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Il existerait donc une différence entre un bon Final Fantasy et un bon RPG. Afin d'éviter le débat sur ce qui distingue le bon du mauvais chasseur, nous allons reprendre ensemble, point par point, les particularités qui caractérisent un épisode de Final Fantasy, avant de conclure sur le cas de FF XIII.
La série d'un seul homme ?
Vous connaissez la légende, Final Fantasy est le chant du cygne de Square avant une mort certaine. Ce dernier souffle de vie, l'éditeur japonais le doit à un certain Hironobu Sakaguchi. Aussi doué soit-il, ce dernier n'a pourtant pas sauvé l'entreprise à lui seul. Raphaël Lucas nous en dit plus sur l'organisation du travail dans la fin des années 1980 : "Quand on y regarde de plus près, Final Fantasy est un véritable travail d'équipe, et ce dès le premier volet. Si Nasir Gebelli et Sakaguchi constituent alors la base de l'équipe A - avec Sakaguchi comme élément déclencheur du développement -, plus d'une quinzaine de personnes se joignent ensuite au projet en 1986. Pour un jeu développé à l'époque, c'est énorme, et très loin des standards occidentaux où un programmeur, un graphiste et un musicien, souvent, en free-lance, suffisent pour produire un titre. Pour rappel, les premiers Ultima, dont s'inspirent totalement Final Fantasy et Dragon Quest (avec un peu de Wizardry pour ce dernier), n'ont été développés que par un ou deux programmeurs. C'est dire l'ampleur du projet !" Jay confirme cet état de fait et précise les forces en présence à l'époque : "Le succès de Final Fantasy est aussi dû à d'autres grands noms au rôle plus diffus comme Hiromichi Tanaka, Akitoshi Kawazu ou encore Koichi Ishii. Le tout n'aurait, de toute façon, pas été possible sans la bienveillance de Masafumi Miyamoto, le fondateur de Square."
Après le succès triomphal du premier épisode, Hironobu Sakaguchi devient une figure de proue, le visage médiatique de la saga. C'est pourquoi on ne s'étonnera pas de voir le game designer rester à la tête de la série. Il est donc légitime de se demander si Final Fantasy est bien la vision d'un seul homme. Poussons la réflexion plus loin en nous demandant si l'identité de cette saga est le fruit d'une seule et même équipe. "Après FF V, l'échelle de valeurs change, nous répond Jay, puisque Sakaguchi a des responsabilités qui ne lui permettent plus d'être aussi présent. Ce sont d'autres gens de Square, pour la plupart fans des premiers épisodes, qui vont faire évoluer la chose. En tête, Yoshinori Kitase et Shinji Hashimoto. Et évidemment Tetsuya Nomura. Donc non, Final Fantasy n'appartient pas à Hironobu Sakaguchi, il n'a pas été le seul homme fort dans l'histoire de la saga. Il est l'instigateur, le génie qui a eu l'idée et a porté ce projet à bout de bras pendant longtemps, mais, et c'est l'ironie du sort, les épisodes les plus vendus ne sont pas son oeuvre."
Un univers commun ?
Comme tout bon jeu de rôle qui se respecte, les Final Fantasy déroulent sans surprise quelques poncifs immuables. Notre fier héros se verra ainsi traverser villes, plaines et autres territoires sauvages. Néanmoins, au fil des épisodes, les mondes explorés sont-ils similaires ? Les Final Fantasy mettraient-ils en scène, sempiternellement, la même planète, le même univers ? Pour Jay, "si les tenants et aboutissants (une histoire de résistance contre un empire totalitaire) sont souvent les mêmes, l'univers change. Chacun avec ses peuples, ses codes, ses religions et souvent une vision artistique propre. Cependant, la série est cohérente, car elle dispose de sa propre mythologie, avec des éléments récurrents - bien que protéiformes". Si le douzième épisode prend place dans le monde d'Ivalice (et donc celui de Vagrant Story, Revenant Wings et FF Tactics), et hormis les suites directes de FF IV, X et XIII, aucun Final Fantasy canonique ne partage avec les autres la même planète. Le XIII propose Pulse et Cocoon en terrain de jeu, alors que le dixième chapitre prend place sur Spira. Ces exemples sont deux des endroits totalement imaginaires inventés pour la saga. L'époque et l'avancée technologique des peuples présents dans les jeux sont aussi à chaque fois différentes. Si le début de la saga (du I au VI) tire plutôt son inspiration de l'heroic fantasy, certains des volets suivants nous ont proposé des univers futuristes et complètement originaux. Raphaël vient poser un point final à cette interrogation en citant le producteur star de Square Enix : "Lors d'un récent entretien qu'il m'a accordé, Kitase m'a rappelé une évidence : "Il n'y a pas de normes, pas de codes pour Final Fantasy." C'est une observation à laquelle il est venu dès son arrivée dans l'équipe de développement (selon lui, à l'époque de Final Fantasy IV). Il n'y a pas d'univers Final Fantasy. Final Fantasy a, dès le début - mais peut-être inconsciemment -, été décliné comme une licence où tous les univers, tous les héros, toutes les histoires sont possibles."
Un système de combat unique ?
Afin de sauver la veuve, l'orphelin et accessoirement l'univers entier, le joueur va devoir prendre les armes. Pour cela, un système de combat a été imaginé et mis en place dès l'épisode fondateur. Tiendrions-nous là le premier dénominateur commun ? Toutes les joutes se déroulent-elles de la même façon ? La réponse n'est pas si évidente. Raphaël nous expose la problématique : « Quand on regarde les épisodes les uns après les autres, on constate que l'équipe de développement cherche constamment à améliorer une mécanique - le pur tour par tour - qui ne lui convient pas. Dès le II, elle expérimente un système de compétences proche du Basic Role-Playing de Chaosium (un système de jeu à pourcentage que copient les Elder Scrolls). Dans le IV, il y a cette invention géniale qu'est l'ATB, qui instille du temps réel dans ce tour par tour. Puis, c'est la 3D, et des affrontements de plus en plus dynamiques, jusqu'au XIII et son système de menus ultrarythmé qui par sa "chorégraphie" renvoie à ce qui se passe dans le combat. Pour moi, dans FF, il y a évolution, expérimentation constante autour d'une idée et d'une structure fondamentale présentes dès le premier RPG produit par Sakaguchi, Cruise Chaser Blassty : la division de l'écran en deux parties (quand Dragon Quest opte pour la première personne d'un Wizardry), les menus qui apparaissent et disparaissent, la volonté de lorgner le cinéma... »
Quels sont les points communs ?
Épargnons-nous une partie destinée à souligner qu'aucun Final Fantasy n'oppose à ses héros le même antagoniste ou que l'intrigue n'est jamais similaire. Bien que sauver le monde soit souvent l'objectif grandiose poursuivi par les personnages, certains épisodes présentent des enjeux plus politiques ou intimes, à l'image respectivement du XII et du IV. Quelles seraient alors les similarités entre chaque volet ? Quels seraient les codes de cette saga ? Jay se lance dans ce recensement complexe : "La série est cohérente, car elle dispose de sa propre mythologie, avec des éléments récurrents, bien que protéiformes. Ainsi, dans quasiment chaque épisode, on retrouve au moins l'une des deux mascottes - si ce n'est les deux -, le chocobo et le moogle ; de même que certains monstres comme les bombos, les marlboros, les pampas ou les tomberris. Depuis FF III, les héros sont toujours épaulés par des divinités ou des créatures surnaturelles, les fameuses invocations. Au nom différent suivant les épisodes (Eidolons, Espers, Aeons, Guardian Forces), mais à la même fonction. La monnaie de Final Fantasy est immuable, il s'agit du gil. On retrouve également des "figures-clefs" comme Cid (une volonté de Sakaguchi), Biggs et Wedge (référence à Star Wars) ou des éléments plus axés sur la philosophie propre à la série comme les guerriers de la lumière (des élus qui combattent le mal), les cristaux (dont bien souvent dépend l'équilibre du monde) et le Chaos, au sens grec du terme, soit incarné, comme dans le premier épisode, soit sous une forme plus spirituelle, comme dans Final Fantasy XIII. À ce titre, on retrouve les mêmes magies dans tous les épisodes ainsi que certains noms-clefs apparaissant sous différentes formes (sorts spécifiques, furies, armes, PNJ, éléments du background) comme la Masamune ou la notion d'Ultima et d'Omega. Autant de repères qui permettent d'identifier Final Fantasy comme une série disposant d'une mythologie propre, mais qui, à chaque nouvel épisode, racontent une nouvelle histoire dans un lieu distinct."
Une licence visionnaire !
Les éléments que nous venons de lister seront qualifiés par certains de secondaires. Les empiler consciencieusement ne suffit certes pas à faire d'un JRPG lambda un Final Fantasy pure souche. Le procédé serait trop simple ! Il y a quelque chose en plus. Près de trente ans après le premier volet, l'âme de Sakaguchi plane-t-elle encore sur son oeuvre ? Raphaël Lucas s'exprime sur cette idée en livrant son analyse personnelle de la logique d'un FF : "Comme je l'ai souligné pour les combats, il y a, il me semble, une volonté de mise en scène, de trouver des moyens originaux de narrer, et ce dès le début. Bref, de faire autrement, différemment des autres JRPG en jouant sur des leviers de mise en scène. Les mogs, les chocobos ou les gils ne sont que du folklore, des éléments mineurs qui inscrivent superficiellement, et par l'évidence, chaque épisode dans une continuité qui, on l'a dit, n'existe pas. Les codes, il faut les chercher plus en profondeur, dans la mécanique interne, peut-être dans les personnages archétypaux (voyage du héros, etc.) et leurs relations, ou alors dans la structure de découverte du monde ou dans cette manière de montrer et de dynamiser le tour par tour (et, par extension, dans sa volonté de toujours creuser dans cette direction). C'est pour cette raison qu'un FF XIII paraît aussi étrange, bizarre. Pourquoi proposer ce système de combat quasi automatisé qui transforme le joueur en entraîneur d'équipe de foot ? Si l'on ne se penche pas sur l'historique de la série, sa continuité évolutive mécanique et les multiples itérations autour de cette idée d'ATB, les combats de FF XIII peuvent paraître aussi saugrenus que ceux d'un Resonance of Fate. Évidemment, on pourrait revenir sur l'esthétique de la série, et ses deux grandes époques, Amano puis Nomura, ou les bandes-son d'Uematsu, mais, là encore, ce n'est que de la surface, du superficiel, des éléments autour desquels il est un peu trop facile de gloser, ou de se perdre en superlatifs, critiques ou dithyrambes. Sans une architecture narrative et mécanique solide, un RPG lasse, s'écroule sur lui-même, et les Final Fantasy n'échappent pas à cette règle. Pour moi, on a un peu trop souvent tendance à lire "ceci ou cela n'est pas un bon Final Fantasy", comme si Square n'avait pour objectif que de se satisfaire d'une répétition ad nauseam des mêmes recettes alors qu'il tend, tout le temps, vers l'expérimentation. En fait, alors que le studio est progressiste - tout en exploitant la nostalgie de ses joueurs-consommateurs -, la plupart de ses joueurs sont, eux, conservateurs !"
Un modèle incontesté !
S'il est impossible de trouver une définition rationnelle à ce qu'est réellement un Final Fantasy, c'est parce qu'en définitive la réponse serait trop personnelle : elle serait en chacun de nous. Final Fantasy, c'est le rêve, l'aventure, l'amour, etc. Des émotions que seuls quelques jeux peuvent nous procurer, et en particulier les RPG. Oui, mais non, en fait ! Je vais en faire rager plus d'un, mais, pour moi, un Final Fantasy ne relève en rien de quelque « explication de coeur ». Cette saga représente tout simplement le mètre étalon du RPG japonais. Chaque nouveau volet montre la voie à suivre par le reste de la production. Le fait de dire qu'un FF est une aventure épique rythmée par une histoire passionnante, dotée de personnages charismatiques revient à réduire la saga à un simple jeu de rôle. Lost Odyssey est un exemple très parlant. Bien qu'il s'agisse d'un JRPG de qualité prenant place dans un univers fantastique, façonné par des créateurs de renom (rappelons-le, Sakaguchi, Inoue et Uematsu), ce titre ne présente en rien la carrure d'un Final Fantasy. Même si Lost Odyssey n'a pas fait l'unanimité, il a comblé de nombreux vides : un manque de titres sur les consoles de génération précédente, l'absence de jeux de rôle japonais (assez logique) sur Xbox 360 et un déficit de production de JRPG tout court. La vocation du titre de Mistwalker n'était pas d'incarner l'étoile du RPG, le jeu messie qui guiderait ses pairs. Non, ce rôle est celui dévolu à la saga maîtresse de Square Enix. À ce titre, le treizième volet s'inscrit parfaitement dans ce qui définit pour moi un Final Fantasy : souffler le chaud et le froid pour toute l'industrie du jeu de rôle japonais. En grand chef de file, un Final Fantasy trace un sillon duquel nul ne peut se détourner. Voilà ce qui fait pour moi un FF.