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Afin d'entamer la discussion d'une manière extrêmement claire, je précise me considérer comme un gamer, sans aucune ambiguïté. Pourtant, par rapport à l'image d'Épinal établie et ce que le terme véhicule aujourd'hui, je ne me reconnais pas nécessairement dans ce portrait-robot. Je ne suis bien évidemment pas le seul dans ce cas et cette dénomination de gamer reste plus réductrice qu'autre chose, conditionnant même parfois le devenir des jeux.
Vis ma vie
Lorsque je dis que je suis un joueur passionné, qui a, d'autant plus, la chance incroyable de travailler dans ce milieu, cela renvoie une image à mon interlocuteur qui ne me correspond pas. J'aime ce média, mais je le pratique d'une manière que certains pourraient juger peu raccord avec l'image du gamer.
J'aime en effet le jeu vidéo, mais je me place à contre-courant de certaines tendances établies. Par exemple, la durée de vie d'un jeu est une composante qui ne rentre pour moi pas dans l'appréhension que j'ai d'un titre. Ou plutôt si, mais dans le sens inverse de celui attendu : j'apprécie particulièrement les jeux courts. Évidemment, je ne vais pas aimer un jeu parce qu'il est court, mais je serai bien plus enclin à entamer une aventure si je sais que sa durée de vie n'est pas immense. Je reproche d'ailleurs à certains jeux longs de ne faire souvent qu'étirer ad nauseam une mécanique de gameplay reposant en général sur deux ou trois piliers. Autant dire que si je suis à fond lors des premières heures, je me lasse particulièrement vite.
Dans le même ordre d'idée, je ne supporte pas les jeux trop difficiles, où l'avancée se fait en suant sang et eau. Je joue pour me divertir, sans forcément avoir envie de me prendre la tête. Et si certains titres jouent habilement sur la frontière entre frustration et plaisir pour conditionner leur gameplay, la difficulté ne m'intéresse pas. En même temps, j'ai été élevé au jeu Teenage Mutant Ninja Turtles sur NES, ceci explique peut-être cela.
Je n'apprécie aussi que modérément les vastes mondes ouverts, où je suis livré à moi-même. Je préfère largement un titre linéaire, scripté, qui va me prendre par la main. L'aventure est ainsi plus canalisée, le développeur ayant jalonné l'expérience comme il le souhaitait. Je lui fais confiance, c'est son métier après tout.
Je suis également extrêmement friand d'expériences plus narratives, où le gameplay peut être relégué au second plan. Tant qu'il y a de l'interactivité, ça reste un jeu vidéo, non ? Là encore, la volonté d'immersion étant plus forte, et même si je ne rechigne pas à jouer à un Mario Galaxy ou un Donkey Kong Country Returns - des jeux purement centrés sur le gameplay -, je n'ai pas envie que ma partie et sa progression ne soient uniquement déterminés par mon skill ou mes réflexes. Je ne joue d'ailleurs pas plus pour la compétition.
D'ailleurs, si je termine la majorité des jeux que j'entame, je ne suis absolument pas complétiste. La quête du 100% ou la recherche de la moindre quête annexe ne m'intéresse que rarement. Idem pour le New Game +. Une fois que le générique de fin défile, je ressens la nécessité de passer à autre chose. Et si le premier run ne m'a pas permis d'appréhender toutes les qualités du jeu ou de pousser le gameplay à son maximum, peut-être est-ce davantage la faute au développeur.
Je suis enfin de plus en plus attiré par le jeu sur iPad (ou toutes autres tablettes), la machine d'Apple ayant aujourd'hui largement prouvé qu'elle était une véritable plate-forme de jeu (entre autres choses), proposant des expériences de haute qualité, spécifiques et exclusives (Monument Valley, Year Walk) offrant une autre manière d'appréhender le jeu vidéo.
Bien entendu, je ne fustige pas les joueurs qui ont des habitudes différentes des miennes. Au contraire ! Mais je n'en suis pas joueur moins passionné qu'eux ! Pourtant, mon "profil" me verrait condamner au rang de Footix de service par certains ! Et si apprendre plus sur ma vie vous aura fait une belle jambe, le soucis c'est que la vision que peut avoir l'industrie du "gamer" - du moins, ce qu'elle croit savoir de lui - influence directement le développement des jeux.
Le gamer doit-il disparaître ?
Certains de ces "gamers" sont ainsi particulièrement attachés à leurs vieilles habitudes. Il me semble pourtant que les reliquats les plus connotés "jeu vidéo" et l'héritage arcade que l'on peut retrouver dans de très nombreux titres nuit souvent à l'expérience finale. Je vous parlais précédemment de la mécanique de gameplay étirée sur 15h (je tire, je me mets à couvert, je cours), destinée à contenter une frange précise, qui cochera la case "bonne durée de vie" dans son cahier des charges de ce que doit être un "bon jeu vidéo".
On s'est suffisamment moqué de Alan Wake et de ses thermos complètement hors-sujet, qu'il fallait débusquer, pour bien saisir le problème. Dans des titres comme BioShock ou The Last of Us, je suis dérangé par la nécessité de fouiller méthodiquement chaque recoin de niveau pour trouver un item salvateur (munitions, trousse de soin) ou un document qui me renseigne sur le background de l'histoire. Cela m'empêche de profiter à fond de l'aventure, sans même mentionner les prises de tête sur la cohérence globale et la suspension de crédulité, plus ou moins consentie, qui en découlent. J'y vois là une contradiction : alors que les développeurs se donnent tant de mal pour procurer un degré d'immersion sans pareil, ce Saint Graal si délicat à atteindre, pourquoi s'empressent-ils de le briser à coup d'amulettes ou de drapeaux à trouver ? Encore une fois, pour contenter le profil type du "hardcore gamer".
Dans le même ordre d'idée, je ne joue pas en ligne. Hormis un bon Mario Kart, un Street Fighter IV ou un FIFA en local, je ne conçois le jeu vidéo que de manière solitaire. Je n'ai donc par exemple par encore essayé Titanfall, alors qu'il dort sur le disque dur de ma Xbox One depuis quelques semaines. Que dire alors de l'incorporation obligatoire et à la truelle d'un mode multijoueur ou coopératif dans des séries qui ne sont, à la base, pas pensées pour (Dead Space 2, BioShock 2, Resident Evil 5) ? Heureusement, des expériences basées exclusivement à ces fins permettent de contente adorateurs et réfractaires (Left 4 Dead, Titanfall, TowerFall) en lieu et place des expériences hybrides et bancales.
Il est d'ailleurs hors de question pour moi de prôner un style de jeu plutôt qu'un autre, mais il faut que les éditeurs développent des expériences adaptées à toutes les franges du public. Et en cela, le ralliement des passionnés sous la seule étiquette "gamer " reste un problème.
L'autre soucis, c'est que l'inconscient collectif associe le gamer au fameux troll - cette caste d'extrémistes renfermés sur eux-même, aigrie et gueularde -, car étant souvent la seule à prendre la parole. S'ils sont tout aussi passionnés par l'univers du jeu vidéo, leur influence devient pesante, jusqu'à s'avérer préjudiciable pour l'industrie (la fin de Mass Effect 3, le retournement de veste de Microsoft pour sa Xbox One).
Aujourd'hui, nous avons la chance que le média jeu vidéo propose autant de facettes que l'on peut trouver de type de joueurs. Le marché du AAA, le jeu indé, l'eSport, le serious gaming, le snack gaming sont autant de domaines faisant partie intégrante de l'industrie, aussi légitimes les uns que les autres et susceptibles d'intéresser à part égale n'importe quel joueurs (assidus, occasionnels, complétiste, spectateur, etc).
La terminologie "gamer" gagnerait ainsi à être plus fine, graduée et davantage basée sur le mode d'appréhension du jeu vidéo par le joueur, en lieu et place du temps ou de l'acharnement dont il peut lui témoigner. Ou tout simplement, à se fondre sous la simple et unique dénomination de "joueurs".
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PS : Vous l'avez déjà très certainement remarqué dans le chapô de l'article, mais ce P'tit Papier est le dernier que nous vous proposons Mehdi et moi-même. Depuis le départ, nous savions que les P'tits Papiers seraient une expérience éphémère. Nous avons pris le parti, sur ces six derniers mois, d'aborder le jeu vidéo sous un angle plus personnel, profitant de la certaine accalmie qui régnait au sein de l'actualité vidéoludique pour tenter d'approfondir certains événements, pousser la réflexion sur d'autres ou, plus simplement, aborder des sujets qui nous tiennent à coeur. Alors que se profile l'E3 et son cortège d'annonces, nous avons jugé qu'il était maintenant temps pour nous d'arrêter. En tout cas, merci à tous d'avoir été au rendez-vous tous les lundis. Merci aussi pour vos très nombreux commentaires. Merci enfin à l'équipe de Gameblog, qui nous a gentiment accueilli ces quelques mois et a hébergé cette tribune. A bientôt !