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La ville, nouveau repère de la terreur
Qui dit rêves et phantasmes dit cauchemars. Et là où un enfant cauchemarde peut-être du loup ou du dragon nocturne, l'adulte rêve démons, purgatoires et enfers éternels. De Jérôme Bosch à Francis Bacon, de H. R. Giger à David Lynch, en passant par George Romero, le jeu vidéo a su puiser dans le pire pour donner vie à des cauchemars interactifs urbains dont les vertus cathartiques restent encore à éclaircir. Dans les claustrophobes Silent Hill 1 et 2, l'exploration maladive de la ville de province devient introspection du moi et du surmoi. Le personnage à la recherche de son enfant ou de sa bien-aimée va devoir crever le voile opaque du brouillard de la ville et de son subconscient pour descendre dans les méandres les plus dégueulasses de la psyché humaine. La ville ne se visite plus, elle s'inspecte, se creuse et se ronge jusqu'au sang. La ville, symbole théorique visible de la victoire de l'homme sur la nature sauvage, ne protège plus et devient au contraire le nouveau creuset du mal. La preuve, la population, police comprise, de Raccoon City a viré zombies. Dans Resident Evil 2, la ville devenue cimetière animé prouve, en quelque sorte, que le cycle métro-boulot-dodo transforme tous les citadins en morts-vivants. Pendant ce temps là, Les Sims apparemment à l'abri de ces considérations psycho traumatiques rejouent l'american way of life pavillonnaire et aseptisé. Une autre forme de cauchemar.
À l'ombre du noir et du polar
Avec la série GTA, le joueur a définitivement choisi son camp, celui des "wise guys" de la mafia, du folklore des "affranchis" qui, de la petite délinquance jusqu'au grand banditisme, rackettent, violent et mettent la ville au pas. Avec ou sans humour. Avant de sombrer définitivement dans l'enfer d'un Silent Hill, la mégalopole du jeu vidéo rejoue la prohibition, se régale de décadence, erre dans un purgatoire sombre, incertain. Des Lost Heaven ou Los Angeles du passé de Mafia ou L.A. Noire jusqu'à la brumeuse cité Omikron du futur de Nomad Soul, le destin funeste du citadin étouffé par son propre édifice est tout tracé. Que fait la police ? Dans L.A. Noire, ou même la ville surprotégée de Pacific City de Crackdown, elle patauge et piétine. Dans des New York torturés par des forces obscures, le Max Payne ou le Jackie Estacado de The Darkness sont obligés de prendre les choses en mains, voire de s'allier avec les forces du mal pour obtenir justice. La ville est désormais un territoire miné puis maudit. Elle a besoin de vrais sauveurs.
Le plein de supers
Puisque les dieux de l'Olympe et d'Asgard n'existent plus, l'homme s'inventa des champions contemporains pour sauver les villes en perdition. La 3D polygonale offre alors au jeu vidéo l'opportunité unique de donner à vivre physiquement ce que les comic books suggèrent depuis la moitié du XXe siècle avec leurs beaux dessins figés. Depuis les années 2000, The Amazing Spider-Man swing pour de bon entre les gratte-ciels de New York. Le joueur incrédule s'arrache à la pesanteur, prend les mesures verticales de la ville après en avoir parcouru les longueurs. Très, trop vite, inévitablement, l'ivresse de la puissance de calcul et du pouvoir livré à lui-même transforment la ville en chantier de destruction. Le jeu vidéo cède les clés de la ville à la fureur capricieuse de The Incredible Hulk et à son double étrange et cruel, Prototype, qui, capables de grimper et sauter où bon leur semble, smasheront tout sur leur passage. Y compris toute velléité de faire le bien. Pour remettre du calme et du plomb dans le chaos, il faudra que l'intimidant musclor Batman d'Arkham City s'occupe sans transiger de Gotham City, de ses rues et de ses toits. Mais la nuit est définitivement tombée sur la ville du jeu vidéo.
La chute des cités radieuses
Tragique jeu vidéo. Quand il imagine de toutes pièces de superbes villes, c'est aussitôt pour leur infliger un destin digne de la chute de l'Empire romain ou de Babylone. Dans le jeu vidéo, qui dit ville superbe, dit régime totalitaire, oppression du peuple et chute de la cité à plus ou moins long terme. De la même façon qu'il est logiquement impossible de jouir du très chaleureux Paris alternatif de The Saboteur drapé aux couleurs nazis sous occupation allemande, on ne fait pas un pas plus tranquille dans le Columbia aérien de Bioshock Infinite que dans le Rapture coulé de Bioshock. Derrière chaque architecture colossale et monument des villes imaginaires se cache une menace présente, passé ou à venir. Pourtant rhabillé de technologies futuristes, le Néo-Paris de 2084 de Remember Me subit lui aussi le joug d'une élite dominante qui empêche d'aimer farouchement ce que l'on voit. Uchronies ou dystopies, tels des portraits de Dorian Gray architecturaux, plus les devantures des villes du jeu vidéo sont belles plus elles cachent un monstre prêt à l'effondrement. Que serait l'architecture réelle de la si picturale Dunwall de Dishonored sans l'influence de sa classe dirigeante fasciste ? La City 17 de Half-Life 2 avait au moins le mérite de mettre cartes sur tables et de montrer ses intentions de soumission du joueur dès le début.
Pour croire encore en une ville qui saurait, belle et majestueuse, se dresser au-dessus du néant sans avoir à écraser sa population, les cité virtuelles doivent accepter de redevenir des toiles de fond idéalisées, des décors lointains souvent futuristes et donc inaccessibles comme dans les Mass Effect ou la Angel City aperçue dans la béta de TitanFall.