Aujourd’hui est une date particulière non seulement pour le petit monde en ce moment un brin apocalyptique du jeu vidéo, mais aussi pour le studio ukrainien GSC Game World. 14 ans après son annonce initiale et un développement hors du commun à bien des égards, STALKER 2: Heart of Chornobyl sort enfin.
En attendant que d’autres intrépides aventuriers nous rejoignent dans la Zone à l’occasion de la sortie tant attendue de STALKER 2 ce 20 novembre sur PC, Xbox Series et le Game Pass, nous avons passé une cinquantaine d’heures dans ce nouvel opus d’une franchise faisant presque office d’anomalie dans le paysage vidéoludique. Si tout ce temps passé à côtoyer brigands, mutants et radiations n’a pas suffi pour nous à en appréhender toute l’immensité, voici du moins notre avis à chaud en attendant un test en bonne et due forme. Une énorme attente pour retourner à Chornobyl qui en valait la peine ? Prenez votre masque à gaz, on vous emmène dans un voyage comme nous n’en avons pas vu depuis bien trop longtemps, non sans un immense plaisir, malgré de nombreux dangers et embûches.
Un STALKER 2 qui revient de très, très loin
En préface de cet avis préliminaire de STALKER 2, une petite mise en contexte est de mise. Cette franchise est pour rappel née en 2007 des forges de GSC Game World. Il était question de nous faire arpenter la vaste Zone de Chornobyl, après un événement cataclysmique qui a fait réaliser au monde de la plus effroyable manière les dangers du nucléaire comme source d’énergie : la fusion du cœur du quatrième réacteur de la centrale nucléaire de Chornobyl le 26 avril 1986. Le pays le plus fortement touché par ce drame fut naturellement l’Ukraine. Les développeurs ont littéralement grandi avec la peur des radiations, et ont avec la franchise STALKER raconté une histoire profondément personnelle. Forte de trois épisodes (Shadow of Chornobyl, Clear Sky et Call of Prypiat) cette licence unique en son genre s’est hissée comme une fierté nationale, et devenue culte dans le monde entier, dépassant même les frontières vidéoludiques pour aller jusqu’à avoir un impact culturel fort. Rarement un FPS n’a été aussi immersif, prenant et iconique que ce que GSC Game World a créé avec son cœur et ses tripes. Votre serviteur a découvert la licence avec Clear Sky, puis sa suite, Call of Prypiat. L’immensité de la proposition, l’aspect survie particulièrement exigeant et l’ambiance générale de cet univers m’ont profondément marqué et contribué à mon amour du post-apo.
L’annonce d’un nouveau jeu STALKER en 2010, pour une sortie prévue en 2012, était donc surveillée au tournant par une importante communauté de fans. Mais GSC Game World a hélas été dissous en 2011, avant d’être réanimé en 2014, notamment grâce au soutien de Xbox Games Studios. C’est en 2018 qu’il nous revient avec le retour tant espéré : STALKER 2 Heart of Chornobyl existe, et devait sortir en 2022. Puis est arrivé cette même année quelque chose qu’on ne pensait plus revoir à notre époque : la Russie déclare la guerre à l’Ukraine. Une partie des développeurs cesse donc de travailler sur le jeu pour participer à l’effort de guerre, tandis que le reste de l’équipe déménage à Prague pour poursuivre le développement. Une situation proprement sans précédent, qui témoigne d’une détermination considérable et d’un profond amour pour une œuvre très chère au cœur du studio ukrainien, qui force véritablement le respect. Pour rappel, un documentaire en partenariat avec Xbox, baptisé War Game: The Making of STALKER 2, a été diffusé notamment sur YouTube pour mieux se rendre compte de la chose, et nous vous recommandons chaudement de le visionner tant il est poignant.
Ainsi, contre vents radioactifs et marées, la sortie de STALKER 2 tient presque d’un miracle, surtout compte tenu de son envergure proprement colossale. Il est en effet question d’explorer pas moins de 64 km² de la Zone d’exclusion autour de la centrale nucléaire de Chornobyl. Le tout qui plus est sans pratiquement aucun temps de chargement, sur l’Unreal Engine 5. GSC Game World voulait ainsi avec son nouveau titre nous proposer le terrain de jeu le plus massif jamais créé par ses soins, de la manière la plus belle possible. Une tâche herculéenne qui aurait fait pâlir bien d’autres studios disposant pourtant de plus gros moyens. Mais l’équipe ukrainienne n’a pas flanché. Elle souhaitait prouver au monde que, malgré des épreuves aussi insurmontables en apparence soient-elles, les projets les plus ambitieux peuvent se réaliser si on se donne suffisamment de peine. Et même si nous avons fait face à de nombreux couacs techniques, jamais nous n’avons autant pris notre pied en explorant cette légendaire Zone.
La Zone nous rappelle, et on y est retourné avec autant de plaisir que d’angoisse
En une cinquantaine d’heures, nous avons en effet arpenté une bonne partie de l’énorme monde ouvert de STALKER 2, mais pas assez pour notamment aller au bout de son histoire. Celle-ci se veut plus ambitieuse que dans les précédents jeux, avec notamment un énorme effort sur la mise en scène, de nombreux choix moraux et différentes fins. Nous gardons donc notre avis tranché sur cet élément pour le test final. En revanche, nous avons déjà bravé bien des dangers. La licence est connue pour proposer un gameplay « réaliste », une certaine dose de survie où chaque décision prise doit être minutieusement mesurée, voire même d’horreur, et on retrouve tout le sel de cette formule à part dans ce nouvel opus.
Même en difficulté « Normale », il n’est pas question ici de foncer comme un dératé et défourailler tout ce qui bouge. Se prendre un coup entraîne des saignements qu’il faut soigner rapidement, au risque de passer l’arme à gauche. Les anomalies propres à la Zone peuvent nous irradier, nous électrocuter ou faire fondre notre équipement sous la chaleur ou l’acide. Si nous n’entretenons pas notre tenue, masque et nos armes, ceux-ci risquent de nous prendre en défaut au pire moment. Si nous ne partons pas d’un lieu sûr avec suffisamment de munitions, de vivres, de médicaments et diverses protections contre les dangers qui nous attendent dehors, nous risquons de rencontrer une fin funeste. Alors que la plupart des jeux ont aujourd’hui plutôt tendance à nous tenir par la main, STALKER 2 va à contre pied de tout cela, et se présente donc comme un énorme vent de fraîcheur, quoique vicié par son ambiance délicieusement post-apocalypse nucléaire.
À noter toutefois que le gameplay se montre intrinsèquement « old-school », comme qui dirait bloqué une dizaine d’années en arrière. Notre personnage se déplace avec une certaine lourdeur, ne peut pas faire de glissades, se mettre à plat ventre ou escalader tout ce qu’il voit. Une perspective qui risque d’en rebuter plus d’un, mais qui de notre côté nous a procuré un plaisant sentiment de nostalgie. Qui dit survie dit par ailleurs également une gestion assez punitive de notre inventaire : plus notre sac est plein, plus notre personnage avance lentement et s’épuise vite. À l’exception de quelques points de voyages rapides entre de très rares bastions de la civilisation, il nous faudra donc trimballer tout notre barda à pied (du fait de l'absence a priori totale de véhicules) jusqu’à la ville la plus proche, pour se faire de l’argent et améliorer notre équipement, parfois à plus d’un kilomètre de notre position actuelle. Et vous savez ce qu’on dit : un kilomètre à pied…
En parlant d’ambiance, on ne peut que saluer l’admirable travail de GSC Game World sur ce terrain. La Zone est très capricieuse, la météo changeante et les horreurs qu’elle abrite peuvent nous tomber dessus à tout instant. On avance donc avec une prudence constante, et le moindre bruit nous met directement en alerte, notre arme levée et prête à tirer. Ce sentiment d'oppression est omniprésent, surtout la nuit, notamment grâce à une direction artistique diablement réaliste, tout comme le sound design. L’Unreal Engine 5 nous présente ainsi un jeu STALKER dans sa forme la plus aboutie, avec des effets de lumière et des décors mine de rien très variés propices à la contemplation de ce monde dévasté, et pourtant si poétique dans toute sa désolation.
En dépit d’un monde ouvert proprement gargantuesque, STALKER 2 ne lasse par ailleurs quasiment jamais. Avec la quête principale en fil rouge, on s’abandonne aisément au papillonnage en croisant diverses structures, se demandant quels trésors (et dangers) elles renferment. Même avec plusieurs dizaines d’heures au compteur et après avoir tout de même pas mal roulé notre bosse, la Zone ne cesse de nous surprendre, de nous émerveiller et de nous angoisser. Rares sont les jeux en monde ouvert capables de nous tenir autant en haleine, et GSC Game World nous gâte ici d’une expérience prenante de bout en bout qui nous donne constamment envie d’y retourner. Le studio ukrainien fait donc avec son nouveau jeu particulièrement surveillé un énorme cadeau aux fans de la franchise. En espérant que la formule arrivera aussi à séduire un nouveau public, malgré sa proposition très intimidante à bien des égards… et ses nombreuses anomalies (ou bugs, dans un jargon plus technique).
Un grand jeu irradié par ses propres ambitions ?
En dépit de nombreux reports et souffrant fatalement d’un développement extrêmement compliqué, STALKER 2 s’est montré en effet dans notre version de test quelque peu victime de ses grandes ambitions. Si on ne tarit pas d'éloges sur l’impressionnante cohérence de son monde ouvert, son ambiance et immersion proprement exquises et son gameplay délicieusement exigeant, il est difficile de totalement passer outre les nombreux couacs rencontrés au fil de notre aventure. D’un point de vue technique déjà, on sent que des sacrifices ont été faits pour qu’une Zone de plus de 60 km² tienne le coup sans presque aucun temps de chargement.
En se baladant, on ne peut s’empêcher de remarquer le clipping constant des éléments distants, ou alors des glitches graphiques faisant véritablement mal aux yeux après de longues sessions de jeu, signe que le titre montre à la longue quelques signes de fatigue. On peut également relever des textures assez disgracieuses en les regardant de près, notamment au niveau d’une végétation foisonnante, mais aux brins d’herbe rendus en 2D pour maximiser les performances. Sur notre PC équipé d’une RTX 4080 SUPER, d’un Ryzen 7 7800X3D et 32 Go de RAM, le titre tourne globalement comme un charme en 1440p, en dépassant très largement les 60 FPS. Malgré l’assurance de GSC Game World d’une bonne optimisation tant sur PC que sur consoles, on se demande notamment légitimement comment des configurations PC plus modestes ou la petite Xbox Series S parviendront à supporter une telle dose de radiations.
Nous mentionnions également un sound design de solide facture. Cela est vrai s’agissant des effets météorologiques ou des bruits inquiétants lorsque nous explorons à tâtons le sous-sol d’un bâtiment, avec pour seule planche de salut notre lampe-torche. On aimerait maintenir ce postulat… si ce n’était pour les nombreux bugs sonores relevés. En cas de pluie, il arrive par exemple que le bruit des gouttes s’arrête subitement et reparte, comme pour relancer un fichier son en boucle. Mais notre plus gros grief sur ce terrain s’attache aux tirs. Dans la majeure partie des cas, tirer avec notre arme ne rend quasiment aucun son, que celle-ci soit équipée d’un silencieux ou non. Alors que le gunplay se montre globalement fort plaisant et très immersif, mais ce bug de son vient grandement tuer ce sentiment. On a ainsi l’impression de tirer avec des répliques d’airsoft, plutôt qu’avec de véritables armes dont on sent autrement bien le poids entre nos mains.
Enfin, outre les bugs visuels et sonores, ce ne serait hélas pas un jeu en monde ouvert digne de ce nom sans de nombreux problèmes de script ou de plantages. Il nous est en effet arrivé régulièrement de devoir recharger une partie antérieure, une quête ne se terminant pas en raison d’un quelconque souci en empêchant la résolution, ou nous bloquant dans une fenêtre de dialogue impossible à fermer. Et c’est sans parler de plusieurs crashes intempestifs arrivant parfois en plein milieu de l’exploration bien angoissante du terrier de terrifiants mutants. Fort heureusement, les sauvegardes automatiques se font très régulièrement, pour ne pas nous faire perdre de précieuses minutes de jeu. À noter qu’un « Patch Day One » colossal a été déployé en amont de sa sortie, venant corriger une grande partie des problèmes cités ci-dessus, nous permettant donc de mieux apprécier STALKER 2 à sa juste valeur. Verdict sur ce point dans notre test final.
STALKER 2 semble bien digne d’une énorme attente… à condition d’être peaufiné
Nous concluons donc cet avis préliminaire de STALKER 2, en attendant un test plus définitif, avec un avis globalement très positif, à condition de passer outre des couacs techniques prévisibles, mais qu’on aurait tout de même aimé moins présents. Cette suite extrêmement attendue se présente en tout cas sur le papier comme la formule ultime de la franchise culte de GSC Game World, avec une immersion incroyablement prenante, un gameplay aussi exigeant qu’exaltant, et un monde ouvert gigantesque qu’on prend pourtant énormément de plaisir à explorer. Compte tenu de tout ce qui est arrivé au studio ukrainien au fil de ces quatorze dernières années, parvenir à sortir le jeu dans un état certes perfectible mais malgré tout aussi solide est en soi une victoire retentissante. Ne nous reste donc plus qu’à retourner voir ce que le Cœur de Chornobyl nous cache encore et arriver au bout d’une histoire qu’on a légitimement envie de voir se conclure. La Zone nous appelle, et on a envie que d’une chose : répondre à son chant aussi séduisant qu’angoissant, peu importe les anomalies et monstruosités qu’elle abrite. On se retrouve donc pour notre test final de STALKER 2, si on arrive à survivre à ce voyage post-apocalyptique de haute volée.