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L'une des spécificités de BioShock Infinite est certainement le couple Booker / Elizabeth, et en particulier le fait que cette fois, le joueur incarne un personnage avec sa voix, sa personnalité, son passé, clairement mis en avant. Qu'est-ce que ça a changé dans votre manière d'aborder l'écriture ?
Je n'ai pas travaillé sur les précédents BioShock donc je ne peux pas vraiment parler en expert, mais je crois que le protagoniste silencieux dans System Shock 2 et BioShock, était constitutif de l'histoire. En particulier l'histoire de Jack était construite autour de ce concept du type silencieux qui faisait ce qu'on lui disait de faire. C'était vraiment pour appuyer le mensonge central de l'histoire. Je crois qu'avec Infinite on essaie de ne jamais se répéter. On veut avancer, et faire quelque chose qui est difficile et challengeant. Parce que je crois que c'est l'histoire du studio. En créant Booker, le but était de faire un personnage mémorable pour interagir avec Elizabeth. Ce sont deux protagonistes du jeu. On ne peut pas raconter cette histoire avec un protagoniste silencieux. Booker doit pouvoir interagir avec Elizabeth. Son personnage prend vraiment vie de ses interactions avec lui. On veut créer un personnage mémorable que les gens veulent jouer et puis par-dessus vous avez Elizabeth qui aide vraiment à personnifier ce monde. Elle est un personnage qui est intéressant non seulement du point de vue narratif, qui change au fur et à mesure et est incroyablement complexe, mais elle est aussi utile en termes de gameplay. Elle est le coeur et l'âme de ce jeu ! On essaie de faire un personnage avec lequel les gens voudront passer du temps, qu'ils voudront accompagner au combat, parce qu'elle assurera toujours vos arrières, elle vous lancera des munitions, du sel, etc. C'était ça l'objectif principal dans la manière dont nous avons réalisé tout ça.
Dans BioShock, il y avait cet aspect moral avec les Petites Soeurs. Mais c'était une mécanique avec un rendement décroissant : elle était forte la première fois, puis de moins en moins à chaque occurrence. Qu'en est-il des choix d'Infinite ?
Oui, je crois que c'était un choix moral fort qu'on faisait et refaisait encore et encore, et donc on y devenait plus ou moins insensible. Je crois que les dilemmes moraux qu'on veut présenter cette fois vont rester avec vous. Que ce soit dans la manière dont ils changeront la façon dont le jeu fera certaines choses, la tombola, par exemple. Il y a différentes choses qui pourront apparaître en fonction des différents choix que vous ferez. Mais au-delà de ça, je crois qu'il s'agit de présenter au joueur des choix qui ne sont pas nécessairement binaires. Il s'agit plus de dire : voici une situation, elle est moralement très ambigue, et elle pose un défi au joueur en lui demandant son opinion. On veut que les joueurs questionnent toujours ce qui se passe. Les raisons pour lesquelles les choses arrivent. Ce qui est bien avec les jeux BioShock, c'est que rien n'est jamais ce qu'il paraît. Plus vous y jouez, plus les ténèbres deviennent apparentes. Comme Columbia : elle est présentée au départ comme un lieu magnifique. Mais, évidemment, il y a quelque chose de pourri en son coeur. C'est je crois une bonne primitive pour le début du jeu. Que les joueurs ne sachent pas vraiment à quoi s'attendre pour la suite de leur chemin.
Comment créez-vous ces choix ? Est-ce que vous les écrivez d'abord puis implémentez le gameplay autour ?
Je crois que Gameplay et Histoire doivent faire l'objet de la même attention en parallèle. A cause de la manière dont on raconte l'histoire, c'est une narration à la première personne. On ne peut pas séparer l'histoire du gameplay parce qu'on en fait l'expérience à chaque pas. Ils doivent impérativement être mêlés. En ce qui concerne la manière dont on veut présenter ce champ de "flou moral", je crois qu'il s'agit avant tout de la motivation des personnages. C'est une chose de présenter quelque chose de mauvais, c'en est une autre de montrer le raisonnement qu'il y a derrière. Pourquoi quelque chose est mauvais. Je crois que les meilleurs vilains qui ont jamais été écrits ont ça en commun : personne ne se perçoit jamais comme maléfique. Ils ont toujours cette perception que ce qu'ils font est pour un plus grand bien. Et je crois que nos antagonistes ne sont pas différents. Ils feront des choses horribles, mais parce qu'ils ont rationalisé dans leur tête le bien qui pourrait en découler, ils deviennent d'autant plus complexes et intéressants et je crois qu'il faut avoir cette complexité, ce flou moral, dans un méchant. C'est tellement plus intéressant de combattre ça qu'un monstre générique qui veut juste vous arracher la tête.
Et qu'arrive-t-il si on se retrouve à être d'accord avec l'antagoniste ?
(rires) Si ça en arrive là... les gens sont libres d'interpréter le monde et ses personnages comme ils l'entendent. On n'est pas là pour juger. On est là pour présenter Columbia avec la plus grande fidélité possible. Avec une clarté de réflexion aussi forte que possible.