Après l'abandon de l'amendement N°183 "anti-addiction" qui prévoyait que l'on appose un message à caractère sanitaire sur l'emballage de jeux vidéo susceptibles d'entraîner... une "addiction", en mars dernier, et qui avait alors justifié une lettre ouverte du SNJV à l'attention de Madame Roslyne Bachelot, voici une nouvelle proposition de Loi qui reprend les mêmes amalgames et les mêmes clichés auxquels nous sommes malheureusement habitués. En pire.
Enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 Juillet 2010, cette nouvelle proposition de Loi vise à "mieux garantir le droit à l'éducation à la santé, à responsabiliser les pouvoirs publics et les industries de jeux vidéo dans l'éducation à la santé et la protection des enfants et des adolescents contre la cyberaddiction". Outre la définition et la démonstration de l'existence de la dite cyberaddiction, toujours sujette à débat, certains passages du texte ont de quoi faire bondir.
Une Loi proposée par le Parlement des enfants
C'est le 5 Juin dernier que le Parlement des enfants a tenu sa 16e session. Ce sont donc des enfants qui ont été consultés sur des sujets qui les touchent, et notamment, tout naturellement, celui des jeux vidéo. La proposition reconnaît bien entendu que "les jeux vidéo sont devenus des éléments incontournables de notre environnement" mais ajoute qu'ils "ne sont pas sans danger". Evidemment, on ne peut qu'abonder dans ce sens, puisque comme toute activité, l'excès peut toucher certains.
Cependant, le texte va plus (trop) loin, caractérisant cette supposée dépendance en écrivant qu'elle peut "mener aux effets suivants : fatigue visuelle, asociabilité, agressivité, nervosité, vertiges, troubles de la conscience et de l'orientation, voire crises d'épilepsie et nausées, repli sur soi, échec scolaire, perte de la notion du temps, déshydratation et sous-alimentation". Une vérité qui ne s'appuie sur rien de concret, assenée sans véritable recul alors qu'aucune étude scientifique n'établit clairement des liens de cause à effet, entre la pratique du jeu vidéo elle-même et les effets en question (certains de cette liste eux-mêmes non établis). Ce serait même plutôt le contraire... Par exemple, il a été prouvé maintes fois que la pratique du jeu vidéo ne rendait pas épileptique (tout au plus certains jeux peuvent-ils déclencher des crises chez certains types d'épileptiques, comme d'autres signaux lumineux - révélant au passage une condition tout à fait importante et traitable qu'ils auraient pu ignorer), mais le trouble est entretenu dans le texte, probablement à dessein.
Approximations, amalgames, contre-vérités
En réalité, tout semble indiquer que les problèmes rencontrés par certaines personnes (qui sont, est-il utile de le rappeler, une minorité), sont la résultante de troubles sous-jacents, notamment sociaux ou éducationnels. Pour rappel, le spécialiste Keith Bakker, en 2008, indiquait que 90% des patients qu'il était censé traiter pour cette prétendue cyberaddiction n'étaient en réalité pas dépendants au sens médical du terme. Il concluait alors en disant que "dans la plupart des cas de jeu compulsif, il ne s'agit pas de dépendance, la solution est ailleurs". Nonobstant ces éléments, le texte déclare ainsi que "les enfants passent de nombreuses heures au quotidien devant les jeux vidéo. Certains plus de 2 heures !". Oh, mon Dieu ! un peu plus que la durée d'un film, donc, et ne parlons même pas de la télé... Et il suffirait ainsi, toujours d'après ce texte, de jouer 2 heures par jour pour entraîner "l'émergence de troubles du comportement et de pathologies sévères chez les adeptes des consoles de jeux". Inutile de chercher des exemples ou des études statistiques, médicales, sociales, ou autres qui permettraient d'écrire cela : il n'y en a pas. Le projet préconise même que les éditeurs devraient limiter les sessions de jeu eux-mêmes (en introduisant des pauses régulières d'une demie-heure), ce qui prête à sourire jaune à plus d'un titre.
La suite est un festival de lieux communs, de vérités péremptoires, et d'approximation mensongères, assenés sans le moindre recul : "Le jeu peut rapidement dégénérer en dépendance", "Les conséquences sont alors très graves", etc. Pire encore, ce paragraphe qui débute ainsi : "Alcool, tabac, drogue... Face à ces redoutables fléaux et risques pour la santé, force est de développer la prévention. Son but : changer le regard des jeunes porté sur les jeux vidéo pour lutter contre les risques d'addiction". Quel rapport avec la consommation de substances règlementées, ou illicites, et la pratique de jeu vidéo, au beau milieu de ce texte ? Aucun, sinon le besoin d'associer les deux pour mieux faire passer un message dépourvu de tout fondement sérieux, et amalgamer une fois encore des choses qui ne sont pas comparables, comme l'avait scandaleusement fait la campagne TV à l'initiative du Secrétariat d'Etat chargé de la famille de Nadine Morano, qui mélangeait en un seul spot, pédophilie, prostitution, jeu vidéo, et autres.
Séparer le bon grain de l'ivraie
Préconiser la mise en place dans les écoles primaires d'un "programme d'éducation à la santé et de prévention des comportements à risques, en particulier l'usage abusif des jeux vidéo" est une chose (positive), mais engager des moyens pour former "les professionnels de l'addictologie aux problèmes d'utilisation excessive de jeux vidéo", alors que cette utilisation n'a toujours pas été établie comme une addiction, c'est brûler des étapes d'autant plus importantes qu'elles seraient susceptibles de ne jamais être entérinées.
Le ministère de la santé serait également mis à contribution pour élaborer, avec le concours des éditeurs de jeu, une charte pour une "politique du jeu responsable". Outre la question du financement, à peine abordée en suggérant d'introduire une nouvelle taxe sur le tabac, aucune mesure concrète ou partie du texte ne mentionne la responsabilité ou l'autorité parentale, l'existence des contrôles parentaux sur toutes les consoles du marché, ou encore de précédentes initiatives comme PédagoJeux.
Il ne faut pas chercher bien loin l'origine des carences de ce texte, puisqu'il a été proposé par les enfants de l'école Les Alpinias de Petite-Île. On ne peut guère demander à des enfants (qui vont surtout faire ce qu'ils croient qu'on veut les voir faire), ni même au corps enseignant qui les encadre, de conduire des recherches sérieuses pour étayer une proposition de Loi digne de ce nom. Ce qui reste le plus confondant dans l'affaire, c'est bien que 32 députés y apposent leur nom pour la légitimer. Des députés, qui, échaudés par les fiascos Hadopi et autres, n'en finissent plus d'alimenter une inflation législative dangereuse, jusqu'à proposer une Loi par fait divers sans se préoccuper des doublons, des accumulations de projets sans recul nés de l'actualité, et souvent complètement inapplicables. Ce qui fait par ailleurs que la majorité des Lois votées depuis 2006 n'ont pas été promulguées (et parfois, tant mieux).
Cette parodie de proposition de Loi doit pourtant être prise au sérieux : passer la notion non démontrée de cyberaddiction dans le code civil serait un précédent fâcheux. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que l'abus peut se révéler dangereux, mais de là à en faire une Loi proposée par des enfants, il est impossible de ne pas bondir, surtout lorsque 99% des adolescents français jouent, dont la moitié quotidiennement (sondage IPSOS), sans qu'on ait détecté une escalade de comportements préoccupants.