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Dans un de tes billets, tu donnais comme conseil aux futurs game designers de se spécialiser dans les jeux de niche. Le marché du jeu vidéo est-il saturé ?
En ce qui concerne les jeux "AAA", oui il y a une saturation. Les éditeurs se recentrent de plus en plus sur des titres "AAAA", sur de très gros jeux qu'ils mettent plusieurs années à produire. Il y a donc concentration en haut, et en bas de la pyramide, profusion de plateformes, de formats, (Wii, iPhone, WiiWare, PSN...) et je trouve qu'il manque un milieu intermédiaire, des « jeux du milieu » comme Monkey Island il y a quelques années, qui permettaient alors à des petits studios de s'exprimer.
Un jeu comme Red Johnson se chiffre à près d'un million d'euro et est entièrement financé par notre studio donc il faut les reins solides et je conseille aux jeunes d aller vers des marchés plus accessibles (iPhone, PC avec Steam ou jeux flash) de manière à commencer à rencontrer un public et à le rentabiliser.
Le marché commence surtout à être saturé de game designers, car nos entreprises ont été très contentes d'avoir des gens qui ont reçu ces formations, mais une fois qu'on en a embauché 5 ou 6 dans une entreprise, on n'a plus la capacité d'en embaucher d'autres. En revanche, le transmedia est un domaine qui est encore balbutiant, je pense que d'ici 5 ans il peut y avoir des demandes dans ce domaine particulier qui requiert des capacités de mise en scène, de narration et une très grande connaissance du web.
Une des contraintes du concours est que le jeu soit jouable dans les navigateurs Web. Que penses-tu de l'émergence de cette multitude de jeux flash, iPhone / Androïd...
Je suis assez sceptique sur les modèles économiques de l'iPhone. Peu de jeux sont rentables sauf des jeux promotionnels ou sur commande. Très peu sortent du lot, mais malgré tout pour débuter dans le milieu, il vaut mieux commencer par des jeux sur ce genre de support pour dominer la technique, avoir des petites équipes à gérer.
Une autre contrainte est de tenir un blog. D'un côté il leur est demandé de créer des "ovnis", mais de l'autre, de tenir un rigoureux carnet de bord pour faciliter la compréhension du grand public...
Qu'on demande à des étudiants de créer des concepts "ovnis" est normal. Ils seront tellement formatés par la suite qu'il est bon qu'ils s expriment à ce moment-là. Ensuite, l'idée d accompagner ça par un blog permet au public d'accéder plus facilement à ces jeux, comprendre comment le jeu se fabrique mais également pour les étudiants de prendre en compte l'aspect marketing de la création, outil indispensable s'ils souhaitent devenir des auteurs indépendants.
L'initiative de Hits Playtime rejoint le concept Look @ my game. Est-ce que tu penses qu'il y a un ras-le-bol du jeu très grand public et gros budget, au profit d'un retour aux jeux « créés dans des garages », plus intimistes, funs et faits par passion, des jeux dont Minecraft est actuellement un bon exemple ?
Je pense qu'on a des joueurs de plus en plus âgés, et beaucoup me disent qu'ils ont le sentiment d'avoir fait le tour de ce qui existe. Nous c'est ce qu'on essaie de faire avec Red Johnson's chronicles, ou Brooklyn Stories qui sortira sans doute l'année prochaine, et qui est un peu un ovni. Il y a une demande pour des jeux plus frais, nouveaux. Il y a aussi le fait que lorsqu'on travaille dans l'industrie on ne se rend plus compte à quel point les jeux à l'achat, lorsqu'on est joueur, sont chers.
En général les jeux ne sont finis qu'à 40% par la plupart des joueurs, et beaucoup ne voient donc pas l'intérêt d'acheter des jeux si chers. Les gens préfèrent acheter des jeux nouveaux, originaux et avec une vraie expérience.
Avec les nouveaux formats comme PSN, XBLA, on peut quand on est indépendant proposer directement au public des concepts plus frais. Il suffit de voir le succès de Flower ou Limbo pour se rendre compte qu'il y un vrai créneau.
Plus mobile, dématérialisé, tactiles : les nouveaux supports de jeu ont entraîné non seulement un changement des habitudes du joueur, mais aussi une adaptation rapide et soudaine de l'industrie. Si au début des années 2000, le « snake » régnait en maître dans nos cellulaires-frigidaires, aujourd'hui il n'est pas rare de se voir passer plus de temps sur Tiny Wings... que sur l'un des 50 FPS sortis ces derniers mois.
Quant aux nouvelles générations de créatifs, de professionnels du jeu vidéo, il ne reste qu'à espérer pour leurs futurs projets, qu'ils conservent cet élan de nouveautés et d'expérimentations au-delà de concepts estudiantins, afin de nous proposer des AAA ovniesques, aux gameplays complètement barrés permettant de renouveler le genre. Des concepts face auxquels les joueurs, malgré leurs exigences très conventionnelles pointées du doigt par Frédérick Raynal dans la chronique #10, se sont montrés à maintes reprises ouverts (qu'il s'agisse de Flower, Limbo ou Minecraft), ouverts à des expériences plus insolites et sensorielles, et souvent en redemandant. Car après tout, lorsqu'on est habitué à dépenser 70€ pour 5h en moyenne de divertissement (sur console)... On est plus à une prise de risque près.