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Yann Leroux.
N'étant pas très communautaire moi-même, préférant découvrir les MMO et passer de l'un à l'autre tel un Don Juan du jeu vidéo, j'ai vraiment beaucoup de mal à comprendre ce qui peut retenir un gamer aussi longtemps sur un même titre. Les amis, parfois rencontrés en ligne ? La guilde, les responsabilités ? L'habitude, les souvenirs ? J'ai posé ces questions à Yann Leroux, un psychologue connu pour son intérêt pour le jeu vidéo (le suivre sur Twitter) et auteur de Les jeux vidéo, ça rend pas idiot ! Un petit peu de concentration s'il vous plaît :
Pour comprendre ce qui peut retenir un joueur sur un MMO pendant des années, il faut faire un détour par la psychologie de la motivation. On définit la motivation comme l'ensemble des mécanismes biologiques et psychologiques qui déterminent le déclenchement d'un comportement, son orientation (attirance ou évitement) ; l'intensité de la mobilisation énergétique et la persistance du comportement dans le temps.
La motivation peut être extrinsèque ou intrinsèque. Dans ce premier cas, elle est affectée par des renforcements extérieurs comme des notes, le prix ou l'argent. Dans le cas des MMO, les Hauts Faits, les armes légendaires et autres items rares peuvent motiver le joueur. Mais dans les jeux vidéo comme ailleurs, cette motivation n'est jamais suffisante pour maintenir un comportement sur un long terme. Les individus s'engagent et s'investissent profondément dans un comportement lorsqu'ils sont conduits par des motivations intrinsèques. Dans ce dernier cas, l'activité est recherchée pour l'intérêt qu'elle procure en elle-même. Le joueur joue alors non pas pour obtenir des récompenses, mais pour le plaisir de l'activité.
Une étude de Nick Yee a fait apparaître une dizaine de composants dans les motivations des joueurs de MMO. On peut les regrouper sous trois catégories. Certains joueurs cherchent l'exploit. Ils s'investissent dans l'avancement dans le jeu dans la mécanique du jeu ou dans la compétition. D'autres joueurs sont davantage intéressés par la composante sociale. Ils jouent pour se faire des amis, parce qu'ils apprécient le travail en équipe, et parce qu'ils aiment avoir des relations. Enfin, un troisième groupe de joueurs joue pour les plaisirs de l'immersion. Ils aiment découvrir les différents aspects du jeu, customiser leurs personnages ou encore faire du jeu de rôle.
On fait parfois grand cas du fait que le centre du plaisir situé dans l'hypothalamus est activé chez les joueurs de jeu vidéo pour mettre l'accent sur l'impact profond qu'a cette pratique. Mais on laisse trop souvent de côté que les motivations qui sont satisfaites ne sont pas les motivations biologiques ni celles liées aux apprentissages. Les joueurs de MMO jouent d'abord parce que le jeu permet de satisfaire des motivations symboliques et cognitives. Ils jouent pour rencontrer d'autres personnes et se comparer à elles dans des compétitions. Ils jouent pour explorer un environnement. Ils jouent pour se laisser porter par les histoires qui sont racontées.
Ainsi, l'espace du MMO se confond avec l'espace interne du joueur. Les espaces qu'il parcourt sont des images de ses paysages intérieurs. Les conflits dont il est témoin ou acteur sont similaires à ses propres conflits. Le travail qu'il y effectue (leveling, professions, etc.) correspond au travail de maturation qui nous occupe tous. Parce qu'ils sont des environnements complexes, les MMO peuvent accompagner un joueur dans son évolution pendant plusieurs années. Une personne pourra satisfaire à un moment son sentiment de sécurité en travaillant des aspects de soi avec un personnage. Puis, à un autre moment, il pourra satisfaire son besoin d'amour et d'appartenance en s'investissant dans une guilde. À un autre moment, ses hautes réalisations ingame pourront servir de point d'appui à son estime de soi. Enfin, le besoin d'accomplissement pourra être satisfait par tout ce qui est réalisé dans et à travers du jeu.
Ces éléments apportent des lueurs dans le débat sur « l'addiction aux jeux vidéo ». L'accroissement du temps de jeu des joueurs de MMO a pu être rapporté à l'effet d'un renforcement positif. Le joueur serait d'autant plus conduit à jouer qu'il est sûr d'obtenir une récompense. Cependant, la situation des gamers est tout à fait similaire à celles des joueurs étudiés par Edward Deci (1971). Ce psychologue américain a montré que dans une tâche de puzzle, les sujets qui reçoivent un renforcement (un dollar par puzzle) jouent moins longtemps que ceux qui jouent sans recevoir de récompense. Lorsqu'ils sont laissés dans une pièce avec différentes activités (magazines, puzzles, etc.) c'est encore le groupe non renforcé qui joue le plus longtemps. Ainsi, si des personnes s'investissent longuement et massivement dans un MMO, il ne faut pas en chercher la cause dans des facteurs externes, mais bien plutôt parce qu'elles y trouvent des occasions de réalisation de soi.
Ce n'était pas si compliqué, si ?