Le raz-de-marée Wii est l'un des phénomènes les plus déterminants de l'industrie à l'heure actuelle. Changeant profondément le paysage des joueurs comme celui des jeux, c'est un succès commercial certain... pour Nintendo. Car si le parc installé attire les développeurs tiers comme des papillons vers une ampoule, la vie sur Wii n'est pas facile, quel que soit le marché.
C'est le parc de machines installées qui grandit le plus vite sur cette génération de consoles. Lancé à pleine vitesse, le hype Wii résonne partout. Mais il est temps de se rendre à l'évidence : ce qui ressemble peut-être à un El Dorado pour toute l'industrie du jeu vidéo, est loin de faire le bonheur de tout le monde.
L'opportunité insaisissable ?
Début janvier, au Japon, le top 10 des softs les plus vendus sur l'archipel ne comprend pas un seul titre qui ne soit pas soit sur Wii, soit sur DS (Monster Hunter Freedom 2 sur PSP vient de rentrer dans le top cette semaine). Seulement voilà : sur ces 10 titres, seulement 4 ne sont pas de Nintendo. Lesquels ? Un Final Fantasy IV sur DS, Dragon Quest IV sur DS, Professor Layton and the Pandora Box sur DS... et Mario & Sonic aux JO sur Wii. Bilan : le seul jeu Wii éditeur tiers est un titre avec Mario dedans, on pourrait tout autant oublier qu'il sort de chez Sega. Une preuve cinglante du phénomène, qu'observe amèrement Atsushi Inaba, ancien patron de Clover (Okami) : "la Wii et la DS se vendent très bien, mais en termes de software, Nintendo est à l'évidence le plus gros vendeur, et de loin. Ils ont la meilleure compréhension du nouveau marché qu'ils ont [eux-mêmes] créé. Nintendo peut se frotter les mains de la situation actuelle, mais pour un développeur comme nous, et nous sommes probablement une majorité, la situation est difficile". En effet, si Nintendo se prélasse au sommet des charts avec des titres vendant plus de 100 000 unités par semaine, souvent même bien longtemps après leur sortie (habituellement, un titre fait le gros de ses ventes dans les premières semaines), les éditeurs tiers ont du mal à en faire le dixième. Et cette situation n'est pas l'apanage du Japon ; chez nous en Europe, sur 3 titres Wii dans le top 10 (le reste étant sur DS à part Uncharted en 10e position), aucun n'est issu d'éditeurs tiers. En cumulé, Nintendo a vendu plus de 711 000 pièces, et EA, second en Europe cette semaine, un peu plus de 200 000, suivi d'Activision et Ubisoft à 92 000.
Elargir le marché, mais pour qui ?
La plupart des éditeurs ont mis un peu de temps à considérer le phénomène Wii à la hauteur de son retentissement sur l'industrie, son économie, sa démographie... et c'est bien normal, un succès d'une telle ampleur était imprévisible. Mais ils ont en tout cas fini par comprendre : 1) le parc de Wii est déjà considérable, et il continue de s'agrandir à vitesse grand V 2) Développer sur Wii, ça coûte moins cher que sur 360 ou PS3 3) Ce sont les jeux casual à la Brain Training qui cartonnent. Et sur ce dernier point en particulier, c'est l'invasion. On pourra entraîner chaque organe de notre corps d'ici fin 2008, semble-t-il. Mais en réalité, très peu d'entre eux se vendent aussi bien que les produits Nintendo. Et côté jeux traditionnels, c'est, en comparaison, la misère. Zack & Wiki se plante (au Japon) alors qu'il s'agit peut-être du premier véritable jeu Wii (c'est à dire à exploiter la fameuse Wiimote, tout en étant un bon jeu et pas un simple QCM pour quinquagénaire), quant à No More Heroes, le titre de Suda 51, n'en parlons pas. Il vient à peine de sortir, et même lorsque son créateur se déplace accompagné d'une jolie nénette en mini-jupe et du créateur de Harvest Moon, Yasuhiro Wada, pour en faire la promotion et signer des exemplaires, il ne semble pas du tout séduire comme prévu. "Même si les ventes ne sont pas aussi fortes que je l'espérais, les autres titres sur Wii ne se vendent pas si bien non plus. Il n'y a que les titres Nintendo qui réussissent bien. Ce n'est pas seulement à cause de la situation au Japon, puisque c'est le cas en dehors du Japon".
Réveil difficile
On dirait bien que beaucoup se mettent à déchanter. Car s'il est vrai que le marché s'est considérablement élargi grâce à la Wii, ces nouveaux "joueurs" n'achètent rien. Ils restent sur Wii Sports, Wii Play, et basta. "En fait, j'ai été très surpris de me rendre compte de la réalité de la Wii, parce que avant de faire ce jeu, je ne m'attendais pas à ce que la Wii soit une console visant uniquement les non-gamers. Je pensais qu'il y aurait plus de jeux pour les hardcore gamers. La réalité est toute autre", poursuit Goichi Suda (51) en évoquant son expérience avec No More Heroes. Et il ne sera probablement pas le seul à se taper un réveil difficile en s'apercevant que l'attrait commercial du développement sur Wii n'est finalement qu'un mirage, puisque Nintendo annonce pour le seul premier semestre 2008 plus de 65 nouveaux titres à paraître sur sa console. Combien s'adressent à nous dans le tas ? Combien parviendront à se vendre dans des proportions censées refléter l'élargissement du marché et l'énorme parc de Wii déjà écoulé ? Peu.
Où va-t-on ?
L'espoir de voir la Wii former de nouveaux core gamers n'est pas mort. Mais la question, c'est combien de temps cela prendra-t-il pour qu'une frange de ces nouveaux joueurs s'intéresse à d'autres expériences et parcoure à son tour la route que nous avons, nous, suivie ? Car en attendant, les développeurs ne seront peut-être plus très chauds pour continuer à proposer des jeux de ce type sur Wii. Reste bien entendu la 360 et la PS3, mais on retombe dans d'autres problématiques de coûts, et des parcs dont la dynamique paraît faiblarde. Au Japon en particulier, la 360 est inexistante. En parlant de la PS3, Atsushi Inaba reconnaît que "la puissance de la marque est peut-être bonne au Japon et ailleurs, mais il n'y a juste pas assez de machines installées". Comment survivre dans ce cas ? "Pour être honnête", poursuit-il, "on aimerait presque une plate-forme qui ne soit aucune de celles-ci. Mais bien sûr, ce n'est pas possible, il faudra donc bien qu'on s'adapte au marché". Reste, une fois de plus, à voir à quoi ressemble cette adaptation... en étant prêts à ronger notre frein encore quelques temps sans doute, à attendre plus de jeux moins training.