La série Arcane, de 9 épisodes, nous plonge dans Piltover et Zaun, deux villes voisines mais opposées. Elle y retrace l'histoire des sœurs Vi et Jinx.
Annoncée aux 10 ans de Riot Games, la première série animée dans l'univers de League of Legends, Arcane, est désormais arrivée sur Netflix. Divisée en 9 épisodes dévoilés sur 3 actes progressifs, Arcane plonge les fans dans la région très divisée de Piltover et Zaun, entre richesse et pauvreté extrêmes. L'acteur essentiel qui a rendu sa création possible, c'est Fortiche Studios. Bien que l'univers de LoL soit fantasy, c'est une série réaliste et filmée à la manière d'un long-métrage que le studio nous propose, avec une direction artistique mêlant 3D et 2D ; sa pâte est omniprésente.
La société parisienne a commencé sa collaboration avec Riot Games pour la réalisation du clip de la sortie de Jinx en 2013 "Get Jinxed", qui s'est poursuivie avec "Warriors", "Popstars" et d'autres projets jusqu'à la réalisation d'Arcane. Et après avoir vu les trois premiers épisodes, c'est évident : Fortiche a apporté sa propre interprétation de l'univers et de ses personnages.
Pour mieux comprendre la vision de Fortiche sur Arcane, nous avons discuté avec avec Pascal Charrue, co-fondateur du studio et réalisateur de la série. Passé par Quantic Dream et formé aux Gobelins, ce dernier n'est pas étranger au monde des jeux vidéo. Entretien.
Merci de répondre à nos questions. Pour commencer, le choix de raconter l’histoire de Piltover et Zaun était-il un choix entièrement fait par Riot Games ?
Oui, c’est Riot depuis le début, mais on a fait des tests sur Demacia et Shurima il y a très longtemps, et je trouvais que les premières images de Shurima en jetaient. Je pense que l’on aura le potentiel de raconter plein de choses à l’avenir.
Quels aspects de la série avez-vous pris en main par opposition à Riot Games ?
Riot a fait toute l’écriture, même si on y a participé, et une partie des designs en gardant en tête le respect du lore : si un personnage de la série peut devenir un personnage dans le jeu, il faut aussi que cela vienne d’eux. Le sound design a aussi été fait par eux et il est admirable.
Je pense qu’il faut regarder la série avec un bon audio ou au moins un casque, car la qualité sonore est exceptionnelle. Ils ont aussi créé les morceaux avec tous ces artistes connus ; le showrunner vient de la musique, donc il s’est beaucoup impliqué. Il n’y a pas de comparatif sur ce point aujourd’hui, je n’ai pas vu de projet comme ça et c’est ce qui fait la force d’Arcane.
Beaucoup de choses ont été travaillées, beaucoup d’écritures et de morts potentielles.
Dans quelle mesure avez-vous pu mettre votre grain de sel dans le scénario d'Arcane ?
C’est venu au fur et à mesure ; au cours des premiers épisodes, il y avait beaucoup d’intervenants de Riot et le projet démarrait, donc c’était plus difficile de prendre la place sur le scénario. Mais on a beaucoup participé à la mise en scène et à l’identité visuelle du film, puisqu’on est des graphistes. Si une scène est écrite d’une certaine façon qui est difficile à mettre en scène et onéreuse à produire, on propose une certaine façon de faire.
Il y a des séquences dans la série que l’on a faites comme dans un clip vidéo, avec beaucoup de montage. Il y a cette forte pâte dans la série avec beaucoup de séquences clippées et cela nous permet de mieux raconter des choses. Ce n’est pas systématique dans les trois premiers épisodes, mais ensuite, on a rajouté plus de combat et de fanservice avec plus de moments épiques où l’on retrouve une forte identité Arcane. On a beaucoup travaillé sur l’écriture des derniers épisodes, avec une séquence que les showrunners nous ont laissé la liberté d’écrire presque complètement.
Il est vrai que votre collaboration avec Riot Games est de longue date.
On connaît le showrunner Christian depuis 2012, et on a passé beaucoup de moments ensemble, comme la finale des Worlds en Corée du Sud [en 2018]. Dans ce cas-là, tu abordes le projet différemment. Pour nous, le maître mot, c’est la franchise dans les retours donc il y a jamais eu de langue de bois, ce qui est rare quand on produit quelque chose comme ça. Il y a des moments où l'on ne veut pas froisser.
L'une des plus grandes libertés que l'on remarque est cette nouvelle interprétation du personnage de Jinx.
On a fait beaucoup d’easter eggs sur Jinx comme le singe, cela nous a permis de construire plus le personnage. L’histoire est centrée sur Jinx et Vi, avec ses deux villes et deux sœurs, donc on apprend à plus la connaître et c’est bien, car on a pu représenter ce côté « agent of mayhem », l’agent destructeur, et expliquer pourquoi elle est devenue comme ça.
Je suis parti de ma fille quand on a commencé à créer la version Powder, sa version jeune. Il y a beaucoup d’investissement de temps dedans et on adore les personnages. Jinx est d’ailleurs appréciée par tout le monde, je pense que l’on aime souvent les personnages sombres. Je me suis inspiré notamment de Monster de Naoki Urasawa ; c’est un manga où le personnage est très lisse au début, puis il s’enrichit. Il y a de ça dans certains personnages comme Jinx.
On voit que le style des scènes de combat est aussi très particulier.
Il y a de plus en plus de scènes de bagarres dans la série, et c’est un besoin que l’on s’est imposés. Dans le premier épisode, on voulait cette bataille très réaliste et en slow motion, en faire une peinture. Il y a des gens à qui cela a déplu, mais pour nous, c’était important : cela fait partie de ces moments où Powder commence à vriller car elle voit cette violence. On a voulu appuyer la force des coups la slow motion, cela faisait partie de l’arc narratif. On s’est inspirés du film Will Hunting avec une bagarre en slow motion qui montre que ce ne sont pas des champions qui font de grandes chorégraphies, mais que c’est un combat de rue. On voulait montrer que c’était des gamins qui sont forcés de se battre pour survivre.
Aborder le jeu vidéo en faisant autre chose que de la bagarre et du fan service
Avez-vous envisagé la mort de personnages jouables sur League of Legends ?
On s’est posés la question et on ne se donne pas de limites là-dessus. Le but est aussi de surprendre, donc s’il y a des héros qui meurent alors qu’ils font partie du lore, même nous dans l’écriture on peut dire « vous êtes sûrs ? » à Riot, mais on le fera ; non pas que ce soit arrivé. Beaucoup de choses ont été travaillées, beaucoup d’écritures et de morts potentielles. C’est aussi ça qui est intéressant !
Game of Thrones ont été les premiers à nous surprendre sur ça, alors pourquoi pas ? Il y a cette possibilité-là. En ce moment, on a carte blanche et je pense que Riot veut garder une cohérence, mais surtout offrir une expérience à ses joueurs sans se donner de limites. D'un autre côté, le but n’est pas non plus de dénaturer le lore et de raconter des choses qu’il ne peut pas assumer.
Avez-vous des inquiétudes sur le fait que votre identité devienne indissociable de la licence de Riot Games ?
Est-ce que ce serait négatif ? Je n’ai pas à rougir de ce que l’on a fait, car ils nous ont laissé cette liberté. Cela m’aurait peut-être dérangé si c’était pour ne faire que du fan service ou jeu vidéo. Mais ce n’est pas le cas, on essaie d’ouvrir le jeu sur autre chose donc si l’image de Fortiche est de qualité et que Riot Games nous a donné les moyens de le faire, rendons-y hommage. Aujourd’hui, c’est pour un jeu vidéo ; demain, ça peut être autre chose. C’est le résultat qui compte. Après, on prévoit de développer des choses par nous-mêmes, mais travailler avec Riot pour faire des projets de qualité et de la façon on veut le faire, c’est ça qui est fort.
Vous avez l’impression de créer quelque chose de nouveau ?
Totalement. Ce n’est pas un format ordinaire ; on a pas la prétention de faire quelque chose de révolutionnaire, mais cela me semble assez unique. L’animation est très liée au cinéma, comme Paranoia Agent de Satoshi Kun par exemple où ça existe aussi, mais pas dans ce style.
Pour une série sur un jeu vidéo, on aurait pu s’attendre à beaucoup plus d’action, mais vous mettez aussi l’accent sur l’émotion.
J’aime beaucoup League of Legends et Riot Games, on a des relations fortes donc quand on commence à faire ce genre de projets, on sent un côté péjoratif quand on nous demande si c’est du jeu vidéo. Donc aborder le jeu vidéo en faisant autre chose que de la bagarre et juste du fan service pur, ça montre que c’est qualitatif, qu’on raconte des choses et qu’il y a de l’émotion.
C’était presque un défaut quand je les ai rencontrés, je me suis dit : il y a trop de personnages ! Ils n’avaient rien à voir les uns avec les autres, et aujourd’hui, ils sont liés. Riot s’est donné les moyens pour ça, ce n’est pas par hasard, ils ont apporté une cohérence pour réunir les personnages. Au début, je prenais ça avec des pincettes et maintenant j’y crois complètement, je pense qu’il y a beaucoup de choses à créer avec leur lore qui peut fonctionner. Il faut juste trouver le bon prisme.
Les trois premiers épisodes d'Arcane sont disponibles dès aujourd'hui sur Netflix.