La trentaine bien tassée - calvitie naissante, embonpoint installé -, le jeu vidéo est suffisamment avancé en âge pour tirer des leçons de son expérience. Alors profitons-en pour voyager dans le passé : jetons un oeil au lancement des autres consoles de la marque, dans l'idée de découvrir une éventuelle cohérence des différentes politiques de Nintendo. Penchons-nous plus précisément sur les franchises ayant tenu la main aux machines de la firme de Kyoto, en commençant par nous demander si l'exercice auquel je me livre sur la 2DS présente le moindre intérêt. Au moins, on sera fixé, vous pourrez ainsi occuper votre temps à quelque chose de plus constructif.

De Duck Hunt à Nintendo Land...

Pour faire court, ce que l'on peut constater, c'est que, tout au long de son histoire, Nintendo a toujours appuyé les technologies mises en place sur les nouvelles machines par ses jeux de lancement : 1986, Duck Hunt sur NES et son pistolet laser ; 1990, F‑Zero sur Super Nintendo et son mode 7 hallucinant ; 1996, Mario 64 sur N64 et son monde totalement en 3D ; 2001, la GameCube et... sa poignée révolutionnaire !

Pour la Wii et la Wii U, on a vu s'appliquer la même logique. À travers les jeux qui ont accompagné la mise en vente de ces deux dernières machines, on a pu deviner quelle allait être la cible du constructeur : la famille. Ainsi la Wii s'est-elle dotée en 2006 de deux représentants populaires avec Wii Sports et Wii Play, alors qu'en 2012 la Wii U se voyait escortée par New Super Mario Bros. Uet Nintendo Land. Cette démonstration implacable m'évitera de réitérer l'exercice avec les consoles portables tout en délestant mon texte de la conclusion intermédiaire statuant que oui, les franchises des line-up désignent implicitement les cibles de Nintendo.

Si je suis ma propre pensée (ce qui n'est pas forcément évident), la 2DS devrait donc mettre le paquet sur la 2D... Mouais, je veux bien que Nintendo ne soit pas en forme en ce moment, que le vent lui souffle plutôt dans la gueule (avec les hurlements des joueurs) que dans le dos, mais ce n'est pas bien probant cette affaire. Si la logique ne fonctionne plus, c'est tout simplement que nous sommes ici face à un cas unique où le constructeur doit faire machine arrière ! Nintendo retire une fonctionnalité du modèle précédent et ne saurait décemment chercher à mettre en avant cette amputation technologique. Ce que confirme néanmoins ce retournement de veste est que Nintendo revient vers un jeune public.

Rappelons que la 3DS n'est pas conseillée aux enfants de moins de sept ans, que la stéréoscopie leur brûle la rétine et leur fait perdre les cheveux. L'architecture matérielle de la console, son aspect extérieur, tout concorde : les bambins sont bien le nouveau point de mire. Mais ils vont jouer à quoi, nos bouts de chou au nez qui coule ? Eh bien aux titres disponibles à Noël, pardi : Pokémon X/Y et The Legend of Zelda : A Link Between Worlds ! Alors, je balance ça comme une évidence, mais ces licences chères à nos yeux (préservés de la corrosion tridimensionnelle par nos âges avancés) ne sont pas si familières aux loupiots actuels. J'entends déjà notre Seb national s'étonner du choix contestable de ses fils pour une serviette Angry Birds plutôt que Sonic ! La question des goûts douteux des enfants de notre patron et de leur éducation est certes légitime, mais la sauvegarde de mon poste est plus importante qu'un débat sociologique (encore que nécessaire). Il y a bien longtemps que les Pokémon ne sont plus le centre d'intérêt des récréations, que le nom de Mario ne retentit plus dans la cour et que Link n'est plus le modèle favori du costume de Mardi gras. C'est un fait, il est urgent pour Nintendo de reconquérir l'esprit des nouvelles générations, surtout avec sa politique sur le renouvellement des licences.

Une question d'exemplarité

Encore une fois, Nintendo fait montre d'une exemplarité redoutable. Les derniers épisodes de Pokémon et Zelda sont en effet excellents. En tant que vieux briscard de la croix directionnelle, cela dit, j'ai trouvé ces titres plus faciles qu'à l'accoutumée. Par exemple, les versions X/Y proposent dans les premières heures de jeu deux starters (des Pokémons très puissants), au lieu d'un, ainsi qu'une pierre Multi Exp, permettant à tous les petits monstres de l'équipe de récolter des points d'expérience même s'ils ne sont pas envoyés au charbon : fait remarquable, car jusqu'alors ce précieux objet n'était habituellement accessible qu'en fin d'aventure. Le côté roots du RPG s'en trouve facilité, inutile donc de gambader dans les hautes herbes afin de multiplier les joutes en vue de renforcer votre escouade de petits animaux mignons.

De son côté, The Legend of Zelda. A Link Between Worlds offre pour la première fois de la saga un système de location d'objets. Dès le début du jeu, l'ensemble de l'arsenal sera à votre disposition. Avec Link chargé comme un mulet, plus rien ne résiste ! Le titre devient plus ouvert et bien moins contraignant que ses illustres aînés. Le choix et l'ordre dans lequel les niveaux seront parcourus sont donc laissés à la discrétion du joueur. A Link Between Worlds tient une position délicate : être le fier conquérant d'un nouveau public en étant associé à une console fraîchement amputée (la 2DS) tout en valorisant chez la grande soeur (la 3DS) cette capacité supprimée. Le titre s'en sort avec les honneurs ! L'aventure est aussi agréable en deux qu'en trois dimensions. Par ailleurs, le positionnement dans la saga de cet épisode s'avère intéressant à analyser. Avant sa sortie, les observateurs parlaient de suite, de remake et d'hommage à Zelda III. Au final, le jeu est un amalgame des trois. Mais comment en vouloir à Nintendo ? Pour gagner le coeur d'une nouvelle génération, pourquoi ne pas user encore une fois d'une formule ayant déjà fonctionné sur des millions d'enfants ? Et si A Link Between Worlds n'était pas un lien entre deux mondes, mais plutôt une passerelle entre deux générations, une génération de joueuses et de joueurs : les générations X et Y ? Pour illustrer davantage ma réflexion, notons que Nintendo propose un bundle couplant Pokémon X et Y avec la 2DS, mais non dans le cas de la 3DS. Cette dernière se voit aussi jumelée aux États-Unis à un jeu, Luigi's Mansion 2, - un titre de grande qualité -, reconnue pour ses vertus gamer et sa difficulté affirmée. Une 3DS aux couleurs de la Triforce est bien associée au lancement du nouveau Zelda, néanmoins, satisfaire les besoins irrépressibles des collectionneurs est pour Nintendo un coup commercial évident, sortant par la même d'une logique de reconquête des enfants.

Comme nous l'avons vu, les line-up de Nintendo sont significatifs de la stratégie du constructeur, mais c'est la première fois que cette même stratégie a influé sur le développement des deux sagas les plus populaires de la marque : Zelda et Pokémon. Nous avons considéré la 2DS comme une simple mutation de la 3DS, nous l'avons même prise pour un canular, eh bien nous nous sommes lourdement trompés. Sous son allure enfantine et ses angles en plastiques colorés, la 2DS a transformé pour les plus jeunes des licences qui nous étaient chères à nous, les vieux !