Il y a des jours comme ça, où le média jeu vidéo n'a rien demandé, et pourtant, il s'en prend plein la tête. Vous serez donc heureux d'apprendre qu'avant-hier était un de ces jours, et que nos amis les scientifiques se sont sérieusement penchés sur la question de la violence dans les jeux vidéo et de l'effet qu'elle peut avoir sur les joueurs.
L'article en question a été publié sur le site rue89, et autant vous prévenir tout de suite, son constat est accablant. Loin de moi l'idée de pointer du doigt l'auteur de ce papier qui visiblement n'y connait pas grand chose en matière de plaisir vidéo-ludique, mais reste néanmoins Professeur de Psychologie sociale et auteur de Psychologie du bien et du mal (Odile Jacob, 2011), actuellement directeur du Laboratoire Interuniversitaire de Psychologie de Université Pierre Mendès-France à Grenoble. Voici donc ce que l'article explique de l'étude conduite :
136 hommes et femmes adultes jouaient à un jeu identifié comme violent (Condemned 2, Call of Duty 4, The Club) ou à un jeu d'action non violent (Dirt 2, Pure, Superbike). Ces jeux ont été évalués par les participants et ne différaient que sur la dimension de la violence et non celle de leur difficulté ou leur caractère immersif, par exemple.
Suite à cela, les participants de cette petite mascarade (il ne différaient pas sur leur difficulté ou leur caractère immersif ? La bonne blague) formaient des binômes afin d'effectuer un simple jeu (consistant à appuyer sur une touche le premier à un moment donné) au cour duquel le gagnant pouvait infliger un supplice au perdant. Le niveau d'agressivité des participants était mesuré en fonction de la durée et de la puissance d'un son que le gagnant faisait subir au perdant.
Les participants croyaient que l'intensité du son avait été choisie par leur adversaire. La mesure d'agression était l'intensité sonore (de 60 à 105 décibels, soit l'équivalent d'une alarme à incendie) et la durée (de 0 à 5 secondes par intervalles de 500 millisecondes) que le sujet choisissait de faire subir à son (faux) adversaire, lorsque celui-ci perdait (des études préalables indiquent que cette mesure est liée à des actes agressifs dans la vie réelle).
Le résultat est sans appel, la science a parlé, les participants ayant joué à des jeux violents ont davantage de pensées agressives envers leurs adversaires. L'augmentation de l'agression était alors de l'ordre de 15%.
Contexte et élargissement
Si il est statistiquement significatif, c'est vrai, on ne peut pas avancer que ce résultat est énorme. Et surtout, quand bien même les études "sérieuses" démontreraient que "les jeux vidéo violents augmentent la probabilité de conduites agressives", une probabilité, surtout aussi faible, ce n'est pas un fait. Au-delà de cela, où sont les remises en contexte avec les études similaires faites sur d'autres médias potentiellement violents (vidéo/tv, cinéma, musique) ? Apportent-elles donc des résultats si différents de ceux obtenus avec le jeu vidéo, pour justifier une accusation si précise de ce média par rapport aux autres ? Qu'en est-il des variables tierces, peut-on vraiment considérer qu'elles sont prises en compte correctement où écartées à juste titre ? L'augmentation de l'agressivité des gens ne peut-elle pas être obtenue dans les mêmes proportions avec d'autres cadres expérimentaux hors jeu vidéo ? Bien sûr que si. Comment considérer, également, l'importance de tels résultats par rapport à d'autres variables tierces, lorsque dans une autre société que la nôtre, tout aussi consommatrice, sinon plus, de jeux vidéo violents, le taux d'aggression est infiniment plus faible : le Japon ? Et quid des autres études, celles qui, tout aussi nombreuses que celles mentionnées par l'auteur, montrent au contraire que l'exercice de jeux vidéo violent a un effet cathartique sur beaucoup de sujets ? Elles sont purement et simplement écartées sans autre forme de procès, alors qu'on aimerait bien en avoir les raisons, nous autres profanes.
Alors bien évidemment, l'article de rue89 pousse en revanche le bouchon encore plus loin et je vous invite à le parcourir si jamais cela vous intéresse. Pour ma part, je vous avoue avoir été abasourdi par la tournure de certains passages de cet article. Et notamment le rapprochement avec l'affaire Breivik, auteur du massacre d'Oslo... Mais que répond-il, de manière pré-emptive, à ceux qui pourraient le remettre en doute ou poser des questions ?
Aujourd'hui, en dépit de preuves qui satisfont aux critères scientifiques internationaux, le chœur des industriels se conjugue à une poignée de démagogeeks et pipologues patentés pour nous expliquer que les jeux vidéo ne rendent personne violent, que les gens "font la part des choses", et que les études des équipes internationales sont mal faites pour une raison ou une autre.
Sans même pointer du doigt une certaine agressivité envers ceux qu'il traite de "démagogeeks et de pipologues" (peut-être l'auteur joue-t-il finalement lui-même à des jeux vidéo violents), le problème est probablement tout autre que de savoir si oui ou non, le jeu vidéo violent peut favoriser, et dans quelles proportions, un comportement agressif.
De quoi parle-t-on ?
Car au-delà de la thèse soutenue par l'article (les jeux vidéo violents favorisent l'aggression), qui reste défendable, se pose en réalité la question de la légitimité pure et simple de telles études et de leur sens véritable. Y a-t-il des choses qui favorisent les comportements agressifs chez l'Homme ? Oui. Dans les éléments culturels auxquels il est exposé ? Sans doute. Faut-il donc interdire tout ce qui peut, même brièvement, "favoriser l'agressivité" ? Peut-on se permettre facilement le raccourci habituel qui veut que les pratiquants de jeux vidéo violents soient un risque pour la société, plus important ou plus digne d'action que d'autres ? En un mot comme en cent : quel rapport, finalement, avec le jeu vidéo en particulier ? L'ironie d'un des commentateurs de l'article met mieux encore en évidence le danger du sens qu'on attache à de telles études : "Il a été démontré SCIENTIFIQUEMENT à l'aide de panels représentatifs de plus de 30 personnes que TOUS les accidents de la route ont impliqué au moins un véhicule motorisé. Il a donc été décidé, l'état étant garant de la sécurité de ses citoyens, de forcer les industriels de l'automobile à prendre leurs responsabilités : il est désormais interdit de doter les véhicules de plus de une roue".
Difficile donc de ne pas voir dans cet article un biais de l'auteur en sa défaveur sur certains passages, même si sa conclusion rassure un petit peu sur son recul vis à vis de la problématique plus large de ces questions :
Le jeu vidéo en soi n'est évidemment pas à incriminer, bien au contraire : il s'agit d'un outil pédagogique très performant doublé d'un loisir très populaire. Cependant, lorsque l'on parle de « causes environnementales de la violence », il faut les inclure dans la réflexion sociale et mettre l'industrie devant ses responsabilités.
Reste que finir en comparant de telles responsabilités avec celles de l'industrie du Tabac paraît, une fois encore, déplacé, pour ne pas dire choquant. Il n'en reste pas moins que tout ceci est bien réel et le jeu vidéo a encore beaucoup à faire pour réussir à en découdre avec cette image de loisir malsain. Espérons toutefois que les choses évolueront dans le bon sens, pour qu'un jour enfin, ce média ne soit plus regardé d'un si mauvais oeil, ou, plus simplement, que le contexte des expériences "scientifiques" qu'on lui réserve soit bien plus éduqué et sérieux pour que les résultats soient dignes d'être commentés et débattus, dans un contexte culturel plus large où le jeu vidéo ne serait pas considéré "à part", mais sur un pied d'égalité avec le reste de l'offre culturelle et de loisir moderne.