Alors que le vote solennel du projet de loi pour une République numérique se déroulera ce mardi 3 mai à 16h30 au Sénat, nous avons interrogé Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat chargée du numérique, sur l'évolution du jeu vidéo en France. Des préjugés encore tenaces, à l'eSport, en passant par la réalité virtuelle, ou la place qu'occupent les créateurs dans l'hexagone et la manière de rendre notre pays encore plus attractif en la matière, il était temps de faire le point...
Axelle Lemaire et les jeux vidéo
GAMEBLOG : Vous avez déclaré "J'aime les jeux vidéo" ! Premier loisir de France, le jeu vidéo reste encore trop souvent accompagné de nombreux de préjugés...
Axelle Lemaire : J'aime les jeux vidéo, car c'est ludique, créatif, intriguant ! Ce sont avant tout des jeux, et ceux qui les condamnent ont tendance à l'oublier. Je suis frappée de constater à quel point les jeux vidéo sont encore associés, dans l'imaginaire collectif, à des comportements violents, addictifs, solitaires. Or toutes les enquêtes démontrent que les Français, grands amateurs de jeux vidéo, aiment en outre y jouer entre amis ou en famille. Quel paradoxe !
Il y a donc une priorité à informer le grand public sur la réalité des pratiques dans le monde des jeux, et notamment du e-sport. Les compétitions de jeux vidéo rassemblent, en France, 850 000 pratiquants pour 4 millions de spectateurs. Cela ferait 4 millions de drogués ? Soyons sérieux. Mais les non-initiés n'en savent rien.
Pour contrer les clichés, rien de tel que de mettre en avant les principaux intéressés, les joueurs ! J'ai par exemple rencontré Kayane, une jeune professionnelle pleine d'enthousiasme et de talents, à l'opposé de l'image du gamer asocial... Les aptitudes des joueurs, -habileté, réflexes, dextérité, concentration-, doivent être publiquement valorisées, ce que je m'emploie à essayer de faire. J'ai aussi bon espoir que l'attention accordée aux compétitions en ligne de jeux vidéo par mon Projet de loi pour une République numérique permettra de faire découvrir cette activité aux néophytes et d'avoir un débat de qualité, un peu plus objectif. Et le travail avec les entreprises du secteur doit continuer, pour décourager les productions minoritaires qui seraient réellement violentes ou sexistes. Les studios français sont plus vertueux que d'autres, mais le marché est très international.
Dans le cadre du projet de loi pour une République numérique, quel avenir imaginez-vous pour l'esport en France ? Peut-on l'imaginer un jour arriver officiellement aux Jeux Olympiques ?
J'ai suggéré au Premier ministre de mandater deux parlementaires qui n'y connaissaient rien pour étudier le sujet de l'e-sport. Une mission a ainsi été confiée à Rudy Salles, député des Alpes-Maritimes et Jérôme Durain, sénateur de Saône-et-Loire, qui ont rendu un rapport en mars dernier. Ils ont été très bien accueillis par les communautés de joueurs, et ils en sont ressortis enthousiastes ! Leur travail démontre la nécessité de faire exister l'e-sport en droit, de donner un cadre légalisé aux compétitions comme aux joueurs, et de faire émerger le secteur économiquement.
Ma loi doit intégrer certaines des conclusions de ce rapport, et je vois désormais un avenir en 120 images/sec pour l'e-sport ! Cette clarification du statut des compétitions de jeux vidéo fait l'objet d'une demande très forte de la part de la communauté de l'e-sport. Les joueurs professionnels doivent pouvoir signer des contrats dignes de ce nom, et obtenir des visas pour participer à des compétitions. Celles-ci se déroulent actuellement dans un contexte d'insécurité juridique. Elles ne se tiennent que sous un régime de tolérance administrative, ce qui les rend fragiles et empêchent des investissements conséquents, alors qu'elles rassemblent des milliers de personnes. Je pense à la Gamers Assembly qui s'est déroulée à Poitiers le week-end du 26 mars 2016 : près de 20 000 spectateurs sont venus voir les exploits de 1 830 joueurs. Il faut accompagner la diffusion audiovisuelle de ces compétitions, et le développement du sponsoring qui va avec, tout en veillant à clarifier le statut de ces programmes pour éviter, par exemple, la publicité déguisée.
Avec l'introduction du e-sport dans la loi numérique, on peut dire que la France est un des pays précurseurs dans la reconnaissance légale de la pratique. Mon homologue dans le gouvernement britannique m'a dit qu'il aurait voulu faire la même chose pour sa loi mais qu'il s'était heurté à des réticences trop fortes...
Quant aux jeux olympiques, j'ai découvert récemment que l'e-sport allait connaître ses premiers Jeux ! L'initiative a été annoncée à l'occasion du London Games Festival le 6 avril dernier. Les eGames vont se dérouler à Rio De Janeiro en même temps que les JO. Je crois savoir que la Grande-Bretagne, le Canada, les Etats-Unis et le Brésil vont constituer leur équipe. J'espère qu'une équipe française nous représentera ! Gamers, je compte sur vous ! Une victoire pourrait donner le ton pour des JO à Paris...
Comment réussir à faire de la France un pays encore plus attractif pour les développeurs de jeu vidéo les plus talentueux ?
La capacité à faire venir les meilleurs développeurs et créateurs est essentielle pour l'attractivité de notre pays, c'est même sans doute l'aspect le plus important. Nous avons d'excellentes écoles, reconnues partout dans le monde et qui attirent des élèves étrangers. Les salaires peuvent être confortables, même si plus abordables pour les entreprises que dans d'autres pays. Nous avons d'ailleurs élargi le bénéfice du crédit d'impôt jeux vidéo, qui permet désormais d'inclure les dépenses de personnel dans certaines dépenses de recherche et développement déductibles fiscalement par les studios. Le seuil de ce crédit d'impôt a été diminué pour inclure les projets de studios plus petits, ce qui devrait leur permettre d'embaucher plus.
J'aimerais que le nombre de formations de qualité se développe plus encore, car à leur sortie les diplômés sont très demandés, des entreprises qui n'ont rien à voir avec les jeux vidéo s'intéressent de plus en plus à eux. Il faut aussi attirer plus de femmes dans le métier de développeuse de jeux vidéo. Nous sommes encore loin du compte, même si la situation progresse doucement.
La réalité virtuelle effectue ses premiers pas, fascinée par cette nouvelle technologie ?
Qui ne le serait pas ? C'est une véritable révolution, qui change totalement l'expérience, les sensations, l'orientation, les sens ! Au point parfois de donner le vertige. Les gamers vont peut-être y adhérer plus facilement que le grand public au départ.
Les usages des lunettes ou des casques de réalité virtuelle, démarrés dans les jeux vidéo, vont d'ailleurs se développer dans tous les secteurs, à commencer par la santé, l'industrie manufacturière, l'éducation... Je ne suis pas encore certaine d'être prête à passer une soirée avec Yoda dans mon salon, ou à me balader dans la rue entourée de zombies, mais qui sait, un jour...
Votre meilleur souvenir de joueuse ?
Si je vous le dis, je vais passer pour une grand-mère : Zelda, Donkey Kong, les Tortues Ninja, Mario of course... Je me souviens aussi de la console Atari que j'utilisais dans le sous-sol chez moi.
Barack Obama a confessé être très friand de jeu vidéo. Pensez-vous que prochainement un Président de la République française viendra jouer en ligne avec les autres joueurs ?
Quel style, cet Obama ! En France, le Président a lancé un programme pour voir plus de numérique à l'école, y compris pour l'apprentissage par des serious games. Alors qui sait, peut-être va-t-il se prendre lui-même au jeu ! L'avantage d'avoir un "GamerTag" c'est aussi de conserver une part d'anonymat et d'avoir une identité propre à l'univers des jeux vidéo. Alors qui sait, si ça se trouve il en a déjà un ? ;-)
Copyright photo Patrick Vedrune
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