Ca y est c'est l'avalanche. Après que l'Angleterre bannit Manhunt 2, et que les Etats-Unis lui donnent une classification Adults Only, Sony et Nintendo déclarent tous deux qu'ils ne veulent pas de ce type de jeux sur leurs plates-formes. Rockstar et Take Two sont au pied du mur, et les joueurs au fond du trou.
Si vous pensiez vous rabattre sur l'import au cas où la France ne suive l'Angleterre et l'Irlande en classant X Manhunt 2, vous pouvez vous brosser. Dans le Nintendo Buyer's Guide, tout est clair : "Notez que Nintendo ne vend ni ne licencie des jeux classés par l'ESRB en AO (Adults Only)". Joystiq a recueilli les propos de David Karraker, qui se fait tout aussi clair quant à la position de Sony : "Pour l'instant, la politique de SCE est d'interdire le fonctionnement de contenu classé AO sur nos systèmes". Adieu la version Wii, adieu les versions PSP et PS2... à l'heure actuelle, Manhunt 2 semble bien mal parti.
Le Jeu Vidéo, le monde des Bisounours
Lorsque même les constructeurs s'y mettent, ce qui est malheureusement leur droit, on voit mal comment le jeu vidéo pourrait devenir un media aux créations aussi variées que celles qu'on peut trouver chez ses pairs. La question n'est une fois de plus pas de remettre en cause la nécessité des classifications, mais de savoir si celles-ci n'ont pas une fâcheuse tendance à fonctionner à deux vitesses. On ne peut s'empêcher de penser qu'à contrario des autres media, il n'est pas d'amateurs de jeu vidéo suffisamment matures pour déterminer eux mêmes s'ils peuvent faire face à un contenu particulier, dans la tête de ces censeurs. Et le problème, c'est que classer un jeu en AO aujourd'hui, c'est purement et simplement signer son arrêt de mort sur ces territoires.
Et le joueur subit la punition
Jim Sterling, journaliste du site Destructoid.com, s'est permis pour sa part une lettre virulente à destination de la BBFC, responsable du bannissement britannique de Manhunt 2. Comme d'autres, il cherche à savoir pourquoi les joueurs se voient purement et simplement interdire l'accès à ce jeu par des tiers, alors que la pornographie hardcore est légale, qu'on voit des films bourrés de scènes d'horreur ultra réalistes (bien plus que celles d'un jeu sur Wii ou PS2), et que ces contenus, eux, restent accessibles légalement, au cinéma (on pense à Hostel, par exemple) ou même à la télé (Dexter, excellente série au héros serial killer). Etonnamment, il a reçu une réponse. Celle-ci détaille la façon dont la BBFC a passé en revue le jeu avant de lui coller sa sentence, réaffirmant qu'il s'agit d'un processus sérieux. En revanche, c'est sans surprise que J L Green, auteur de la réponse et Assistant Chef sur la politique de la BBFC, évite avec soin le débat de fond, et se contente de rappeler où on peut trouver leurs lignes de conduite sur leur site officiel. Bref, personne ne s'intéresse véritablement au sort des joueurs qui, entre 25 et 35 ans ou plus, en ont assez qu'on les empêche de jouir de jeux qui leurs sont destinés, soit en interdisant l'un d'entre eux, soit en baillonnant les élans des créatifs qui pourraient avoir envie d'en développer. La grande distribution refuse de commercialiser, les constructeurs empêchent que leurs machines n'accueillent ce type de contenu, et c'est avant tout une question de principe que de réfléchir à la direction sidérante que prend le cours des choses.
Un sombre précédent
Certains ricannent en pensant faire une remarque intelligente par rapport à la publicité que toute cette affaire apporte à Rockstar et Take Two. Mais c'est oublier un peu vite que Manhunt 2, pour l'instant, leur a coûté de l'argent, et qu'en l'état il ne leur rapportera simplement pas un centime car il est désormais invendable sur le plus gros marché Européen, voué à une distribution confidentielle aux USA, et de toutes façons rejeté par les constructeurs (comme une sorte de deuxième mesure de sécurité). Alors, oui, la polémique fait parler d'eux, mais pour le coup, il ne leur reste plus que deux solutions : annuler le jeu, et perdre les millions qu'a coûté son développement, ou le censurer pour faire réviser les classifications, donc réinvestir encore quelques ressources à cette fin (et priver les joueurs de la version originale). Et, surtout, au delà de Manhunt 2, c'est le jeu vidéo dans son ensemble qui prend un coup d'estoc regrettable sur l'affaire : de quoi reculer pendant encore quelques années toute vélléité de le sortir de sa démographie enfantine, qui serait vouée semble-t-il à s'échouer sur les récifs d'une censure bien plus dure que dans tout autre média... en tout cas sur console. Plus que jamais, je prie pour que Fallout 3 sur PC soit le jeu sans concessions qu'on attend.