Je ne vais certainement pas me faire des amis en exprimant le point de vue qui suit, mais après tout, je ne suis pas là pour ça : les jeux boîte traditionnels, plus exactement le modèle économique actuel du jeu physique à 60 euros doit peut-être mourir pour le bien du jeu vidéo. Pourquoi ? Parce qu'il porte en lui les racines d'un mal qui ronge ce média, la manière dont nous le consommons, et sa capacité à évoluer dans de bonnes directions.
Pourquoi il faut brûler les jeux physiques à 60 euros
En guise d'avant-propos, je me dois de dire que je suis mal luné. La faute à d'obscurs problèmes liés à l'incompétence chronique de certaines administrations françaises, mais peu importe ; ce week-end, j'ai fait des cartons. Dedans, j'ai mis mes jeux. Mes dizaines de jeux, passionnément accumulés au fil des années. Je me suis arrêté sur de nombreuses boîtes, un sourire nostalgique se peignant sur mes lèvres après avoir soufflé la couche de poussière qui les recouvrait, comme n'importe quel gamer peut le voir se dessiner sur son visage lorsqu'il contemple l'incarnation physique des souvenirs chers à son coeur que représente sa ludothèque.
Et je me disais, souvenir après souvenir, que la place colossale que prennent toutes ces boîtes n'est qu'un inconvénient mineur ; il y en a de bien plus importants, induits par ce paradigme du jeu physique à 60 euros, mais que beaucoup de joueurs semblent ignorer.
"Les choses que l'on possède finissent par nous posséder"
Cette citation célèbre du personnage de Tyler Durden dans Fight Club exprime un peu, quoique de manière détournée, toutes les perversions que le modèle du jeu boîte à 60 euros (et j'insiste encore sur l'importance de ce prix) a fini par induire dans le jeu vidéo d'aujourd'hui.
C'est parce que les jeux sont sur des disques, dans des boîtes, et à 60 euros pièce, que le marché de l'occasion a pu voir le jour, en parallèle de la flambée des coûts de production et des problèmes de pouvoir d'achat induits par les remous de notre économie ; il est, en lui-même, très sain pour le joueur et pour les boutiques, tant il représente une économie grise indissociable de leur existence actuelle. Je soutiens donc pleinement son existence, du moins dans ce contexte, et ce qui suit n'est pas un plaidoyer contre le jeu d'occasion, mais contre ce qu'il induit.
Car c'est aussi parce que l'occasion existe, toujours dans ce contexte moderne donc, que sont nés les DLC. C'est parce que l'occasion existe, et que ce contexte est tel, que l'économie du jeu AAA éprouve des difficultés, et que les développeurs et les éditeurs se retrouvent à devoir penser Free-to-Play Free-to-Pay, et DRM merdiques. C'est parce que l'occasion et ce contexte existent que des rallonges de contenu artificielles pourrissent le rythme de certains jeux, ou qu'ils s'obligent à garder leurs niveaux de difficulté les plus élevés derrière un beau verrou artificiel. C'est aussi à cause de tout cela qu'on se retrouve avec des modes multijoueurs produits à reculons qui ne trompent pas plus de monde sur leur véritable nature qu'ils ne trouvent de joueurs véritablement désireux d'y jouer longtemps. Parce qu'il faut que les joueurs gardent les disques de leurs jeux le plus longtemps possible dans leurs machines, et surtout, qu'ils songent le moins possible à les revendre.
Mais on le sait tous : même si de très bons DLC existent, même si c'est cool de pouvoir jouer gratuitement à un jeu tandis que d'autres le soutiennent à coup de micro-transactions à notre place, même s'il n'y a pas lieu de penser que les jeux téléchargeables ne profitent pas de ces mêmes ficelles économiques contestables, quoiqu'il arrive, en réalité, rien de tout ça ne profite à la qualité intrinsèque des jeux. Ce serait même plutôt l'inverse dans la majeure partie des cas.
Même si on n'aime peut-être pas le lire ou l'entendre, la plupart des gens ne finissent déjà pas leur jeux. Rares sont les joueurs qui ressortent leurs vieilles machines et leurs vieux titres. Enfin, même s'ils se gardent bien de l'avouer, la plupart des développeurs préférent se lancer dans de nouveaux projets plutôt que de produire du contenu en DLC. C'est d'ailleurs pour ça qu'il y a si peu de DLC de grande qualité ; on ne leur affecte souvent que de petits bouts d'équipes pour maximiser leur rentabilité, car il y aura bien entendu toujours des gens pour lâcher un petit montant d'euros supplémentaires pour avoir un flingue doré, un costume transparent d'héroïne ou une monture avec une plus jolie selle dans un jeu qu'ils ont déjà payé 60 euros.
Et si je ne dissocie pas le prix de 60 euros du modèle de la boîte en disant cela, c'est bien parce que, d'Angry Birds à Steam, nous avons des exemples évidents montrant qu'on peut se passer de ces artifices, tout en continuant de profiter d'expériences de qualité, la boîte - et pas mal d'euros - en moins. Et très certainement, le jeu, AAA ou non, n'a pas besoin de la boîte pour exister. En revanche, il faudrait peut-être tuer ce tarif de 60 euros pour que le AAA perdure... Mais ce n'est jamais qu'une hypothèse, personne ne sachant réellement ce qu'il convient de faire pour améliorer tout cela ; tout ce qu'on sait, c'est que si des expérimentations doivent avoir lieu pour tenter d'y voir plus clair, elles ne viendront pas de ceux qui dépendent entièrement de ce modèle. En d'autres termes, elles ne viendront pas des boutiques qui ont besoin de l'occasion pour vivre, et qui ont donc besoin que les jeux restent à des tarifs de 50/60/70 euros, pour que les consommateurs aient eux-mêmes besoin de l'occasion. Et il est important d'insister sur le fait que l'occasion, si elle est une bonne chose pour le consommateur, ce n'est jamais que dans ce contexte économique ; personne ne pleurerait la mort de l'occasion si les jeux étaient moins chers. Car un prix bien plus faible invalide l'importance de la revente en vue d'un nouvel achat. Donc, les réponses ne peuvent provenir que du numérique, du dématérialisé.
Les dangers de l'immobilisme
Tout ça pour dire que la peur du changement ou le désir de stabilité, bien que compréhensibles, peuvent être contre-productifs. Quel core gamer sain d'esprit voudrait défendre corps et âme un modèle qui, finalement, favorise tous les travers sus-cités ?
On pourrait facilement me reprocher, à tort, de défendre la vision pré-virage à 180° de Microsoft, mais je m'en vais l'écrire encore noir sur blanc : Microsoft s'est planté, ils ont bien fait de revenir sur leur décision.
En revanche, on y perd bel et bien une force majeure qui aurait accéléré l'enterrement du jeu boîte à 60 euros, tout ça parce qu'ils s'y sont pris comme des pieds en voulant forcer des usages plutôt que d'en proposer de nouveaux en parallèle et laisser les anciens mourir de leur belle mort. Bien entendu, ce reproche, il faut l'adresser à Microsoft. Indubitablement, si en parallèle de leur modèle rigide, ils avaient annoncé des prix de jeux 10, 15 ou 20 euros inférieurs à ceux pratiqués actuellement, les réactions n'auraient pas été les mêmes.
Mais il y a bien un moment où il faudra accepter que si le dématérialisé et le modèle du service contre celui du produit ne garantissent en rien du jeu de qualité à des prix plus abordables, le modèle traditionnel du jeu en boîte à 60 euros, lui, garantit qu'on ne progressera pas sur ces sujets. Le modèle traditionnel du jeu en boîte à 60 euros garantit que les DLC pourraves continueront, de même que les game design redécoupés à la hache pour accommoder les modèles du Free-to-Play, de même que les rallonges et les verrous artificiels et tutti quanti.