Sommaire
S'il est facile de citer quantité de héros de jeux vidéo emblématiques, de par leur charisme ou leur caractérisation, la liste se réduit drastiquement quand il s'agit de lister ceux qui possèdent un fond véritablement fouillé et qui évoluent au cours de leurs aventures. Ceux qui pourraient toucher et marquer au fer rouge celui derrière la manette.
Le problème de l'archétype
De par le phénomène d'identification qui s'opère dans un jeu vidéo (en tant que joueur, j'incarne directement l'avatar), le héros se voit souvent reléguer au rang de simple archétype, voire de coquille vide, qu'il faut remplir soi-même. Aussi, la conception du héros dans notre média semble ne pas jouir de la même attention que celle envisagée pour une série télé.
Malgré toute l'affection que je lui porte, Nathan Drake, par exemple, héros de Uncharted, ne se dépareille que rarement de son statut de "simple" Indiana Jones vidéoludique. Du premier au troisième opus de la trilogie de Naughty Dog, on ne peut pas réellement dire qu'il ait tant évolué que ça... Idem pour un Master Chief, un Marcus Fénix ou un Link.
Si cela paraît simpliste, il est indéniable que le fait de suivre un héros à différents stades de sa vie conduit implicitement à en découvrir un plus large panel de sa psychologie, de l'évolution qui la sous-tend au fil des années, tout en permettant une vraie connivence avec le joueur. Aux rangs des occasions manquées, on peut évoquer le premier Fable, où les phases de jeunesse du héros ne correspondent qu'au tutorial (qui se termine en 1 ou 2 heures montre en main).
Idem pour Kratos, qui, malgré les efforts de ses développeurs (qui lui ont offert préquelle, flashback, etc.) ne se sépare jamais de son étiquette de gros bourrin, ne laissant entrevoir qu'en de très rares occasions l'homme qu'il pouvait être avant le drame familial qu'il a connu. Sam Fisher, héros de Splinter Cell, malgré les efforts d'Ubisoft pour lui apporter de la consistance, ne parviendra jamais à voir son personnage s'étoffer. Il faut dire aussi que son aspect physique évolue à chaque épisode - une donnée bien plus importante qu'on pourrait ne le penser de prime abord. L'éditeur français échoue là où il avait plutôt bien réussi son coup dans la saga Prince of Persia : Les Sables du Temps.
Les "vieux" du jeu vidéo
Heureusement, il existe bel et bien des héros plus travaillés et intéressants. Big Boss d'abord, héros de Metal Gear Solid. Snake, par extension - leur apparence est la même ! - qui suit un cheminement identique. Big Boss a eu droit à 5 jeux (la liste peut encore s'allonger) pour voir approfondir sa psychologie, pour marquer son évolution - déjà remarquable entre Snake Eater et Ground Zeroes, tant physiquement que dans le chamboulement de ses convictions.
Ce "suivi" permet même à l'auteur, Hideo Kojima, de vieillir en même temps que son personnage, les deux gagnant en maturité de manière simultanée.
Le personnage de Ezio, héros de Assassin's Creed II, Brotherhood et Revelations, figure aussi au panthéon de ceux qui comptent. Après tout, le joueur l'aura vu grandir - a même assisté à sa naissance ! - avant de le voir se durcir dans un premier temps (la vengeance est au départ son seul objectif), puis gagner en sagesse, une fois son âme apaisée. Altair aura lui aussi droit à un approfondissement dans Revelations : 5 séquences, nous permettant de le suivre à différents moments clefs de sa vie (perte d'un être cher, accomplissement personnel, etc.), pour le voir finalement devenir un vieillard, qui peine à marcher. Une séquence qui n'aurait jamais eu un tel impact si nous n'avions passé autant d'heures à ses côtés. Dans ces trois cas, les auteurs se sont laissés le temps de faire avancer leur héros, et surtout, ne l'ont pas fait sortir indemne des épreuves qu'il a traversé.
Snake, Ezio et Altair sont devenus au fil des épisodes de "vieux" héros de jeu vidéo. Avouons qu'incarner un membre du troisième âge n'est pas vraiment commun ! Surtout dans le jeu vidéo, où on ne jure habituellement que par l'éphèbe alpha. Qui aurait pu penser une seconde qu'il aurait été excitant de jouer Snake, un moustachu presque grabataire, souffrant de maux de dos chroniques ? Pourtant, le charme opère. Mais uniquement en raison du passif qui existe entre le héros et le joueur. Et la question de le voir se glisser le canon de son flingue dans la bouche devient tout de suite plus préoccupante. Si l'attachement persiste lorsque le héros n'est plus montré sous son meilleur jour (comme Max Payne dans le troisième épisode de sa série, alcoolique, empatté, dépressif), c'est que le travail a été bien fait et qu'il n'a plus à "séduire" le joueur de manière superficielle. Ce n'est plus ce que l'on attend de lui.
Même s'il s'agit d'un cas particulier, les grandes sagas familiales comme Castlevania, permettent elles aussi de développer une consistance appréciable (cette fois-ci répartie entre les divers membres de la famille), alors que le RPG se place en pôle position quand il s'agit d'offrir des héros réussis, tourmentés, à la personnalité fouillée et à la conviction faillible. Des héros humains, tout simplement ! Encore une fois, le temps laissé aux développeurs de bien faire les choses se révèle primordial.
L'origin story
Le cinéma l'a bien démontré : le meilleur moyen d'offrir aux spectateurs l'occasion d'approfondir le mythe autour du héros passe par l'exposition des événements qui en ont fait ce qu'il est. Très commune dans le monde du comics, l'origin story (ou récit des origines) s'est vue populariser au Septième Art par des films comme Batman Begins ou Casino Royale.
Cette prise de conscience s'est évidemment répandue dans le jeu vidéo, avec Tomb Raider (celui de 2013) et DmC - Devil May Cry (celui de Ninja Theory). Dans ces deux exemples, nous suivons le héros alors qu'il n'a pas encore atteint son statut iconique. Nous découvrons donc son périple initiatique, les événements qu'il va endurer, en guettant, un à un, les indices qui vont le conduire à se rapprocher de sa forme attendue.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : l'origin story ne peut-être pertinente que dans le cas où le héros est déjà iconique. Ce traitement est donc impossible à appliquer à une nouvelle licence, car il serait laborieux de raconter la genèse d'un héros inconnu d'une façon aussi pointue, tant le besoin de passer rapidement aux choses sérieuses se fait sentir pour intéresser directement le joueur.
La caractérisation du héros dans la durée est d'ailleurs l'un des objectifs de David Cage dans Beyond : Two Souls. Le joueur y suit Jodie sur plus d'une vingtaine d'années, passant de l'enfant mal dans sa peau à l'adulte épanouie. Chacun jugera si le pari a été remporté, mais on ne peut reprocher à David Cage d'avoir mis le doigt sur un manquement de notre média à ce niveau.
Rendre un héros attachant ne fait pas tout, il faut aussi lui donner de la consistance et le faire évoluer, sous peine de le voir réduit au rang de simple "véhicule" ludique. Le jeu vidéo, au même titre que le cinéma et la série télé, doit être vecteur d'émotions, doit pouvoir peser sur les esprits et produire des figures marquantes de fiction. Il ne s'agit évidemment pas d'un prérequis pour rendre un titre intéressant, mais il pourra éviter que la lassitude s'installe, une fois achevé l'antépénultième épisode d'une saga. Il pourra surtout lui permettre d'élever un peu plus le débat.
S'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, l'apparition de "vieux" héros dans le jeu vidéo ouvre déjà la voie. Peut-être auront nous l'occasion de découvrir dans le futur des personnages débarrassés de leurs poncifs et stéréotypes ? Des héros féminins forts. Des héros moches. Gay ou handicapés. Des reflets du monde dans lequel nous vivons en somme. Tomb Raider et L'Odyssée de Munch restent à ce niveau des exceptions rafraîchissantes. Il reste encore beaucoup à faire, mais l'évolution des mentalités est un passage obligé vers un jeu vidéo plus mature et intéressant, en lien avec la réalité.