Fallout New Vegas aurait-il été encore meilleur s'il avait été un peu plus difficile ? Une question qui m'a taraudé jusqu'à ce que je me la pose pour l'ensemble des RPG joués sur PC et console. C'est quoi, la difficulté, pour un genre où le but du jeu est de monter en puissance pour ne plus en avoir, de difficulté, justement ? Eh ?
Les grands mystères du jeu vidéo #3 : la difficulté des RPG
La difficulté dans les RPG, comment ça marche ? Pour aborder cette question, il faut faire un large cercle pour comprendre quelques notions de base, avant de piquer vers le coeur du problème. D'abord, qu'est-ce qu'un RPG ? Ah bah quand je dis large, c'est large hein... Un RPG, c'est l'équivalent vidéoludique du bon vieux « Pen & Paper » popularisé par Gary Gygax et son Donjons & Dragons en 1974. Qui n'a pas joué aux jeux de rôle de table dans les années 80, hein (à part 80% des gens qui me lisent à présent) ? Après une grosse vague de Warhammer, de Shadowrun, et autres JRTM, ce passe-temps satanique est doucement tombé en désuétude, victime notamment de la découverte du sexe. Mais sur nos écrans, c'est une autre histoire.
On choisit pas sa famille...
Un JdR de table offre normalement, en proportion variable selon le système de jeu, un aspect tactique lié au rôle du personnage dans les situations de conflit : guerrier, mage, voleur, etc. Et un aspect théâtral en rapport avec la personnalité imaginée par chaque joueur, et leur relation avec les individus interprétés par le maître de jeu. Ces deux aspects sont encore et toujours le berceau de nombreux malentendus entre gamers lorsque l'on parle de RPG informatique. Sur PC on trouve surtout des titres occidentaux, qui parfois se focalisent sur un gameplay tactique, comme Bard's Tale, Might & Magic, etc. Et d'autres qui introduisent de manière plus avancée l'élément théâtral, dans la mesure de ce que peut offrir un ordinateur, c'est-à-dire des choix de dialogue : Baldur's Gate, Fallout, Ultima. Certains de ces titres proposent de monter une équipe d'avatars virtuels aux talents différents, d'autres vous laissent jouer un seul héros à tout faire. Sur console, on trouve surtout des RPG tactiques, les personnages étant développés de façon dirigiste via le scénario et le background : les Japonais n'ont pas eu la même culture du jeu de rôle de table que nous... Bref, le RPG étale une grande variété de sous-genres depuis longtemps, et ça n'a fait qu'évoluer.
On dirait pas, mais ça bouge !
Avouons-le, quand on dit RPG, on pense avant tout aux statistiques, aux compétences, aux matos, et tout ce qui tombe dans le domaine tactique. Le clivage entre les sous-genres s'est creusé définitivement un jour avec Diablo et l'avènement du RPG action (ou Hack & slash). Le style qui n'a pas de nom, mais qu'on appellera « traditionel » s'est lui épanoui avec des titres comme Neverwinter Nights, qui propose des outils de maître de jeu pour des parties en ligne et en multijoueurs. On n'a jamais été aussi proche du vrai « pen & paper ». Récemment, Bioware a fait évoluer le gameplay RPG vers un genre encore inconnu, remplaçant une bonne partie de la tactique par de l'action et boostant l'aspect théâtral au maximum avec de nombreux choix de dialogues importants. Ils ont commencé leurs expérimentations avec Knights of the Old Republic, ils ont continué à explorer cette voie avec Jade Empire, puis Mass Effect 1 & 2. On peut noter l'impopularité de certains changements, comme la simplification de l'inventaire, car la gestion est aussi un élément très ancré dans le gameplay RPG. Pour finir, passons rapidement sur les MMORPG dont l'incroyable évolution a raffiné et exacerbé à outrance le rôle tactique de chaque joueur (DPS, Crowd Controller, Tank, healer, etc) au point que le JdR de table le plus connu, Donjons & Dragons, a revu ses règles pour s'en inspirer.
Premier gros défaut
Et donc, la difficulté dans tout ça ? Pour un jeu de rôle de table, c'est très simple : la difficulté, ce sont les joueurs. Vous pensiez peut-être que ce serait le maître du jeu ? Non non, le MJ, il a son scénar, ses règles, et parfois l'outrecuidance de croire que tout va bien se passer. Mais faut pas rêver, les Rôlistes sont des abrutis bourrés avant même de commencer et ils font en général n'importe quoi, ce qui rend n'importe quelle partie bien plus difficile pour tout le monde ! Plus sérieusement, une des différences clés entre le JdR et le RPG, c'est qu'on peut, en live et face à un MJ réactif, jouer autant avec les défauts de son personnage qu'avec ses qualités. C'est quelque chose qu'on ne trouve pas sur ordinateur, ou très rarement. Les bons exemples de cette transposition qui viennent à l'esprit : lorsque l'on change les dialogues de Fallout en mettant 1 en intelligence, ou lorsqu'on choisit le clan Malkavian (les fous) dans Vampire : The Masquerade - Bloodlines. Pourquoi ne voit-on pas cela plus souvent ? Parce que ça demande un sacré temps de développement en plus pour adapter tout un cheminement narratif et ludique à ces éventualités !
L'impasse ?
Un RPG vous proposera donc plutôt des challenges qui correspondent à vos forces. Ah oui, mais on me dit que tout le contenu doit être accessible à tous les joueurs, quelque soit le perso que chacun se fabrique ? Ah, il n'y a pas de difficulté alors, sauf au début d'un jeu, lorsque vous êtes encore faible partout. Ensuite, il vous suffira de choisir la bonne voie pour résoudre votre problème : le combat si vous êtes doué en armes, le dialogue si vous êtes charismatique, la subtilité si vous êtes furtif, etc. La philosophie du RPG n'est donc pas vraiment de vous mettre des bâtons dans les roues, mais plutôt de vous apporter l'expérience que vous souhaitez. Ou alors, il faut développer son personnage à l'opposé de son propre style de jeu ! Ça devient tordu ! En tout cas, il n'y a même pas de difficulté à deviner ou comprendre la meilleure option pour réussir. Tout est évident, etiquetté...
La solution qui fâche
Et la difficulté adaptative ? Houlà, attention danger. Je n'ai rien contre, mais elle a fait des ravages dans de nombreux titres, dont le terrible Oblivion de Bethesda. Ce RPG avait déjà un système de jeu bancal au départ, favorisant n'importe qui jouant Guerrier-Mage et pénalisant les autres (un hack & slash déguisé en RPG théatral quoi, comme tous les Elder Scrolls). Avec une évolution « adaptative » des ennemis aussi incompréhensible dans le background que dans le gameplay, c'est devenu vraiment n'importe quoi. Et ces techniques de game designer ne touchent pas que les combats. Dans Two Worlds II, on voit la difficulté du mini jeu de crochetage augmenter soudainement après un certain temps, sans trop d'explication. Au final, un panier générique contenant du mauvais loot aléatoire se montre plus récalcitrant à ouvrir qu'un coffre luxueux cachant un élément clé de l'histoire. Ah bah oui, rappelons que tout ce qui est important doit être accessible aux joueurs. Même s'il ne sait pas trop crocheter. Et tant pis pour la cohérence.
Sortez le carnet de chèque
Alors, comment organiser tout ça ? Laisser une part d'aléatoire et utiliser la difficulté adaptative de façon très maîtrisée sur des évènements clés (après tout, je ne dis pas qu'il faut en baver tout le temps) ? Concevoir des challenges annexes pour exploiter les personnages au cas par cas ? Jouer plus sur les défauts des joueurs ? Inventer une sauvegarde auto qui empêche les joueurs de recharger indéfiniment leur partie en cas de petits échecs ? Multiplier les choix moraux (qui sont souvent les seuls moments « difficiles » d'un RPG de nos jours), et les croiser avec le gameplay pour rigoler : « oh tiens, je suis fort en parole, mais je n'ai pas d'option de dialogue qui semble aller dans le sens de ma personnalité. En revanche, le combat pourrait me satisfaire, mais c'est du corps à corps et je suis nul. Hummmm... » Vous voyez où je veux en venir ? Alors, vous devez imaginer aussi la somme de travail que cela représente. Et le coût.
Double jeu
Pour retrouver une vraie difficulté dans les RPG, il faut donc non seulement développer tout un système de jeu, mais aussi concevoir tous les éléments du jeu pour qu'ils exploitent à fond ce système ! De nos jours, il a trop de mécanismes qui ne servent à rien. On peut aussi réduire leur nombre, mais il est vrai qu'on perd à chaque fois un peu de l'âme RPG. Un brin de gestion d'inventaire, c'est pas si mal si l'interface ne nous déteste pas. Ou alors, donnez-nous autre chose à gérer ! Des résistances aux dégâts, c'est bien, mais faut que ça résiste vraiment quoi... À quoi bon changer de tactiques sinon ? Développeurs, prenez exemple sur Demon's Soul : ça, c'est un jeu qui exploite à fond son système de combat ! Et puis... il y a aussi l'écriture qui sait mettre un joueur en difficulté en cachant les ficelles du scénar. Mais là, c'est une question de talent d'écriture.
Un RPG difficile, ça peut exister. C'est faisable. Certainement plus sur l'aspect tactique que théâtral, c'est sûr. Blizzard annonçait encore récemment des affrontements beaucoup plus stratégiques pour Diablo III. Mais les possibilités sont claires : soit bosser à mort pour utiliser tous les éléments du RPG classique (le mode hardcore de New Vegas est un pas dans la bonne direction, mais pas suffisant), soit tenter de les réformer en profondeur (Mass Effect, Alpha Protocol et ses dialogues dynamiques), avec le risque de perdre les adorateurs du genre. On ne partirait pas un peu sur la quête du RPG parfait là ? C'est un autre sujet, mais si vous y tenez, je vais vous laisser décrire le vôtre.