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Nous en parlions déjà dans nos P'tits Papiers #06 : l'Oculus Rift est au coeur des attentes des joueurs pour cette année 2014, faisant même de son co-créateur Palmer Luckey l'un des "30 de moins de 30 ans" les plus influents dans le domaine du jeu vidéo, selon le magazine américain Forbes. Mais plus que le potentiel énorme qu'il abrite, l'Oculus nous fait poser la question du futur du jeu vidéo. Doit-il forcément passer par l'écran de la télévision ?
L'Oculus Rift, la sensation 2014 ?
La réalité virtuelle est un vieux fantasme de joueur. Combien de fois depuis notre plus tendre enfance avons-nous entendu qu'il s'agissait là du futur du jeu vidéo ? Les divers projets de casque virtuels n'ont d'ailleurs pas attendu les années 2000 pour exister. On se souvient effectivement du prototype VR de SEGA, dévoilé en 1993, et qui ne verra jamais le jour, ou de l'expérimentation Virtual Boy ; même le Vectrex a eu droit à sa déclinaison ! Des essais pas forcément concluants, qui ont contribué à enfermer le rêve de la réalité virtuelle dans un placard, pour ne plus le laisser en sortir, sous peine de passer pour le ringard de service. Et puis en 2012 est apparu l'Oculus Rift, qui, de levées de fonds en recrutements ambitieux, n'a cessé de convaincre les chanceux qui ont pu s'y essayer. Le principe en soi, demeure simple : une immersion sans pareille, grâce au casque juché sur le visage, une image projetée sur l'oeil gauche, une autre sur le droit, de manière à créer un effet 3D capable de tromper le cerveau. Le joueur dirige son regard dans le jeu en bougeant directement la tête. Et ça marche ! De quoi imaginer la réinvention de notre media. Si bien que des acteurs du marché comme Sony pensent aussi à proposer leur déclinaison maison.
Le trompe l'oeil
Si la réalité virtuelle n'avait jusqu'alors pas convaincue, c'est bien car la majorité des gamers ne se voyait pas se passer de leur bonne vieille télé. La configuration canapé, table basse, télévision est définitivement ancrée dans nos habitudes, et paraît même inamovible. Pourtant, est-ce là la seule alternative ? L'intérêt d'un écran se comprend tout à fait dans le domaine du cinéma : la télévision restitue parfaitement la perspective d'une caméra. Cette dernière, immobile, est placée par la réalisateur d'une certaine façon, afin de rendre compte d'un point de vue selon un angle bien précis : les acteurs, les décors, la lumière, tout est agencé en fonction de la caméra. Comme dans une pièce de théâtre finalement, il ne s'agit là que d'un trompe l'oeil, destiné à créer l'illusion souhaitée auprès du public, et de la restituer comme telle. Si le spectateur se tenait à côté de la caméra (et non derrière sa télé), il lui suffirait de tourner la tête sur la droite ou sur la gauche pour apercevoir l'envers du décor, et la magie s'estomperait aussitôt.
Dans le jeu vidéo, ce n'est évidemment pas le cas. La représentation des titres les plus immersifs se fait en 3D temps réel. Certes, si l'affichage s'économise de ne calculer que ce qui apparaît effectivement à l'écran, l'univers existe bel et bien dans son intégralité et peut être observé sous toutes ses coutures. Car en plus de l'interactivité, l'autre force du jeu vidéo, a contrario du cinéma, réside dans l'opportunité de contrôler l'angle de vue (au moins, dans la grosse majorité des jeux). Imaginez alors pouvoir être ce fameux spectateur qui se tient à côté de la caméra. Sauf que cette fois-ci, en regardant à droite, à gauche, en haut ou en bas, il verra l'univers du jeu à perte de vue. Une question se pose alors. Fruit des conventions, l'écran de télévision comme source du visuel de nos jeux vidéo n'apparaît-il pas comme une limitation du potentiel du média ? Et ce dernier ne gagnerait-il pas à s'en affranchir ?
La multiplicité des écrans
Tout comme l'Oculus Rift, d'autres tentatives destinées à libérer le jeu vidéo du carcan représenté par l'écran de télévision ont vu le jour. La 3DS a notamment proposé la sienne, en remettant à la mode le principe de la réalité augmentée. Grâce aux caméras de la portable, il est possible de faire superposer des modèles 3D sur un fond 2D. Ce fond peut évidemment être votre canapé, votre cuisine, etc., soit votre environnement proche et direct, capturé par la caméra. L'intrusion du virtuel dans le réel offre des perspectives ludiques absolument réjouissantes. Dans un titre comme Spirit Camera par exemple - déclinaison 3DS de la franchise horrifique Project Zero - cibler une carte de réalité augmentée provoque une modification de votre environnement (un trou se forme dans la table basse, laissant en sortir un spectre). Le jeu vous invite aussi à déplacer votre console, pour retrouver un personnage, caché dans votre appartement ! Certes, l'écran de la machine sert toujours d'interface entre le jeu et le joueur, mais le ludique s'invite désormais dans votre environnement personnel et n'est plus prisonnier de la télé. Rappelons-nous aussi de Zelda Ocarina of Time 3D, où la vue subjective permet, en tournant sa console autour de soi, d'avoir une fenêtre ouverte sur le monde d'Hyrule. Un gain en immersion incroyable. Cette notion de déplacement est capitale et distingue la 3DS des tentatives du même genre de Sony (Eye Toy, Eye Pet, PlayRoom, Wonderbook, etc.), restreintes à un environnement fixe. On constate pourtant que peu de titres exploitent au final les possibilités offertes par la réalité augmentée, les rares prétendants ne parvenant pas se départir du statut de simple gimmick.
Toujours chez Nintendo, le Wii U Game Pad a lui aussi tenté de prolonger l'espace ludique restreint à la lucarne de la télévision. Dans les premières vidéos de présentation de la mablette, on pouvait apercevoir celle d'un match de baseball, où le joueur levait le Game Pad au-dessus de sa tête pour voir se prolonger le terrain de jeu, à la recherche de la balle. Finie la limitation de l'univers au simple cadre du poste. Même si l'ambition est moindre, car plus cosmétique que ludique, le concept IllumiRoom de Microsoft entend lui aussi exploser les frontières de l'écran, pour favoriser l'immersion. Et si un écran n'est pas suffisant, pourquoi pas plusieurs ? Chaque triple A propose aujourd'hui sa companion app dédiée, qui offre un second point de vue au joueur sur son jeu (carte, menu de gestion, etc.). La télévision n'est dès lors plus la seule source d'informations visuelles qui lui ait offerte (vague héritage des VMU de la Dreamcast et autres PocketStation de Sony). La companion app de Assassin's Creed IV, qui offre l'opportunité de gérer sa flotte et d'envoyer ses bateaux en mission, est même parfaitement autonome et ne nécessite pas d'allumer son poste. Il ne fait en tout cas aucun doute qu'il s'agit là d'un enjeu capital pour les éditeurs. Aussi bien en terme de business que d'applications de gameplay.
Citons pour finir tout ce qui concerne les jeux en réalité alternée (ou fiction interactive), comme In Memoriam ou Alt-Minds de Lexis Numerique, qui proposent au joueur de prendre part à une enquête fictive faisant intervenir l'ordinateur (l'écran, toujours lui), mais en sortant du cadre classique (recherche sur Internet à effectuer sur de faux sites créés pour l'occasion), en utilisant en plus l'e-mail ou le téléphone pour faire progresser son intrigue ! D'autres ARG vous demanderont de vous promener dans votre ville pour résoudre des énigmes ! Encore une fois, la télévision n'est plus seule fournisseur du feedback ludique. Et le joueur n'est plus obligé de sédentariser son amusement. Même si cela s'éloigne de la forme traditionnelle prise par notre média, cela reste quand même du jeu vidéo !
Le futur en point de mire
Le jeu vidéo évolue constamment. Depuis sa naissance, des tas d'innovations ont contribué à le faire changer, et autant sont à attendre pour l'avenir. Pourtant, il possède quelques caractéristiques qui nous paraissent immuables et qui le définissent à nos yeux. Cependant, on peut penser que le "jeu vidéo du futur" sera peut-être construit autour d'une imagerie bien différente. Si je demande à n'importe quel interlocuteur de me décrire une partie de tennis, il me répondra immanquablement qu'il s'agit de 2 ou 4 joueurs placés sur un court, séparés par un filet et se renvoyant la balle à l'aide d'une raquette. Qu'en est-il du saut en hauteur ? Si j'avais posé la question il y a 50 ans, on m'aurait dit que l'objectif était pour l'athlète de sauter par dessus une barre en l'attaquant frontalement. Or, depuis 1968, la méthode dite du Fosbury-flop - où le sportif s'élance désormais dos à l'obstacle, du nom de l'athlète qui a imaginé la technique - sera la seule unanimement décrite !
Il arrive un moment où une imagerie définitive va s'ancrer dans l'inconscient collectif, définissant l'identité d'un domaine et qui sera valable pour tout un chacun. Et le jeu vidéo n'échappe pas à cette règle. Comment alors imaginer ce que sera le « souvenir définitif » du jeu vidéo dans la tête des gens d'ici quelques années ? Lorsque l'on demande à Hideo Kojima de définir comment il voit le futur du jeu vidéo, il ne parle pas de beaux graphismes ou de photoréalisme. Il imagine des exosquelettes qui accueilleraient le joueur et le définiraient ainsi comme une interface "humaine". Autant dire, une vision bien différente de celle communément admise aujourd'hui. Pourtant, si on y réfléchit, le jeu vidéo a déjà bien changé depuis sa création. Les sprites ont laissé la place aux polygones ; le chiptune à une orchestration symphonique, les cartouches aux DVD, puis au Blu-ray, en attendant l'avènement du cloud gaming ; sans même parler des manettes, toujours plus dotées en boutons, maintenant vibrantes et à détection de mouvements. Il est certain que le changement amène de la résistance, ce qui peut freiner sa progression. Le cas le plus récent concerne la volte-face de Microsoft autour de sa Xbox One, sous la pression des joueurs. Pourtant, il paraît difficile d'imaginer que le modèle voulu par Microsoft ne soit pas dominant d'ici 10 ans.
Si le jeu vidéo aujourd'hui ne peut difficilement se concevoir sans un écran de télévision comme interface jeu / joueur, nul doute qu'il gagnerait énormément à s'en émanciper, ludiquement parlant. Il contribuerait alors à faire évoluer la définition que nous pourrions avoir de lui. Cette remise en cause se pose aussi concernant les autres prérequis du media. On peut ainsi légitimement se demander si le jeu vidéo peut aussi s'affranchir des manettes ? Les différentes tentatives récentes (Wiimote, Kinect, etc.) laissent en tout cas penser que certains ont déjà commencé à y réfléchir...