui s'invente tout un tas d'histoires sur lui même. C'est un aspect psychologique qui me plaît beaucoup. Les fans n'ont pas du tout aimé l'aspect combat du jeu, ce qui fait qu'il est tombé dans le panier des "mauvais" Silent Hill, mais à mon avis, du côté de l'histoire et de la psychologie, il était vraiment très bon. Bref, nous essayons de créer le même genre d'histoire et le même genre d'horreur que dans Silent Hill 2 et Silent Hill : Homecoming, mais sans mettre l'accent sur l'action comme dans ce dernier. Côté gameplay, on est assez proche du 2, avec un rythme assez lent, des rencontres avec des monstres pas extrêmement fréquentes... En fait, Downpour est assez proche des jeux d'aventure old-school de l'époque... Si on l'avait voulu, je crois qu'on aurait pu en faire un vrai point'n click...
Eh ? Je le regarde lui, puis la télé, puis lui à nouveau... j'essaye d'imaginer ce que ça donnerait pour mieux comprendre le propos...
Ca serait surprenant quand même !
Parfois je me dis que les critiques de jeux comme vous seront peut-être déçus par ça, ce côté un peu old-school, mais nous c'est vraiment ce qu'on voulait faire depuis le début. Un jeu qui nous rappelle ces bonnes vieilles aventures survival-horror de l'époque, qui ne versent pas dans ce qu'elles sont devenues ces dernières années, à savoir des purs jeux d'action.
Je comprend mieux...
Tiens, on dirait qu'on s'approche un peu de la "civilisation"... certains éléments semblent nous barrer la route cela dit, il faut faire des détours. Il y a des bruits bizarres aussi, et la pluie semble vouloir faire son entrée en scène...
Le personnage principal, c'est toujours Silent Hill... Votre version de la ville est-elle très différente de celle des épisodes précédents ?
Déjà elle est bien plus grande que dans n'importe quel Silent Hill. Et plus ouverte aussi... À cause des limitations techniques de l'époque, il y avait évidemment énormément de portes désespérément fermées, d'endroits inatteignables, etc., alors qu'ici, disons que vous pouvez entrer dans 90% des bâtiments que vous voyez. On ne voulait pas limiter le joueur, pour lui donner l'impression d'être dans un endroit bien réel. Les conditions météo changent également en temps réel. Elles changent d'ailleurs en fonction de l'état psychologique de Murphy, de sa proximité avec des monstres ou avec "l'autre monde". Quand il panique, le temps semble s'accorder à son état d'esprit... Du coup, quand vous sentirez le danger proche, il faudra vite vous trouver une arme ou un endroit pour vous cacher...
Lorsque Murphy entre dans cette petite baraque, il le fait plus ou moins pour se mettre à l'abri après un gros coup de stress. Il a dû affronter des créatures boiteuses à grands coups de pelle dehors, la pluie s'est mise à tomber plus fort et la visibilité était moins bonne. L'environnement même semble lui jouer des tours : une fois à l'intérieur, il est rattrapé par des litres d'eau à cause d'une canalisation pétée. "Holy crap", dit-il.
L'environnement nous en dit beaucoup sur l'état de Murphy, mais est-ce qu'on l'entend souvent s'exprimer comme ça durant l'aventure, est-ce qu'il parle beaucoup ?
Dans les premières versions du jeu il y avait beaucoup de "self-talking", ces moments où le héros se parle à lui-même. Mais ce n'était pas très naturel... Certaines choses qu'il disait ne représentaient pas une façon réaliste de réagir. Alors on a beaucoup travaillé là-dessus, pour que tout ce qu'il dise paraisse crédible. Quand il a peur il peut se mettre à crier "au secours", quand il arrive dans des endroits sombres il peut demander "il y a quelqu'un ici ?"... En gros, on a essayé d'éviter que Murphy dise tout haut des trucs du genre "tiens tiens, je me demande à quoi peut bien servir cette clef..." ! (rires)
L'ambiance est de plus en plus tendue à l'intérieur... Le stress monte encore d'un cran, on est complètement dans "l'autre monde" et Murphy finit par emprunter un couloir dont il doit s'échapper à toute vitesse... sauf qu'il se prolonge de quelques mètres à chaque fois qu'on a l'impression d'arriver au bout !
Alors ça c'est génial ! Ça c'est brillant ! J'adore ! J'avais vu ça dans le trailer E3 et je vous félicite pour l'effet. Vraiment j'adore... Il y a souvent ce genre de choses dans le jeu ?
Oui, là nous avons complètement basculé dans "l'autre monde", les règles normales de la physique n'ont plus cours ici. La gravité et le reste sont altérés. Ce sont des choses qui arriveront très souvent dans le jeu, nous avons beaucoup travaillé pour proposer beaucoup de choses étranges comme cela. Il y a par exemple des moments où l'on marche sur le plafond puis sur le mur, etc. Sur ce plan là on a été pas mal inspiré par...
Eternal Darkness ? J'adore ce jeu... Ces passages où la santé mentale du personnage déraille complètement.
Ah ! J'aurai adoré faire ce jeu oui, il était vraiment excellent. Je suis fan aussi. Mais j'allais plutôt citer Inception, avec les murs qui se courbent, ces immeubles qui se tordent... ça nous a beaucoup inspiré, et vous verrez beaucoup ce genre d'effets dans "l'autre monde".
Cool, bonne nouvelle ! On profite d'un temps de chargement pour regarder l'heure... nous n'avons plus que 5 minutes avant nos prochains rendez-vous respectifs, et Brian Gomez me propose de boucler rapidement la démo...
Il y aura beaucoup de temps de chargement comme celui-ci dans le jeu final ?
Non, ça charge ici pour les besoins de la démo, parce que nous passons d'un endroit à un autre, mais dans le jeu final ça sera du streaming complet. On chargera sa sauvegarde au début puis il n'y aura plus aucun temps de chargement. Aucun.
Murphy doit lutter contre quelques monstres à grands coups de pelle...
Quelle genre d'armes pourra-t-on utiliser dans le jeu ? Uniquement des armes de fortune comme cette pelle ou y aura-t-il aussi pas mal d'armes à feu ?
Oui il y aura quelques flingues, mais ils seront très rares. Et les munitions seront aussi très rares. En fait vous en aurez vraiment besoin à certains moments, et il faudra donc être économe et faire attention aux moments où vous déciderez de les utiliser.
Bonne nouvelle ! Je trouve ça bien mieux dans les survival-horror quand on se sent en danger, voire faible. Project Zero est l'exemple parfait, j'ai vraiment flippé à me défendre avec un appareil photo !
Ah oui, j'adore ce jeu ! Et puis le fait d'incarner une jeune fille en plus, et elle est leeeeente. On se sent vraiment faible. C'est un des jeux les plus effrayants auquel j'ai joué dans ma vie. Et Crimsom Butterfly était excellent aussi.
Des femmes fantômes attaquent Murphy en groupe. Le truc difficile, c'est qu'elles ont des attaques au corps à corps, mais aussi des attaques de zone lorsqu'elles sont à distance.
Certains ennemis travaillent en équipe comme ici. Là, il y en a une qui va loin pour pousser son cri, c'est son attaque distante, du coup ça m'immobilise et l'autre reste près de moi pour en profiter.
Et donc ces scènes d'action sont plutôt rares ? C'est équilibré comment entre action et exploration ? C'est du 50/50 ?
Non, je dirais plutôt 30/70, en faveur de l'exploration. Il ne faut pas se fier à cette version démo, dans laquelle on se devait aussi de présenter les combats. Le jeu n'est pas équilibré comme ça. Et pour tout vous dire, en conditions de jeu normales, ma meilleure option ici aurait été de m'enfuir sans chercher à combattre.
On peut s'enfuir comme ça, quand on veut ?
Oh oui, et c'est très souvent la chose la plus intelligente à faire. Ne pas combattre et prendre la fuite. Evidemment il y a des boss, qui sont des passages obligés, car ils représentent les pires choses que Murphy a en lui, ce sont des choses qu'il doit affronter pour sortir d'ici, donc il va devoir les combattre. Mais pour le reste on choisit de combattre ou non.
La démo prend fin, il est l'heure de plier bagages pour un nouveau rendez-vous gamescomien... Allez, deux petites questions rapides avant de se saluer !
C'est vous qui vous occupez de la version Vita de Silent Hill, Book of Memories ?
Non, mais je connais très bien ceux qui sont dessus ! C'est une coïncidence rigolote, mais Voldi Way, qui dirige le studio Wayforward, est un très bon ami, et en fait son fils a complètement flashé sur ma fille ! Alors on est un peu en famille, les développeurs des deux Silent Hill en cours font des fêtes d'anniversaire ensemble, c'est étrange hein ? (rires)
Il y a aussi un nouveau film Silent Hill en cours de réalisation... Vous avez eu des contacts avec eux ?
Oui, le réalisateur est venu nous voir au studio, il est resté deux jours avec nous. Il voulait qu'on échange un peu sur les artworks de production, sur le script, etc. Il nous a montré des choses et nous lui en avons montré aussi. C'était comme un échange d'idées, mais le film et le jeu ne seront pas vraiment liés. Il nous a tout de même dit qu'il allait travailler à partir de certaines choses qu'il a pu voir chez nous, pour peut-être inclure dans son film des clins d'oeil au jeu.
Merci beaucoup pour cette interview, je suis sûr que les fans apprécieront votre vision pour ce nouveau Silent Hill.
Merci à vous, à la prochaine !