10 ans c’est long, surtout dans le monde du jeu vidéo. Perdu entre les envies de jeux-service d’EA, Dragon Age 4 The Veilguard et son équipe voient enfin le bout du tunnel. L’épisode aura la lourde tâche de voir concilier les vétérans inflexibles et les nouveaux venus biberonnés à The Witcher 3, Baldur’s Gate 3 et autres RPG modernes.
Après un Anthem et un Mass Effect Andromeda des plus décevants, les attentes sont énormes, tout comme la pression sur ses épaules. Dragon Age 4 The Veilguard est perçu comme le jeu de la dernière chance, celui qui doit absolument redonner ses lettres de noblesse à BioWare, autrefois un pionnier du genre. Le chemin parcouru aura été laborieux, de la première version orientée multijoueur et jetée à la poubelle, au départ de nombreux vétérans, en passant par la première présentation au grand public maladroite. Presque une décennie et un développement tumultueux plus tard, ce quatrième épisode est fin prêt à sortir ce 31 octobre 2024 sur PS5, Xbox Series et PC. Nous avons pu y jouer en avant-première pendant plusieurs heures. En plus d'être à la hauteur des attentes, il pourrait bien signer le retour en grâce de BioWare.
Un créateur de personnages comme jamais vu
Nos premiers pas se sont faits comme dans le jeu final. Une petite introduction dessinée narrée par ce bon vieux Varrick nous rappelle tout ce qu’il y a à savoir autour de l’histoire, Solas et les grandes lignes du lore. Un petit cliffhanger et 10 ans plus tard, ça ne fait pas de mal, et ça permet surtout de mettre un peu les néophytes dans le bain. Un style de cinématique qui sera d’ailleurs repris à quelques autres moments pour bien introduire les enjeux aux nouveaux venus, qui risquent fortement de se noyer dans l’océan de révélations que promet le jeu. À vrai dire, Dragon Age 4 The Veilguard devrait tirer sur la corde sensible des joueurs de longue date. Tout ce que qu’on a vu de l’histoire nous laisse espérer des réponses à des mystères vieux de 15 ans, notamment en ce qui concerne l’enclin et les dieux elfiques. Le lore du jeu sera particulièrement riche et on se demande sincèrement comment le studio américain parviendra à ne pas trop perdre les néophytes auxquels il fait tant du pied. Les vétérans auront clairement l’avantage, mais Dragon Age 4 The Veilguard ne nécessitera pas d’avoir fait les épisodes précédents pour être pleinement apprécié.
Dans la plus pure tradition de la franchise, nous incarnons un nouveau héros, « Rook ». Une page blanche à définir selon ses préférences via un créateur de personnages qui figure parmi les plus fournis et profonds à ce jour. Ce ne serait ni familier ni exagéré de dire que c’est une « dinguerie ». Il n'y a pas d’autres mots tant absolument TOUT est personnalisable, en général avec un curseur ultra précis et un large spectre de possibilités. Au-delà de l'archétype du corps, du genre, des pronoms, de la cinquantaine de sourcils et tout autant de cils (oui enfin !), de la quarantaine de maquillage et tatouages, c’est le degré de personnalisation de chaque élément qui est impressionnant. Par exemple, après avoir choisi une couleur de peau, on l’affine parmi des teintes chaudes, froides ou neutres, puis on ajuste le degré de mélanine pour ensuite ajouter des tâches de rousseurs ou du vitiligo dont l'intensité et la quantité sont elles-mêmes réglables.
La liste serait trop longue à dresser tant ce créateur de personnages est généreux et qu’on m’a tristement demandé de le speedrunner. Je veux dire, on peut même ajuster le larynx de notre héros, du jamais vu, et on aura la mainmise sur la morphologie de notre avatar pour la première fois de la licence. L’expérience de Corinne Busche, directrice du jeu, sur les Sims 4 se fait clairement ressentir et on sent que tous les curseurs ont été poussés à fond, tout en corrigeant certaines lacunes de l’épisode précédent. Le nombre de coupes de cheveux est tout simplement hallucinant, et absolument toutes profitent d’une modélisation détaillée et réussie, quand les mauvaises surprises une fois en jeu appartiendront au passé. Passer trois heures à créer un personnage sous une lumière trompeuse, c’est fini. Dragon Age 4 a eu la bonne idée d’inclure plusieurs fonds avec des éclairages et ambiances différentes afin de voir son héros dans des conditions réelles avant de se lancer à l’aventure.
Si vous trouviez que vous aviez passé trop de temps à créer votre Inquisiteur, attendez de voir avec Dragon Age The Veilguard. C’est vraiment ultra complet. BioWare étudie en ce moment même la possibilité de lancer une démo qui permettrait de prendre de l’avance en créant son Rook avant la sortie pour gagner du temps, mais rien n’est gravé dans le marbre. Côté RP pur, on pourra choisir parmi les quatre races prédominantes du monde de Thédas : les Humains, les Elfes, les Qunaris et les Nains et d’en choisir les factions qui influeront directement le background et la relation de notre héros avec certains personnages. Un Gardien des Ombres aura par exemple des lignes de dialogues exclusives avec ses pairs, pareil pour un Corbeau d’Antiva qui aura des options de choix supplémentaires lors des discussions, souvent drôles ou sarcastiques. Idem du côté des classes, avec le sacro-saint trio guerrier-mage-rogue, chacun disposant de trois sous-classes qui ont toutes l’air d’avoir un gameplay assez original pour en varier les plaisirs. On devra cependant attendre d’avoir pleinement le jeu en main pour en avoir le cœur net.
Cette première mission ne s’arrête pas simplement à façonner Rook. L’Inquisiteur, héros de Dragon Age Inquisition, fera également son retour d’une manière ou d'une autre. À l’instar de Baldur’s Gate 3, vous aurez donc deux personnages à créer et à personnaliser. Dans un menu reprenant les codes de Dragon Age Keep, l’application qui remplaçait le transfert de sauvegarde dans DAI, les vétérans pourront reporter certains de leurs choix précédents, que l’on se doit de taire, mais qui se comptent sur les doigts d’une main. Avec le retour d’anciens personnages intimement liés à l’histoire, au lore et à des choix faits dans l’ensemble de la série, on regrette déjà l’absence d’une application plus profonde pour réellement retranscrire nos décisions passées et continuer le récit des trois épisodes précédents. John Epler, directeur créatif, nous a indiqué que c’était surtout dû à une volonté de rendre Dragon Age 4 plus accueillant pour celles et ceux qui prendraient l’aventure en chemin. Une décennie et quelques jeux étant venus donner un bon coup de pied dans la fourmilière plus tard, The Veilguard se doit de jouer les équilibristes pour combler les inconditionnels de sa saga et le grand public. C’est clairement ce dernier qui sera visé par le nouveau système de combat, résolument plus contemporain.
Des combats plus dynamiques que jamais
Tout en s’inscrivant dans la droite lignée de son prédécesseur, Dragon Age 4 fait le pari de mélanger plusieurs tendances modernes. À commencer par la caméra plus rapprochée, les parades qui demanderont un bon timing pour repousser les assauts ennemis, les esquives ou encore les attaques ultimes qui versent parfois dans le spectaculaire. La sempiternelle jauge d'endurance des adversaires à mettre à mal en utilisant le bon type d’attaque et autres boucliers sont aussi à l’ordre du jour, tout comme quelques subterfuges liés aux résistances et faiblesses. En résulte un gameplay beaucoup plus dynamique, réussi et prenant qui repose davantage sur le positionnement, mais qui exigera une petite courbe d’apprentissage. Après sept heures de jeu en étant bazardé d’une démo à l’autre, nous n’avons pas eu l’impression d’en voir toutes les subtilités, surtout à niveau élevé. Dans ces conditions, difficile par exemple de savoir si le système de parade est réellement moins réactif qu’espéré et si le bestiaire sera très répétitif ou non. En revanche, le feeling dépendra clairement de la classe jouée.
Toutes reposeront sur des enchaînements de compétences, d’attaques légères, lourdes ou d’assaut en sprintant, et sur la possibilité d’attaquer à distance. Il faut également désormais compter sur des appuis longs sur la touche d’attaque. Le tout mis ensemble donne lieu à un petit système de combos que nous n’avons pas pu totalement apprivoiser en si peu de temps et en changeant constamment de personnage. Chacune des classes a cependant ses spécificités et ça change nettement l’expérience globale. Le rogue propose des affrontements plus vifs et grisants en alternant combat rapproché, virevolte et assauts aériens comme à longue portée avec un arc qui peut faire très mal pour le peu qu’on sache viser. À l’inverse, le mage est beaucoup plus technique, lent et se joue davantage en mid/ long-range avec une gestion du mana parfois éprouvante lorsqu’on est encerclé par de nombreux ennemis. Une fois maîtrisé, il se montre diablement efficace. Le guerrier quant à lui sera sans doute la valeur sûre, lui qui est plus classique avec son épée et son bouclier (utilisé aussi comme une arme à distance). Il a cependant la particularité de pouvoir changer à la volée avec une masse à deux mains et il sera surtout doué pour repousser et envoyer les ennemis dans le décor. Ce sera vraiment une affaire de préférence.
Si Dragon Age 4 The Veilguard proposera différents modes de difficulté, il sera visiblement loin d’être une balade de santé, même en normal. Les combats ont clairement gagné en intensité, avec des ennemis plus nombreux, un peu plus réactifs, qui n’hésitent plus à esquiver ou parer nos assauts. La gestion des soins, que ce soit via les potions ou les sorts de nos alliés, sera importante, mais le jeu vous laissera une seconde chance avec la possibilité de revenir à la vie une fois par combat ou zone, ce n’est pas encore très clair. Ce ne sera pas de trop vu les quelques boss auxquels nous nous sommes confrontés et qui peuvent parfois être impitoyables. Ces premières heures laissent d’ailleurs espérer une meilleure variété contre les adversaires les plus coriaces, certains pouvant même être différents selon les choix importants faits. On regrettera surtout un manque de lisibilité lors de l’un d’entre eux et globalement lorsque l’on est assailli de toute part.
Ce nouvel épisode est clairement plus orienté action que jamais, mais la dimension tactique y a toujours une place importante. C’est là que le système de pause est mis à contribution pour identifier les ennemis et leurs faiblesses, avoir plus de contrôle sur les combats, mais aussi donner des consignes à ses deux acolytes qui seront capables de créer des combos avec notre Rook et entre eux. Des synergies qui seront directement influencées par la relation que l’on a avec nos camarades, mais qui ont l’air d’avoir rapidement montré leur limite, du moins lors de notre session. À raison de trois compétences par personnage qui ne font pas forcément des ravages entre elles, on se retrouve vite à spammer les mêmes combos quand on en a l’occasion. Gageons que le système gagnera un peu plus en profondeur à mesure que l’histoire avance, d’autant que cette synchronisation des assauts tient une place très importante dans le gameplay.
S’il ne révolutionnera pas le genre après la myriade d’action-RPG passés avant lui, le système de combat de Dragon Age The Veilguard pourrait être une franche réussite. On espère que la voie de la spécialisation permettra cependant d’apporter un peu plus de piment face à une certaine redondance qui s’est fait ressentir vers la fin de notre prise en main, correspondant à la conclusion de l’acte 1. BioWare avait prévenu, tout sera une affaire build et de synergie avec ses camarades. On risque donc de passer pas mal de temps dans l’arbre des compétences, qui sera constellé de nœuds menant vers des sous-classes avec des capacités passives, actives et autres bonus de statistiques en chemin. Peu importe la classe, il est franchement bien fourni et offre une véritable liberté. Vous pouvez tout aussi bien foncer vers la sous-classe de votre choix, comme picorer dans chaque pour renforcer votre personnage. BioWare a surtout eu la bonne idée de vous laisser recommencer vos builds en un clin d'œil, donnant ainsi une place toute particulière à l’expérimentation. Vos compagnons de route auront eux aussi leurs propres arbres, forcément moins bien détaillés, mais qui permettent d’adapter facilement leurs attaques à votre stratégie ou style de jeu de préférence. À ce sujet, le studio américain a prévenu : le gain d’expérience ne se fera pas tant au combat, mais plutôt grâce aux missions.
Un monde plus linéaire au profit de la narration
Passé les débuts un peu dirigistes du prologue, toute aventure commencera au Phare, votre hub. Ce sera sans doute là que la magie BioWare opérera le plus, avec des conversations avec nos compagnons où l’on pourra approfondir notre relation avec eux et autres scènes axées sur la narration et le lore. Nos alliés s’annoncent aussi attachants que bien écrits, mais on attend évidemment d’en voir plus avant d’émettre un quelconque avis. Nous n’avons pas trop d’inquiétude sur ce point, on sait que c’est le point fort du studio. Comme dans Dragon Age Inquisition, ce repaire servira également à toute l’intendance. Vous pourrez par exemple prendre soin de votre équipement en rendant visite au Caretaker. L’entité mystérieuse vous aidera à renforcer votre arsenal, mais aussi de lui coller divers enchantements pour accéder à des équipements toujours plus dévastateurs, ou à améliorer vos runes qui vous confèrent quelques bonus en début de combat.
Là encore, Dragon Age 4 The Veilguard apprend des erreurs de son prédécesseur. Fini le monde ouvert rempli inutilement de quêtes annexes qui vous envoient faire la cueillette juste pour vous occuper pendant 10 heures comme c’était le cas avec Les Marches Solitaires, la première zone infernale. Le jeu opte désormais pour une structure plus fermée découpée en plusieurs zones accessibles depuis La Croisée des Chemins, véritable carrefour souterrain rempli de secrets et butins où marchands et PNJ s’entrecroisent et vous donneront des missions. BioWare promet des quêtes annexes plus narratives, qui viendront appuyer le lore ou l’histoire des factions. Notre preview étant davantage orientée sur le combat, nous devons pour le moment nous fier à leurs paroles. Si la structure narrative se fait donc principalement par le biais de quêtes scénarisées, il sera possible d’explorer le monde de Thédas à notre convenance via le voyage rapide. Les environnements que nous avons pu parcourir sont beaucoup plus concentrés et linéaires, mais restent assez ouverts pour donner envie d’en explorer les moindres recoins et ils sont honnêtement bien plus intéressants à visiter que des zones vides et sans âme. Quelques puzzles environnementaux viendront ponctuer nos balades, et tous devraient mettre nos compagnons à contribution. La bonne nouvelle c’est que par magie, il n’y aura pas besoin d’avoir le personnage demandé dans son équipe et faire des allers-retours incessants pour avancer. L’exploration sera d’ailleurs plus accessible et les joueurs auront l’embarras du choix. Soit opter pour l’approche classique appuyée par tout un tas d’indicateurs et très dirigiste, soit l’inverse en cherchant par eux-mêmes les indices dans l’environnement.
Plus maîtrisées et intéressantes, ces zones sont surtout plus diversifiées. Dragon Age 4 nous fera enfin voir du pays, notamment les contrées de Tevinter emplies de magie et qui se démarquent grâce à leur direction artistique plus dépaysante. De la capitale Minnatrhie, à une prison sous-marine, en passant par la luxuriante Forêt Arlathan parsemée d’anomalies, cet épisode nous fera changer d’air, avec des villes qui ont enfin de la vie. Chaque zone est vraiment différente l’une de l’autre et le jeu navigue habilement entre les différents tons et ambiances.Celles et ceux qui seraient inquiets, oui, Dragon Age 4 The Veilguard versera toujours dans la dark fantasy. L’Enclin transforme plusieurs villes en lieux oppressants, sombres et parfois bien crades. Dragon Age 4 The Veilguard donne réellement l’impression de puiser davantage dans la high fantasy, comme à l’époque d’Origins. Sans trop en dire, certains lieux visités pourront même évoluer selon nos décisions majeures. Parce que si nous n’avons pas pu mettre le système de choix à l’épreuve, tout ce qui fait le sel des productions de BioWare sera bien toujours là.
L’évolution de ce quatrième épisode sera aussi technique. Le Frostbite Engine a enfin été apprivoisé et il fait souvent des merveilles. Le jeu est beau, n’en déplaise à ceux qui n'aiment pas sa direction artistique plus « cartoonesque ». Les effets de l’eau à chaque impact, les bleus et les blessures sur nos personnages, les gouttes de sueur et de pluie qui ruissellent sur les visages mettent en avant un véritable bond technique quand les effets de lumière sont des plus jolis. Et que dire de cette physique des cheveux comme rarement vue ? Il y a un vrai sens du détail, qui est malheureusement contrebalancé par des carences sur les animations faciales et la synchro labiale qui ont un train de retard avec ce qui se fait aujourd’hui. Sur ce point, Dragon Age 4 The Veilguard souffrira inévitablement de la comparaison avec le nouveau champion des RPG : Baldur’s Gate 3. Rien qui ne devrait venir entacher l’ensemble ceci dit, puisque le jeu s’annonce plus épique que n’importe quel autre épisode de la licence, avec un effort considérable sur la mise à scène et sur la VF de bonne facture.
On l'attend...impatiemment
Dragon Age 4 The Veilguard fait face à un énorme challenge. Celui de conserver l’essence de la licence tout en l’ouvrant à un nouveau public. Le pari semble réussi avec un accent mis sur un système de combat plus contemporain et efficace, un monde plus condensé et une écriture qui devrait toujours être le point fort du studio, surtout sur ses compagnons auxquels il a apporté le plus grand soin. Malgré un bond technique évident et par moments impressionnant, le jeu pourrait bien avoir quelques tares, notamment au niveau des animations. Il reste encore tant à dire et surtout à découvrir, surtout sur les choix, le scénario et quelques éléments RPG. Après toutes ces années d’attente, il pourrait cependant bien être l’une des belles surprises de l’année et surtout le retour en force de BioWare tant espéré.