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Après m'être pris au jeu, je me suis en effet retrouvé face à un cas de conscience : le soft de la génération devait-il être celui que j'ai préféré, ou bien celui qui symbolise le plus l'ère des consoles de ces dernières années ? J'ai choisi d'opter pour la seconde option, en décidant de soutenir non pas mon titre favori, mais bien celui qui représentait le mieux à mes yeux cette génération. Il a donc été nécessaire pour cela de déterminer ce qui définissait un jeu de cette génération.
L'hybridation des genres
Cette génération de consoles aura vu prospérer deux approches de game design bien distinctes. D'un côté, le sacro-saint monde ouvert, eldorado des éditeurs et promesses faites au joueur de contenu pléthorique, et de l'autre, son exact opposé, le jeu d'action rollercoaster qui compense son manque de liberté par sa mise en scène spectaculaire. Le premier a bien entendu profité de la puissance apportée par les consoles de cette génération pour offrir des univers toujours plus vastes, riches et cohérents. Un titre comme Skyrim aura d'ailleurs fait tourner la tête de nombreux aventuriers, de par l'ampleur du monde à arpenter. A contrario, ce regain de puissance a également été vu comme un moyen de restituer une approche hollywoodienne du blockbuster, encadré, dirigiste, mais très spectaculaire (Uncharted, Tomb Raider, Call of Duty 4 : Modern Warfare).
A l'heure des comptes, il serait aisé de déterminer que les FPS et TPS se sont accaparés la plus grosse part du gâteau. Mais si j'ai volontairement omis de parler de "genres" dominants sur cette génération de machines, c'est bien car cette classification paraît aujourd'hui désuète, si bien qu'il est difficile de trop catégoriser. Les titres AAA les plus populaires font en effet montre d'une réelle volonté d'abolir les limites entre des gameplay trop cloisonnés, faisant voler en éclats les carcans qui prévalaient jusqu'alors. La saga GTA avait déjà bien entendu mélangé action, conduite et simulation de vie - l'arrivée du cinquième épisode ayant encore poussé en ce sens avec des mini-jeux sportifs (tennis, golf, etc.). Un titre ne peut plus se contenter d'évoluer selon une seule composante, au risque de paraître archaïque et de s'enfermer dans une niche trop hardcore (baston, shoot). Un jeu d'envergure aujourd'hui n'hésite plus à mélanger les influences. Où ranger par exemple un titre comme The Last of Us ? Il n'est ainsi par rares de voir mêler des genres qu'on imaginait assez incompatibles : Mass Effect et son couplage RPG (customisation, évolution des statistiques, gestion de l'inventaire, etc.) et TPS ; les Batman Arkham alternant séquences d'infiltration et beat them all dans un cadre action-aventure ; ou encore, Uncharted 2 qui fait cohabiter plate-forme et jeu de tir. Une saga comme Assassin's Creed joue aussi sur cette hybridation mêlant infiltration, combat, parkour, gestion, maintenant navigation, etc.
L'occidentalisation du jeu vidéo
Cette nouvelle philosophie résulte du basculement qui s'est opéré sur cette génération, entre déclin japonais et émergence occidentale. On le sait, les développeurs nippons ont eu des difficultés à apprivoiser les nouvelles consoles, leur hardware nécessitant une organisation du travail bien différente de celle qu'ils pratiquaient jusqu'alors. Résultat ? La majeure partie se sont repliés sur les portables, à quelques exceptions près (Capcom, Square Enix, PlatinumGames, Nintendo). Dans le concours organisé par Gamekult, on peut d'ailleurs constater qu'aucun jeu japonais n'est présent en quarts de finale, et qu'on en compte seulement 3 sur les 16 derniers qualifiés - un constat encore impensable à l'heure de la PS2 !
Cette occidentalisation s'applique d'ailleurs tant au niveau du système de jeu que du design en général. En plus d'un basculement global vers l'action, le gameplay apparaît maintenant presque secondaire, ne jouant plus forcément sur les notions de dextérité ou de challenge. On constate aussi une véritable intrusion du narratif. Mais là où la méthode traditionnelle préconisait l'usage de cinématiques (Heavy Rain, Metal Gear Solid 4) pour faire progresser l'intrigue, d'autres ont pris à leur compte les vieilles recettes développées par Looking Glass Studios (System Shock, Deus Ex) pour en faire une nouvelle norme. La technologie aidant, des jeux comme BioShock ou Dead Space ont pu instaurer une approche narrative indirecte (on apprend en consultant des fichiers audio et vidéo trouvés dans le décor ou en observant son environnement et le contrôle n'est - quasiment - jamais retiré au joueur) au sein d'un univers magistralement mis en oeuvre, avec un soucis du détail bluffant.
BioShock pourra ainsi être vécu comme un simple FPS, ou comme une aventure immersive, propre à engendrer quelques réflexions sur le joueur et son rapport au jeu. Assassin's Creed et sa métahistoire viennent également jouer dans cette catégorie. Ce n'est plus seulement la cinématique qui raconte quelque chose, mais bien le monde en tant que tel. L'environnement lui-même (Rapture, l'Ishimura, l'asile d'Arkham, le Far West de Red Dead Redemption, etc.) devient un protagoniste à part entière. Le fond et la forme sont ainsi indissociables et il est de plus en plus rare de voir un jeu miser uniquement sur son gameplay, au détriment d'un univers sans ambition et réduit au minimum syndical. Si encore une fois fois, cette approche n'est pas véritablement nouvelle, elle semble bien avoir pris son essor sur cette génération, la puissance aidant à construire un univers encore plus crédible, à la direction artistique enfin fidèle aux artworks réalisés par les artistes et pouvant ainsi pleinement s'exprimer, permettant même quelques moments de pure contemplation.
Génération HD
C'est évidemment ce dernier point qui prêtera le plus à débat. Pour la première fois dans la "guerre des consoles", les trois participants ne luttaient pas à armes égales d'un point de vue performance. La Wii disposait de carences évidentes à ce niveau là, une stratégie évidemment mûrement réfléchie par Nintendo, qui souhaitait s'imposer sur le gameplay. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si PS3 et Xbox 360 ont été qualifiées tout au long de leur cycle de vie de "next gen", comme pour se démarquer de la la machine de Nintendo et sa technologie désuète. S'il n'est pas question de réduire la qualité d'un jeu à son aspect graphique ou son apparat technique, il faut tout de même avouer que le passage à la haute-définition restera comme emblématique de cette génération de consoles. On parla même de "génération HD" ! De fait, à l'heure d'en déterminer l'éminent représentant, la Wii paraît dores et déjà exclue du débat. Bien entendu, un jeu comme Mario Galaxy reste majeur, et certainement l'un titres les plus réussis jamais produits. Mais sa science du gameplay ne reste que peu dépendante de la machine ou de la technologie, et n'est donc pas spécifique à cette génération.
L'oeil rivé sur le futur
A l'heure du bilan, un portrait-robot du jeu de la génération semble se dessiner : développé par des occidentaux, en haute-définition, doté d'un un monde ouvert ou rollercoaster, au gameplay protéiforme, à l'univers riche et au background à reconstruire soi-même. Plusieurs d'entre eux peuvent alors prétendre au titre tant désiré (il n'y a qu'à voir les exemples cités dans cet article), et chacun pourra déterminer son préféré. On se rend compte que les votants sur Gamekult semblent également aller en ce sens. Pour ma part, je choisirais Assassin's Creed II.
En attendant, chaque génération de machines permet l'émergence de nouvelles tendances, qui ne peuvent être déterminés qu'après coup, pour bien distinguer évolutions de fond et modes passagères. Par exemple, il est aujourd'hui compliqué d'affirmer que la présence systématique d'une companion app dédiée à chaque blockbuster va perdurer. A contrario, le souhait d'uniformiser mode solo et multijoueur comme le proposeront Watch_Dogs et The Divison paraît déjà plus pertinent (déjà initié par Burnout Paradise, SSX, Dark Souls ou Journey - les précurseurs sont rarement retenus dans l'histoire). Alors, rendez-vous à la prochaine génération.
Nicolas Courcier