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La naissance du jeu d'infiltration est délicate à dater. D'un commun accord, il apparaît à la majorité que c'est bien le tout premier Metal Gear de 1987 qui présente la première vision cohérente du genre. C'est en se remémorant La Grande Évasion, un film qu'il appréciait grandement, que Hideo Kojima a décidé du pitch de son nouveau projet. Pourtant, contrairement au long-métrage cité, le héros ne devait cette fois-ci pas s'échapper d'une place forte, mais bien y pénétrer ! Dans Metal Gear, le joueur incarne Solid Snake, jeune espion chargé de mettre fin à une insurrection en territoire hostile. Il doit mener sa mission seul (même s'il recevra de nombreux conseils d'alliés qui communiquent avec lui par radio), et devra trouver son équipement high-tech sur place. Et surtout, il doit éviter la confrontation directe avec ses ennemis.
Les origines du genre
Metal Gear marque donc un tournant majeur à l'époque de sa sortie. Pour palier aux limitations du MSX 2 (machine qui abritera cette première déclinaison de la licence), Kojima décide qu'il est plus sage d'encourager le joueur à esquiver ses opposants. Le jeu d'infiltration était né ! Les plus cyniques rappelleront qu'il ne s'agit là que d'un simple raffinage du concept vieux comme le monde d'un certain... Pac Man.
Les capacités des machines aidant, le genre du jeu d'infiltration se développe et se perfectionne. En 1997, la Nintendo 64 accueille le dernier né des studios de Rare, le très culte GoldenEye. Bien entendu, le canevas du jeu reste celui d'un FPS action (un doom-like, comme on disait encore à l'époque), mais en raison de l'IA des gardes très développées et de la topologie des environnements, le joueur se voit offrir plusieurs options différentes pour mener son objectif à bien. Au plus haut niveau de difficulté, la science du level design des développeurs de Rare saute aux yeux, et impose au joueur d'être créatif dans son approche. Bien évidemment, on ne pouvait décemment incarner James Bond sans se voir offrir la panoplie de gadgets qui allaient de pair avec le permis de tuer.
En 1998, c'est Metal Gear Solid qui débarque, avec ses mouvements et possibilités désormais iconiques : se plaquer contre un mur (avec basculement de l'angle de caméra à la clé), possibilité de faire du bruit pour attirer l'attention des gardes, de laisser ses traces dans la neige pour conduire son ennemi à un endroit précis, etc. D'autres éléments resteront associés à ce MGS, tel le radar soliton, matérialisant sur la carte le champ de vision des gardes, ou encore ces nombreux systèmes de sécurité (caméra, rayons laser, plancher électrifié) qu'il faudra déjouer grâce à son arsenal (grenade, le fameux stealth, les night-google).
Si pour certains joueurs, il restera anecdotique, le Mission Impossible d'Infogrammes reste pourtant un réel exemple de ce qu'est un vrai jeu d'infiltration. Votre avatar se bat peu, mais il utilise ses nombreux gadgets pour progresser. L'une de ces trouvailles scientifiques vous permet de façonner un masque à l'effigie d'un personnage intervenant dans l'histoire. Ce procédé est au coeur du gameplay et s'avère très sympa à jouer. Malgré ses gros défauts (maniabilité déplorable et technique rudimentaire) le titre d'Infogrammes s'est révélé assez sympa et proposait de surcroît une grande variété de missions.
L'année suivante marquera la naissance de la série des Dark Project (davantage connue désormais sous le patronyme de Thief). Cette fois le décor est radicalement différent puisque vous jouez le rôle d'un voleur en plein Moyen Age européen. Le titre d'Eidos imposait une furtivité de tous les instants. Il était possible de dissimuler les corps, de faire diversion en déclenchant un incendie grâce à des flèches enflammées, etc.
Le genre du jeu d'infiltration est alors à son apogée, et verra naître en son sein de très grands titres (la série des Syphon Filter, les Commandos, Deus Ex (si vous privilégiez la furtivité), Tenchu, Hitman, Perfect Dark (et sa spy-cam), Splinter Cell), ainsi que de très nombreux clones sans saveurs (Spy Fiction, Stolen, Rogue Ops, Mission Impossible Operation Surma, les autres jeux James Bond). Et puis, plus rien...
Un bon jeu d'infiltration
Le genre du jeu d'infiltration est difficile à définir. Bien sûr, il se base sur des caractéristiques techniques avant tout. Il doit d'abord - et évidemment - privilégier la furtivité, au détriment de l'action. Le héros dispose d'une composition faible, qui ne le met pas dans les meilleures dispositions lorsque se profile un affrontement direct. Le système de jeu doit marier harmonieusement intelligence artificielle performante et un level design réussi, offrant ainsi une marge de liberté au joueur.
D'une façon un peu moins formelle, le jeu d'infiltration doit titiller la ruse du joueur, l'obligeant à progresser dans le noir, à faire un bon usage de son équipement, à prêter attention à ce qu'il voit et entend, à ne pas laisser de traces derrière lui. Il doit aussi savoir anticiper et préparer ses actions en amont, avec minutie, tout en étant capable d'improviser dans l'urgence si tout ne devait pas se passer comme prévu.
Plus qu'un bête cahier des charges qu'un développeur devrait remplir, le jeu d'infiltration repose davantage sur une philosophie de jeu - un code, pourrait-on dire - qui rend sa nature assez adaptable.
Une cannibalisation par les autres titres
Jeu d'action, d'aventure, FPS ? Les différentes exemples cités auparavant n'aident pas enfermer le jeu d'infiltration dans une case bien définie. De fait, ce style (puisqu'on ne peut finalement pas vraiment parler de "genre" en tant que tel) se révèle soluble dans des formules préexistantes. Ainsi, nous les avons vu s'orienter de plus en plus vers l'action, épousant les modes du moment.
Qu'il s'agisse de MGS 4, de Splinter Cell Blacklist, ou encore du dernier Hitman, ces franchises, auparavant estampillées infiltration pur jus, ont du faire quelques concessions. Leur style se révélait-il peut-être trop exigent ? Pas assez adapté à un public friand d'accessibilité et de spectaculaire ? En tout cas, les gimmicks et mécaniques du jeu d'infiltration se sont vu absorbés par d'autres : Assassin's Creed, Batman Arkham, Tomb Raider, Dishonored, dans lesquels la furtivité devenait une alternative parmi d'autres, un moyen plutôt qu'une fin, qu'il était possible de compenser par la force si cela devait s'avérer nécessaire.
Tout comme le RPG avant lui (les montées en niveau dans le multi de Call of Duty, le gain d'expérience dans le beat them all lambda), l'infiltration a vu son ADN se dissoudre dans la masse, jusqu'à se voir réduit à peau de chagrin, confiné à une niche. Il ne doit aujourd'hui sa survie qu'au jeu indépendant, à la manière des point and click et survival-horror. Ainsi, le titre Mark of the Ninja, produit par Klei Entertainment, marquait un vrai retour aux sources du genre, pour un résultat de grande qualité. Après le semi-échec du reboot de Thief, voyons si le prochain MGS V - le retour du patron - parviendra à relancer la mode et l'engouement autour d'un genre qui le mériterait bien.
Au final, il apparaît clair que le jeu d'infiltration représente moins un genre à part entière qu'une certaine conception du gameplay - voire même une philosophie de jeu. Son identité a de toute manière toujours été floue : jeu d'action, FPS, TPS ? Aussi, il n'est pas étonnant de ne plus voir aujourd'hui de jeux axés 100% sur l'infiltration, mais d'en retrouver, au contraire, des bribes dans la majorité des triple A actuels. Et si la plus grande force du jeu d'infiltration était au final d'avoir fait croire qu'il avait disparu ? Alors qu'il se tenait pourtant là, tapis dans l'ombre, depuis tout ce temps. Quoi de plus normal après tout...